Jérôme Santolini, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay
Il y a un peu plus d’un an, j’ai appris que les repas pris par mes enfants à la cantine étaient cuits, réchauffés et servis dans des contenants alimentaires en plastique. Si, en tant que chercheur, j’ai toujours adopté une certaine distance vis-à-vis des débats de société et des questions d’actualité, cette découverte m’a obligé à sortir de ma réserve.
Tous les jours donc, comme près de 20 000 autres petits Bordelais, mes enfants ont consommé des repas cuits dans des poches en plastique, réchauffés à 120 °C dans des barquettes en plastique, servis dans des assiettes en plastique ; avec l’aval de la mairie certifiant qu’il n’y a aucun risque.
Face à cet état de fait, nous avons constitué un collectif de parents d’élèves appelé « Cantine sans plastique » pour alerter et recueillir des informations.
Cette mobilisation – qui s’est fait entendre sur Facebook, Twitter et dans de nombreux médias – a conduit à plusieurs initiatives législatives (au Sénat et à l’Assemblée nationale) visant à faire interdire le plastique dans les cantines. Des avancées notables ont eu lieu sur le terrain : à Strasbourg, l’inox remplace désormais le plastique pour les couverts et le conditionnement des plats ; à Bordeaux, les assiettes en verre trempé ont été adoptées ; à Montrouge, les barquettes en plastique contenant les plats vont être bannies.
Aujourd’hui, nous publions un livre, Pas de plastique dans nos assiettes ! Des perturbateurs endocriniens à la cantine, qui revient sur cette mobilisation.
Les informations réunies par notre collectif, et consultables dans cet ouvrage, ont de quoi faire peur : à Bordeaux, par exemple, les assiettes en plastique utilisées jusqu’à présent dans les cantines se sont avérées contenir du bisphénol A (BPA), un perturbateur endocrinien interdit ; les poches en plastique fondent pendant la cuisson : près de 1 gramme de plastique par poche se retrouve ainsi dans la nourriture au bout de 2 heures de cuisson (sachant que les poches sont utilisées pour la cuisson plusieurs jours durant). Si l’on ne connaît pas tous les contaminants qui finissent dans les assiettes, on sait cependant qu’on y trouvait du DBP, ce phtalate interdit dans les jouets pour enfants.
Ainsi, les écoliers bordelais ont été exposés des années durant à des substances toxiques sans que personne ne soit au courant.
Restauration scolaire en mutation
Ces dernières décennies, les grandes villes et agglomérations ont modifié l’organisation de leur restauration scolaire, passant de la liaison chaude – repas servis chauds le jour même – à un système de liaison froide – repas cuits à l’avance dans des cuisines centrales, refroidis, stockés, réfrigérés, transportés dans les cantines, réchauffés et servis jusqu’à 15 jours plus tard.
Ce qui relevait au départ de contraintes sanitaires se transforma rapidement en impératifs économiques, nécessitant toujours plus de centralisation de la production, de réduction des échelles, de diminution de la main-d’œuvre, de robotisation des tâches, de flux tendu, de planification… Bref, les cuisines centrales sont devenues aujourd’hui de véritables usines Tricatel.
Dans ce processus, une « technologie » s’est imposée : le plastique. Jetable, il répondait à l’injonction de « réduction des coûts », une réduction en faux-semblant car la diminution des investissements par l’utilisation de consommable/jetable n’est qu’un escamotage de coûts bien plus importants qui seront reportés ailleurs (traitement, achats récurrents) ou à plus tard (coût écologique et sanitaire).
Aujourd’hui, rien qu’en Europe, la production totale de plastiques est passée à plus de 64 millions de tonnes (2017), dont moins de 15 % sont recyclés.
Crise sanitaire silencieuse
L’usage systémique du plastique dans la restauration collective est aussi à l’origine d’une crise sanitaire qui ne dit pas son nom. Pour la comprendre, il faut revenir sur cette « soupe chimique » dans laquelle nous baignons.
Au cours du XXe siècle, 10 millions de composés chimiques ont été synthétisés, parmi lesquels 150 000 ont été commercialisés, sans aucun contrôle sur leurs effets sanitaires pour la plupart. Aux États-Unis, la réglementation sur les molécules chimiques ne vit le jour qu’en 1976 : le Toxic Substances Control Act avait recensé à l’époque 62 000 molécules commercialisées en quantité importante, sans compter les cosmétiques, pesticides, médicaments…
Ce chiffre n’a depuis cessé d’augmenter. On estime aujourd’hui qu’un individu moyen est exposé à 300 fois plus de molécules chimiques qu’il y a 40 ans. En Europe, le règlement REACH a conduit à l’interdiction d’une quarantaine de substances (seulement…) et en a classé 132 comme « extrêmement préoccupantes ».
