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Quel avenir pour la Nouvelle-Calédonie? (1/3)

La Nouvelle-Calédonie, à 22 000 km de Paris, tout le monde s’en fout. Mais l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine, les USA, eux, ne s’en fichent pas. Que peut faire la France, sinon suivre les ordres de Bruxelles et de Washington ? Reportage à Nouméa et dans les quartiers.

Dr Christophe Grangeon (DR)
Dr Christophe Grangeon (DR)

Par Christophe Grangeon

Depuis le 13 mai dernier, la Calédonie ne va nulle part. Parce qu’elle n’a nulle part où aller. Deux populations se côtoient et se regardent en chiens de faïence et se parlent que parce que c’est absolument nécessaire. Nouméa brûle toujours, à petits feu, par petits bouts de quartiers… dans le désordre. Les populations qui ont tenu bon regardent leurs intérêts, soupèsent le pour et le contre. Rester, partir… Et ce n’est pas valable que pour les blancs. Toutes les communautés sont hantées par le doute. Javanais, Japonais, Wallis, Calédoniens, Vietnamiens, métro… blancs, noirs, jaunes… Et certains Kanaks aussi se posent la question : la brousse ou la France ? Le noir et le blanc, ici comme ailleurs, n’existe qu’en niveaux de gris.

La police descend le matin dans les maisons

Du côté mélanésien, ceux qui ont pu rapatrier leurs jeunes, tentent de ne pas les faire redescendre sur la capitale pour leur éviter d’en revenir trop abîmés… s’épargner l’angoisse des parents qui savent que leurs enfants ont une arme à la main. Les ados qui ne sont pas repartis papillonnent encore entre les barrages et les gardes à vues.
Les forces de l’ordre règnent péniblement dans les quartiers difficiles, une guérilla judiciaire s’est installée. Les caméras de surveillance et les réseaux sociaux ont parlé. La police descend le matin de bonne heure dans les maisons pour saisir le matériel volé que les gens écoulent encore en famille ou entre amis. Les pillages jubilatoires des brigands du dimanche, biftons en main face à l’objectif, se payent avec quelques mois de retard, intérêts compris. Monsieur tout le monde se retrouve au Camp-Est pour tutoyer les émeutiers. On sait bien qu’en prison les résidents n’apprennent pas les bonnes manières. C’est à demain que l’on s’adresse.

Les couleurs de la Nouvelle-Calédonie (UnlimPhotos)
Les couleurs de la Nouvelle-Calédonie (UnlimPhotos)

L’odeur des poubelles et des pneus brûlés

Les quartiers ne sont pas calmes la nuit, les jeunes font leurs colonies de vacances sur les barrages et leurs dents sur les gendarmes. C’est pratique un mineur, ça ne discute pas, ça ne réfléchit pas beaucoup et ça ne va pas en prison… une arme de choix. Les vacances scolaires étaient là pour ça. Cocktail Molotov la nuit, calme et jonchée de gravas le jour, les rues s’animent et se calment au rythme du nycthémère, comme une marée. L’odeur des poubelles et des pneus brulés persistent dans l’air.
Nouméa sud en revanche va bien et je dirai même plus… mais je n’ose pas… c’est du vernis. Lorsqu’on parle aux gens, le cœur est à fleur de peau et parfois les larmes sont là-derrière, au détour d’une question qui semblait de circonstance. Mais les circonstances ne sont plus là. Elles ont volé en éclat comme le reste… la confiance, le soleil, les amitiés. Alors, on mange une glace face à la mer ou on profite du souffle des alizés.

Nouvelle-Calédonie (capture Le dessous des cartes, Arte)
Nouvelle-Calédonie (capture Le dessous des cartes, Arte)

L’impact économique précipité. La SLN coule… et de deux.

