Au quatrième jour du mouvement social des cheminots, le trafic des TER s’annonce encore très perturbé ce lundi. Comment en est-on arrivé là ? Le point-de-vue de Bernard Aubin, syndicat First.
« Augmentez le feu sous la cocotte-minute, verrouillez bien le couvercle, obstruez consciencieusement la sortie de vapeur… Vous avez là la recette du parfait cocktail explosif. Si la mobilisation inopinée de plusieurs milliers de cheminots trouve son origine dans un problème révélé par l’accident mettant en cause un TER et un convoi exceptionnel à un passage à niveau, mercredi dans les Ardennes, son ampleur témoigne d’un mal bien plus profond. La goutte d’eau a fait déborder le vase.
Le pire reste à venir
Humiliés en 2018 par un gouvernement désirant afficher sa capacité à « réussir » là où les autres ont « échoué », c’est-à-dire à vaincre le dernier bastion social français pour nourrir sa gloriole, sacrifiés et trahis par leurs dirigeants ayant pris fait et cause, sans la moindre réserve, pour le dépeçage d’une entreprise dans laquelle le personnel s’investit au quotidien dans des conditions de plus en plus déplorables, les cheminots en ont gros sur la patate… D’autant plus que le pire reste à venir avec la mise en œuvre de la réforme de la SNCF et la remise en cause d’un de leurs derniers acquis : leur régime spécial de retraite.
Certains observateurs ne se sont pas trompés. Ce droit de retrait, dont la pertinence et la légalité auraient été confirmées par plusieurs inspecteurs du travail, révèle derrière des aspects sécuritaires bien tangibles un malaise social beaucoup plus profond. Malaise que les dernières provocations de la SNCF contribueront plus à étendre qu’à apaiser. En dénonçant le caractère « illégal » du droit de retrait, qualifié pour l’occasion de « grève », plusieurs dirigeants de la SNCF ont délibérément pris le parti de jeter de l’huile sur le feu.
Risque d’embrasement
Un fait grave, qui témoigne d’une totale inconscience ou d’une irresponsabilité assumée. La SNCF fut « la voix de son maître » lors de sa réforme aussi contestée que contestable. Elle le reste jusqu’au bout. Sauf que le contexte n’est plus le même. Depuis, la grogne est montée de partout. Le risque d’embrasement généralisé est bien réel. Si un gros incendie se déclare, il ne se cantonnera pas à l’Entreprise.
Un autre point ne facilite guère une reprise rapide du travail. Même traité sous l’aspect exclusivement « sécurité des circulations », ce conflit n’offre pas de nombreux points de sortie au regard d’une politique de déshumanisation désormais bien ancrée dans la société. Pour terminer, ce type de mouvement spontané échappe souvent à tout contrôle. Raison de plus pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. Il ne manque plus des perspectives de sanctions pour que tout explose.
Présence humaine
Sera-t-on les témoins de nouvelles provocations ou peut-on espérer, dans l’intérêt de tous et des usagers en particulier, l’ouverture de réelles négociations ? Hier, les échanges entre la direction de la SNCF et quatre des neuf syndicats de la SNCF n’ont rien donné. Et ils ne donneront rien si le vœu de remettre en place des contrôleurs dans les TER fait l’objet d’une opposition totale, frontale, et dogmatique.
Rappelons que cette présence humaine dans les trains et dans les certaines gares relève avant tout de la responsabilité des conseils régionaux. La SNCF a proposé la suppression des personnels pour rester compétitive face aux futurs nouveaux entrants. Mais, au final, ce sont les autorités organisatrices des transports qui disposent. Une illustration des dégâts collatéraux occasionnés par la concurrence avant même son apparition sur le réseau.
Dangereux !
Une solution reviendrait donc à organiser des rencontres entre autorités organisatrices, direction de la SNCF et l’ensemble des syndicats de cheminots afin d’examiner globalement des perspectives et des engagements sur la ré-humanisation des trains et des gares.
Autre solution, c’est que l’Etat impose, par une réglementation, la présence obligatoire de personnel à bord de certains trains. Pas sûr que ce soit sa volonté ! La SNCF, seule, ne détient pas les clés de l’issue de ce conflit. Dans le droit fil des propos tenus par les responsables du gouvernement, ses dirigeants ont privilégié l’affrontement à l’apaisement.
Nous l’avons déjà écrit, cette attitude est non seulement répréhensible, irresponsable, mais avant tout dangereuse pour tout le monde. Et pendant que certains s’échinent à jouer les gros bras jusqu’au bout, les voyageurs restent à quai.
Sommes-nous vraiment dans un monde d’adultes ? »