Les plastiques font partie intégrante de cet univers. Ce ne sont pas des composés homogènes : il s’agit de polymères composés de monomères (styrène, chlorure de vinyle, propylène…), de nombreux additifs (parfois en forte proportion) mais aussi d’impuretés, de résidus de synthèse et de très nombreux NIAS (pour Non-Intentionnaly Added Substances). Aujourd’hui, au moins 4 000 substances ont été identifiées qui rentreraient dans la composition des emballages plastiques !
Le plastique n’est pas non plus inerte, ni durable. Le polymère se dégrade en effet mécaniquement en microplastique, libérant au fil du fil du temps ses multiples composants. Cette migration est de première importance pour les matériaux destinés au contact alimentaire (dit MDCA). La libération de substances (indéterminées) dans les aliments est amplifiée par l’effet de la chaleur ou agressions physico-chimiques (chaleur, acides, alcools, graisses…).
Que trouve-t-on dans ces produits libérés ? Probablement une fraction de monomères, des additifs, des impuretés, des produits de décomposition… Comme il est très difficile de déterminer la nature et la quantité des impuretés, NIAS, etc., ce sont les additifs qui ont reçu le plus d’attention.
L’industrie de la plasturgie a sur ce terrain multiplié les innovations, inventant des centaines d’additifs permettant de diversifier les propriétés de leurs plastiques : plastifiants, conservateurs, antioxydants, colorants… Ce sont ainsi des dizaines de molécules différentes qui ont été rajoutés dans la composition des plastiques, molécules pour lesquelles très peu de données toxicologiques sont disponibles ; mais les premières études sur le sujet (comme celles parues en 2007, 2008, 2011, 2015 et 2016) ont été alarmantes.
De nombreux phtalates et bisphénols ont ainsi été classifiés comme substances cancérigènes ou perturbateurs endocriniens. Plus récemment, ce sont les MOSH et les POSH, micro-gouttelettes d’hydrocarbures ou d’huiles minérales qui exsudent des plastiques lors du de leur chauffage, qui inquiètent les autorités sanitaires. On sait aujourd’hui que ces molécules, comme le bisphénol A (BPA), sont présentes dans le corps de la quasi-totalité des Européens.
Rappelons que le BPA ou encore certains phtalates de bas poids moléculaire ont été associés à l’augmentation de l’incidence de nombreuses pathologies telles que les cancers hormono-dépendants (comme les cancers du sein, de la prostate, des testicules), les troubles métaboliques (diabètes et obésité), l’infertilité, ou les désordres neurodégénératifs (Alzheimer, Parkinson) ou neuro-développementaux (comme les troubles autistiques et THDA). Partout les scientifiques associent cette exposition inédite aux perturbateurs endocriniens à l’épidémie de maladies non-transmissible (NCD, non-communicable disease) à laquelle nous sommes en train d’assister.
Absence de transparence
Face à cette « invasion » du plastique, le collectif « Cantine sans plastique » a commencé par questionner les collectivités, les cuisines centrales, les fabricants : quelle est la composition de ces plastiques ? Est-ce que l’on peut garantir l’absence de perturbateurs endocriniens ? L’impact sanitaire de ces contenants alimentaires a-t-il été évalué ?
À chaque fois, le plastique nous a été présenté comme un matériau inerte et durable, sans danger, avec un risque scientifiquement maîtrisé. Notre collectif a donc mené sa propre enquête, dont les résultats sont détaillés dans le livre que nous venons de publier. Il en ressort que le risque pris par les pouvoirs publics n’est absolument pas maîtrisé et fait courir un danger inacceptable à la santé de nos enfants.
À l’heure actuelle, il est impossible de connaître la composition exacte de ces plastiques. Au final, fabricants et distributeurs ne peuvent certifier ce qu’il y a dans ces matériaux, car ils ne le savent pas eux-mêmes. On comprendra mieux l’absence de transparence des producteurs concernant ces produits.
Mais le plus frappant au cours de cette expérience est le fait que l’information scientifique, spécialisée, à propos des dangers de ces substances existe et qu’elle est facilement accessible. Pourtant, nous avions partout l’impression que personne ne savait. Mais certains politiques, de nombreux scientifiques et surtout les industriels savent depuis très longtemps les risques auxquels nos enfants sont exposés. Pourquoi rien n’avait été fait ? Ce que nous avons appris est que ce savoir était disponible mais détourné, escamoté, travesti de façon à le rendre inutilisable.
Il revient aujourd’hui aux scientifiques d’éclairer les débats de société en contribuant à l’élaboration d’une information claire, robuste et indépendante des enjeux industriels. Pour ainsi permettre aux pouvoirs publics de mettre en place des politiques de santé publique qui protègent vraiment nos enfants.
Jérôme Santolini, Chercheur en Biochimie, Responsable du laboratoire Stress Oxydant et Détoxication, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.