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Œnotourisme, la course mondiale à l’innovation

L’agence de voyage alsacienne LK Tours propose aux touristes de visiter les vignobles à bord d’un bus cabriolet.
LK Tours

Coralie Haller, Université de Strasbourg

Des vignobles vallonnés à perte de vue. Des propriétés de charme. Des caves fraîches où l’on déguste des nectars… le tourisme œnologique ne date pas d’hier. Nombreux sont les connaisseurs qui visitent régulièrement les caves afin de dénicher à bon prix les bouteilles qui, le temps venu, orneront leurs tables. Mais cet œnotourisme traditionnel est aujourd’hui en pleine révolution. Objectif : conquérir de nouveaux publics, plus jeunes, plus internationaux, susceptibles d’apporter aux régions viticoles des compléments de revenu particulièrement précieux dans un temps où la consommation de vin a tendance à stagner et où la concurrence s’exacerbe.

Organisées fin juin à Strasbourg, les premières rencontres scientifiques internationales sur l’œnotourisme, ont permis de mettre en évidence l’ampleur des transformations à l’œuvre dans ce secteur en plein essor au travers la présentation d’études et de travaux de recherche en cours. Il en ressort notamment que l’Europe s’inspire souvent à sa manière de tendances nées dans le Nouveau Monde.

Les millenials, cible prioritaire

La création de « Cités du vin » est un des phénomènes les plus marquants de ces dernières années. Objectif : amener les vignobles dans la ville. Autrement dit, permettre aux touristes de découvrir en quelques heures de nombreux vins, sans avoir à parcourir des kilomètres. Bordeaux a beaucoup communiqué sur l’ouverture récente de sa Cité. Un espace analogue a ouvert à Adélaïde en Australie. Boston, aux États-Unis, est le lieu d’un festival du vin réputé.

Mais c’est l’expérience barcelonaise qui a retenu l’attention des chercheurs. L’Espagne est le premier pays exportateur mondial de vin en volume, et Barcelone la destination d’un tourisme de masse que les Barcelonais aspirent à faire monter en gamme. Ce n’est donc pas un hasard si une offre spécifique combinant dégustations et activités autour des vins et mets locaux s’y est créée ces dernières années, impliquant de nombreux vignerons de la région et des bars à vins associés.

Une étude de cas portant sur la ville de Barcelone, menée par deux chercheurs italiens, montre comment cette offre, devenue régulière, est parvenue à attirer, au-delà du public de connaisseurs qui visite traditionnellement les domaines, des touristes plus jeunes ayant une culture du vin limitée, et qui s’y sensibilisent ainsi, en ayant peu d’efforts à fournir.

Les millennials, nouvelle clientèle à conquérir pour les acteurs du vin.
Natalia Velikova

Les millennials, qui boivent sensiblement moins que leurs aînés, sont justement une des cibles prioritaires des régions qui cherchent à développer l’œnotourisme. Une recherche récente, menée par des chercheurs américains cette fois, a mis en évidence les attentes et les réticences de cette jeune génération. Disposant de peu de temps, ils désirent des expériences relaxantes, et accordent une importance majeure à l’esthétique des paysages et à l’atmosphère des domaines, bien plus qu’aux dégustations à proprement parler.

La qualité de l’image diffusée sur le net par les domaines et plus largement par les régions viticoles joue à cet égard un rôle clé dans leur succès auprès de cette population dont le smartphone est aujourd’hui la boussole.




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De manière générale, l’usage du numérique se développe dans le milieu de l’œnotourisme. En France, Geovina fait figure d’appli pionnière, aidant les amateurs de bons vins à se concocter des voyages sur mesure dans les régions viticoles de l’Hexagone. En Alsace, une agence de voyage, LK Tours, s’est lancée à échelle régionale, proposant aux touristes non motorisés un parcours dans un bus à cabriolet, le Kutzig, avec une appli leur permettant de repérer facilement les activités offertes dans chaque village.

