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Aston Martin : l’introduction en bourse en six questions

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Aston Martin propose une gamme de véhicules dont les prix vont de 150 000 à plus de 2,2 millions d’euros.
Benjamin Rousselot, CC BY-SA

Isabelle Chaboud, Grenoble École de Management (GEM)

Aston Martin a annoncé son intention de s’introduire à la bourse de Londres début octobre. Le constructeur automobile britannique espère lever jusqu’à 4,5 milliards de livres (environ 5 milliards d’euros), et ce malgré le Brexit. Sur quels éléments repose cette valorisation ? Nous vous proposons dans cet article un éclairage sur les six grandes questions qui se posent avant l’introduction en bourse.

Qui est Aston Martin ?

Aston Martin est spécialisé dans les véhicules de luxe de haut de gamme depuis un peu plus d’un siècle (105 ans exactement). Ses principaux concurrents sont Ferrari, Lamborghini et Porsche. Il compte parmi ses modèles iconiques la DB11, munie d’un moteur V12 de 610 ch, la Vanquish, la Vantage ou la Rapide S, considérée comme l’une des plus belles voitures de sport à quatre portes au monde, mais aussi des modèles conçus sur mesure pour quelques clients ultra-privilégiés et au portefeuille bien garni. Les véhicules vendus sont proposés dans une fourchette de prix allant de 150 000 euros environ à plus de 2,2 millions d’euros pour certains modèles sur-mesure.

Aston Martin, c’est aussi la référence aux voitures de James Bond avec des apparitions dans douze films à ce jour à l’instar de Goldfinger (1964) avec Sean Connery et son Aston Martin DB5, véhicule également repris dans Skyfall (2012) avec Daniel Craig ou dernièrement dans Spectre (2015) avec l’Aston Martin DB10. Une marque qui fait rêver et que la maison décrit comme « synonyme de luxe, d’héritage et d’artisanat authentique ».

James Bond au volant d’une Aston Martin DB5 dans le film Goldfinger (1964).

Quels sont les derniers indicateurs clés ?

Les chiffres n’étant pas révélés au grand public puisque la société n’est pas (encore) cotée, nous citerons ici ceux fournis par le Financial Times dans son article intitulé « Aston Martin to launch a London IPO ». Le quotidien indique ainsi que « le nombre de voitures vendues au premier semestre 2018 a chuté à 2 299 véhicules contre 2 439 pour la même période l’an dernier en raison du lancement de trois nouveaux modèles : la DB11 Volante, la DB11 AMR et la Vantage ». L’article rappelle que la société a fait faillite sept fois mais semble renouer avec de bonnes performances depuis l’arrivée d’Andy Palmer en 2014 à la tête du fabricant.

En effet, « la société a déclaré que les ventes avaient progressé de 8 % à 449,9 millions de livres sterling au cours des premiers mois de l’année, avec un profit avant impôt en hausse de 20,1 millions de livres à 20,8 millions de livres, des ventes soutenues par le lancement de trois nouvelles voitures de sport et une demande croissante en Asie. Une fois le coût des actions de préférence et autres mesures supprimées, les bénéfices avant impôts atteignaient 42 millions de livres sterling et la société a enregistré une marge bénéficiaire de 24 % ». Malheureusement, nous ne disposons pas d’éléments sur le niveau d’endettement, ni sur celui des investissements en R&D et en immobilisations corporelles qui nous permettraient d’avoir une image plus complète.

Quelles sont les perspectives pour fin 2018 et début 2019 ?

Enfin, le Financial Times ajoute que le constructeur « prévoit de vendre 6 200 à 6 400 unités cette année, passant de 7 100 à 7 300 l’année prochaine et à 9 800 en 2020, lorsque sa nouvelle usine au pays de Galles sera mise en service. À long terme, l’entreprise prévoit de fabriquer jusqu’à 14 000 voitures par an, tant pour sa marque Aston Martin que pour sa nouvelle marque Lagonda, que la société relancera en tant que marque de véhicules électriques de luxe ». En effet, Aston Martin a annoncé le 12 septembre 2018 qu’il allait lancer un modèle électrique baptisé « Rapide E » avec une édition limitée de 155 unités. Les premières livraisons devraient intervenir sur le quatrième trimestre 2019. Aston Martin commencera également « la production de son modèle standard haut de gamme, le DBS, le trimestre prochain ».

Quelle valorisation est attendue ?

Le 20 septembre 2018, le fabricant de voiture a indiqué qu’il espérait atteindre une valorisation d’un peu plus de 5 milliards de livres (environ 5,7 milliards d’euros) et intégrer l’indice FTSE 100 si cette valorisation était suffisante (il faudrait qu’elle dépasse les 4,7 milliards de livres sterling). Le constructeur envisage de mettre sur le marché 25 % du capital (flottant) avec une fourchette de cotation revue à la baisse le 1er octobre 2018 et prévue entre 18,50 et 20 livres sterling par action ce qui valoriserait le constructeur à 4,5 milliards de livres sterling au maximum. Une fourchette resserrée après des premiers retours mitigés de la part des investisseurs.

La Vantage, l’un des modèles phares de la gamme Aston Martin.
Benjamin Rousselot, CC BY-SA

Selon le prix définitif de l’action retenu, l’introduction en bourse (Initial Public Offering ou IPO en anglais) pourrait représenter environ 1 milliard de livres sterling. Les actionnaires présents resteraient au capital, notamment Andrea Bonomi via InvestIndustrial qui avait pris 37,5 % du capital en 2012 et Daimler qui resterait à 4,9 %.