L’impact économique est terrible. Les mots ne suffisent plus pour qualifier la banqueroute. Ce que tout le monde ignore ou feint d’ignorer, c’est que les émeutes sont arrivées à point nommé pour camoufler la dette sous le tapis. Précipiter mamie dans les escaliers, en levant les yeux au ciel… un jeu d’enfants, car elle ne tenait plus debout. Eh, oui ! l’économie du pays était à genoux depuis des années sous perfusion de la France qui paye tout depuis toujours. L’absence de gestion magnifique dont le pays a été victime pendant des décennies n’a pas d’égal. J’en donne un exemple, un seul suffira pour expliquer l’ampleur de la nullité politique. Enercal, la société qui nous éclaire et nous rafraichit, l’électricité la plus chère du monde, est aussi subventionnée par le gouvernement. C’est-à-dire qu’une partie est payée au prorata de notre consommation et que l’autre est payée par… nos impôts… et sans doute un peu la France. Sauf qu’il n’y a là qu’une intention qui n’a jamais été honorée… subvention, jamais versée. Enercal est en faillite, le réseau non entretenu est au bord de la rupture… d’électricité. Une loi est si vite votée, le contribuable va payer les incapacités de gens qui ne sortiront jamais un centime de leur poche. Plus de 30% d’augmentation prévue sur 3 ans… par décret des sus cités incompétents…

Un manque de vision et de cupidité

Les émeutes ne furent que la goutte d’eau qui a fait déborder l’amphore… mais au bon moment. L’instant où tout devenait intenable. Une guerre après l’autre et on oublie de désigner les fautifs de la dernière. C’est tout de même pratique. Depuis la lorgnette économique, on peut crier au coup monté, à la propagande bien orchestrée, à la mascarade… Il n’y a pas, malheureusement, de la part de nos politiques des deux bords autant d’ingéniosité ou d’intelligence. Il y a bien plus de manque de vision et de cupidité que de tout autre chose. L’histoire fait le reste, aveugle, dirigée par des incompétents.
Si on se concentre sur les effets des émeutes, elles ont donc précipité au bas des escaliers une vieille dame chancelante… certes. Mais ce n’est pas la seule conséquence, loin de là. Elles ont ajouté à une chute certaine une énergie cinétique dont l’économie va sortir convalescente sur le long terme. Les effets sont comparables à un pavé jeté dans la mare, l’onde de propagation met du temps avant d’atteindre le rivage. Nombre d’entreprises qui n’ont pas brûlé vont fermer, faute de tissu économique. Et nombre d’employés ne retrouveront pas d’emploi. Les aides vont être rabotées ou supprimées faute de rentrées d’argent en provenance de l’économie. La redistribution est une affaire qui tourne en rond… Autant de gens qui vont se retrouver demain dans la rue. Et le poids de la rue, c’était hier le poids de la peur, ce sera demain le poids de la misère. Sans ces émeutes, l’économie aurait sombré… mais en silence. Là ce n’est plus un naufrage, c’est le fracas des cocktails Molotov venus frapper à nos portes.

Le dossier Nickel

Et avec la misère, son cortège de rapines et d’insécurité. Bientôt à nos fenêtres vont fleurir des barreaux pour se constituer prisonnier à l’intérieur des maisons. Et dans les rues, faudra-t-il sortir avec des armes ou des gardes du corps ? Quid des enfants qui allaient hier à l’école à pied et jouaient seuls dans les parcs ?
Pour en finir avec le volet économique, il y a le dossier du Nickel. KNS, l’usine du Nord a éteint son four début août, se coupant d’acheteurs potentiels qui avaient par ailleurs été évincés par les politiques au prétexte qu’ils voulaient importer de la main d’œuvre… on les comprend un peu. Autant d’emplois en moins. Et dans le sud, la SLN, société historique est en berne, les exploitations de Nickel de la côte Est leur ont été interdites. Une fermeture est imminente. La SLN, c’est la Cafat, caisse de Sécurité sociale locale… Inutile d’en dire plus. Si elle ferme, il n’y aura plus rien de notre tissu à la fois économique et aussi de notre modèle social à la française. Et ceux qui en bénéficient à plein régime sont bien entendu le Nord et les îles.

(Prochain article : « Saint-Louis, priez pour eux » (2/3)

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