Des réussites collectives

Ces innovations résultent à chaque fois d’un travail collectif mené par des clusters d’innovation solidement implantés. Réalisée en Allemagne, une recherche montre l’importance déterminante de ces écosystèmes dans la création des nouvelles offres touristiques. Ne réussissent à dynamiser leurs activités que les acteurs qui parviennent à travailler de concert, tous métiers associés : vignerons, hôteliers, restaurateurs, voyagistes, cavistes, guides, start-up technologiques, etc.

Une autre recherche, menée cette fois en Afrique du Sud, confirme à quel point les réussites sont toujours collectives. La ferme de Fairview, fondée au XVIIe siècle à 50 kilomètres de Cape Town et réputée pour sa production de vins et de fromages, a réussi à devenir une attraction de premier plan, avec ses ateliers permettant d’apprendre à reconnaître les vins et à fabriquer les fromages.

Se sont montées successivement à proximité immédiate une fabrique de bière artisanale, un atelier de torréfaction de café, ou encore une chocolaterie, permettant à chaque fois aux touristes d’apprendre auprès des artisans et de participer symboliquement à la production. L’image d’authenticité du lieu, son ancrage dans l’environnement naturel sont des facteurs clés d’un succès devenu emblématique en Afrique du Sud, avec près de 500 000 visiteurs par an ! Fairview en est venu à servir de modèle à d’autres domaines fragilisés par la concentration accélérée de la distribution des vins et ne pouvant plus vivre de la seule vente de bouteilles aux négociants.

Dans le Sud-Tyrol, en Autriche, une recherche sur les Vinum Hotels met en évidence la manière dont ils ont aussi su jouer la carte de l’authenticité et de la nature, mais dans un cadre tout différent. Ce ne sont pas des vignerons qui ont ici pris le lead, mais cette fois une trentaine d’hôteliers indépendants, proposant aux touristes des moments privilégiés au milieu des vignobles : dégustations et visites, découverte des traditions locales et de l’environnement naturel, rencontre de vignerons et spas luxueux, etc. Une approche un peu comparable à celle qui a fait le succès de Caudalie dans le Bordelais, en s’appuyant sur l’image de marque d’un terroir prestigieux.

En Autriche, ce sont les hôteliers qui donnent l’impulsion en matière de développement de l’œnotourisme.
Vinum Hotels Südtyrol

Mieux connaître les visiteurs

Les néo-ruraux apportent souvent une contribution majeure à ces évolutions, montre une étude réalisée en France. Décomplexés par rapport aux approches marketing, ils ne sont pas freinés dans leurs actions par des identités professionnelles traditionnelles ancrées avant tout dans la technique vini et viticole. Pour ces viticulteurs venus d’horizons très divers, l’accueil de touristes est une activité qui semble naturellement complémentaire à la production de vins. Et ces nouveaux viticulteurs devraient voir leur nombre sensiblement augmenter. En France, notamment, un domaine sur cinq va devoir trouver un repreneur dans les cinq années qui viennent.

L’ouverture à des publics internationaux sera selon toute vraisemblance le plus grand défi de cette nouvelle génération. Dans un contexte de croissance très rapide du tourisme mondial, c’est toute une industrie touristique qui pourrait se développer loin des régions côtières sur fréquentées et des capitales. Mais cela exige une finesse d’analyse des différents publics susceptibles de visiter vignobles et domaines. Les touristes japonais n’ont pas les mêmes attentes que les Américains, les Chinois ou les Indiens par exemple. Or, dans des territoires pourtant dynamiques comme l’Alsace, une étude montre que peu de professionnels sont aujourd’hui capables de leur proposer des offres différenciées.


Cet article s’appuie sur les études présentées lors des premières rencontres scientifiques internationales sur l’œnotourisme organisées fin juin à Strasbourg.The Conversation

Coralie Haller, Enseignant-Chercheur, EM Strasbourg, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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