La volonté de rentrer en bourse et la valorisation élevée attendue ont sans aucun doute été influencées par le succès de l’introduction de Ferrari NV à la bourse de New York (NYSE), le 21 octobre 2015, au cours de 48 dollars (environ 43 euros). Au 28 septembre 2018, l’action cotait à 136,84 dollars, valorisant Ferrari NV à près de 26 milliards de dollars. Une performance remarquable, saluée par les marchés et les investisseurs et maintenue malgré la disparition de son dirigeant emblématique, Sergio Marchionne pendant l’été 2018.

Toutefois, Ferrari dispose à notre avis de trois avantages majeurs sur Aston Martin : la visibilité apportée par son écurie de F1 avec des classements inégalés lors des grands prix internationaux, ses capacités d’innovation clairement affichées et de solides résultats financiers. Ferrari a ainsi annoncé le lancement de quinze nouveaux modèles. La marque au cheval cabré est également entrée pour la première fois en 2017 au palmarès des 100 plus importantes marques mondiales selon le rapport Interbrand 2017. Ferrari a en effet reporté des profits nets en constante progression depuis sa séparation avec le groupe Fiat Chrysler Automobiles en 2015 à 290 millions d’euros en 2015, 399,7 millions d’euros en 2016 et 537,4 millions d’euros en 2017.

Le Brexit risque-t-il de peser sur la valorisation ?

Avec un « no deal », les coûts de production pourraient certes être revus à la hausse, entraîner des droits de douane vers l’Europe et ralentir la production compte tenu des nouveaux contrôles douaniers. Tous les véhicules d’Aston Martin étant produits au Royaume-Uni, cette option a d’ailleurs été anticipée par Andy Palmer. Le PDG d’Aston Martin a ainsi confié à Reuters avoir déjà augmenté ses stocks de moteurs et de composants au cas où il n’y aurait pas d’accord avec l’Europe. Pour autant, il ne semble pas spécialement inquiet. L’instauration de « droits de douane sur les véhicules exportés en Europe renchérirait probablement le prix de vente de ses véhicules de l’ordre de 10 %, mais il pense pouvoir prendre des parts de marchés à ses concurrents Ferrari ou Lamborghini dont les voitures deviendraient plus chères ». Même sentiment du côté de l’Observatoire du Brexit qui considère que la situation est grave… mais pas désespérée.

À notre avis, quelle que soit l’issue du Brexit, celle-ci ne devrait pas avoir de conséquences dramatiques pour Aston Martin étant donné que la firme opère sur un marché très haut de gamme où le côté « affectif », avec l’attachement à la marque, a un rôle primordial. De plus, il convient de préciser qu’à l’heure actuelle 30 % des ventes sont réalisées au Royaume-Uni (ce qui mériterait peut-être d’être rééquilibré avec les autres zones géographiques) mais aura en contrepartie le mérite d’attirer les Britanniques patriotiques qui voudraient acheter une voiture conçue et produite au Royaume-Uni. Les ventes vers l’Europe atteindraient les 25 % (à prendre avec réserve car aucun chiffre officiel n’a été publié). Nous pouvons rajouter à cela que la chute de la livre sterling (12,76 % depuis le 23 juin 2016) rend les importations de voiture libellées en euros plus onéreuses et, au contraire, favorise les exportations en livre sterling. La baisse de la livre sterling étant plus significative que les droits de douane potentiellement rajoutés, nous pensons que l’écart devrait rester favorable pour Aston Martin.

Y aura-t-il un 007 dans le symbole boursier ?

Compte tenu des manifestations d’intérêt depuis l’annonce de l’IPO, de l’attrait de la marque et du fait qu’Aston Martin serait la seule marque automobile britannique à intégrer le FTSE 100 depuis la sortie de bourse de Jaguar il y a trente ans, il y a fort à parier que l’introduction à la bourse de Londres se fera plutôt dans le haut de la fourchette, même légèrement revue à la baisse. Nous restons cependant plus prudents sur l’évolution du cours de bourse, non qu’elle soit menacée par le Brexit mais plutôt par la situation géopolitique actuelle marquée notamment par la rivalité stratégique entre les États-Unis et la Chine.

Selon l’économiste Thierry Apoteker, un retournement de la situation économique aux États-Unis se profile aux environs de mi-2019 et « la Chine n’échappera pas à un ajustement conjoncturel brutal ». Nous pensons que ces éléments pourraient bien peser sur les ventes d’Aston Martin aux États-Unis comme en Chine, où le constructeur prévoit de réaliser jusqu’à 25 % de son chiffre d’affaires. De ce fait,l’intégration au FTSE 100 n’est pas certaine. En attendant, tous se demandent quel sera le choix du symbole boursier (ticker symbol en anglais). Ferrari a choisi RACE, Aston Martin optera-t-il pour AML (Aston Martin Lagonda) ou pourrait-il envisager d’inclure un 007 ? Réponse attendue pour le symbole et le cours vers le 3 octobre 2018 avec un début de cotation aux environs du 8 octobre 2018.The Conversation

« La stratégie digitale des marques de luxe », interview d’Isabelle Chaboud sur Xerfi canal, premier trimestre 2018.

Isabelle Chaboud, Professeur associé d’analyse financière, d’audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

The Conversation

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