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Lettre de novembre 2022 de Gaïa à Aurore Kepler

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Mois des brumes laiteuses sur Kepler

Ma chère Aurore

Voici venir les frimas de mon hémisphère nord. Ils sont tardifs comme ils ne l’ont jamais été. Parce qu’ils se sont fait attendre, leur venue rassure. D’habitude Charmant n’aime pas le froid. Mais il commence à avoir peur d’une incongruité, d’une petite anomalie, d’une perturbation de l’habituel ordre des choses et encore plus d’un bouleversement : car il ne peut s’empêcher de penser qu’il en est le responsable. Toi et moi tournons autour de notre étoile d’une ellipse stellaire et notre axe incliné rapproche ou éloigne tantôt nos deux hémisphères qui se réchauffent ou se refroidissent chacune à leur tour. Comme Charmant sait que ni mon ellipse ni mon axe de rotation ne varient, il s’inquiète des variations de température saisonnières. Il commence à réaliser que son activité émet trop de fines particules, qu’elles me couvrent d’un dôme, d’une chappe, d’un manteau permanent qui génèrent à ma surface des températures au-delà de raison.

Bref l’étouffement climatique est à l’ordre du jour.

Les conséquences de ce réjouissant programme ne convainquent pas encore certains négationistes qui n’admettent pas que l’anthropocène conduira au désastre. Il faudra sans doute attendre que les ours naissent sans fourrure, les agneaux sans laine et les chiens sans pelage pour que ces cervelles obtuses acceptent de combattre le fléau qui ne sera plus maîtrisable. Charmant est vraiment charmant, d’une charmante ignorance, d’une charmante inconséquence, d’une charmante individualité. Chaque Charmant vit sous le charme des croyances qui lui conviennent et il peut trouver tout ce dont il veut se convaincre en consultant ce que l’on nomme les réseaux sociaux. Aujourd’hui sur le Web tout et son contraire coexistent, cohabitent, s’attirent, se repoussent, côte à côte, se combattent en s’ignorant, en s’injuriant, en s’utilisant comme repoussoir, en se niant. On dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs.

On peut dire maintenant que la vérité est décrétée par les menteurs.

Nul besoin de véracité ni de preuves. Un fait devient vérité quand il est suffisamment répété, ressassé, retransmis, relayé en boucle et ce ne sont pas des boucles d’or. Ce sont des boucles qui sont fermées sur elles-mêmes comme celles des accélérateurs de particules, mais ici elles sont malheureusement déformées, désinformées. À cette allure, la régression va progresser. Mais nier le vrai n’empêchera pas la catastrophe. Les faits sont encore plus têtus que les négationnistes. Le grand art du menteur, c’est de faire passer la vérité pour une fausse nouvelle mais la grande force de la vérité c’est de supporter les fausses nouvelles pour triompher un jour, parfois lointain, du mensonge et des menteurs ; et d’apparaître dans sa simplicité, vêtue de probité candide et de lin blanc, avec la sérénité intemporelle de la justesse et du bon droit.

Eh bien, d’après mes dires tu t’en doutes, pour l’instant sur ma terre les maîtres menteurs tiennent le haut du pavé de la communication.

L’ours très mal léché parvient à faire passer tant de faux messages que l’irruption de la vérité n’éclaire plus ses hardes qui avalent goulument tous ses subterfuges comme de délicieuses couleuvres. Il a créé des chaînes d’informations tout entières dévouées à la désinformation. Et le plus cocasse c’est qu’il se sert de ces petits appareils que nous appelons des satellites et qui me tourne autour comme des mouches sur le miel. La plupart de ceux-là sont possédés par l’Occident et ils émettent pour lui des informations qui propagent ses mensonges et son fiel au-delà de ses terres pour charmer de niais peuples à la recherche du leader viril qu’il adore incarner. Il a plus de chance de les berner que ses sujets qui ne croient plus en rien et n’attendent plus le fin mot des histoires ni la litanie des récits : ils se murgent avec application pour laisser peu de temps à la lucidité qui pourrait les faire tomber dans un désespoir encore plus profond.

L’ours a réussi à noyer les poissons rouges dans une mer rouge de mensonges.

La seule solution qu’a trouvé son bon peuple est de se saouler comme au bon vieux temps, comme avant, comme toujours, comme demain, tradition qui s’impose à chacun, chacune, pour supporter le froid, les despotes et l’absence d’avenir.

Au pays de l’ours mal léché, le plus curieux c’est que le clergé – une autre nomenklatura – épouse les affaires de l’État. Ce clergé est puissant, riche, courtisé par le pouvoir temporel pour que son pouvoir spirituel entraîne le peuple sur la bonne voie. Le peuple des ours a une vie de m… et donc, il se console dans la croyance d’un monde meilleur après la mort. Cela donne de l’importance à ses prélats qui sont chargés de conforter une croisade anti-occidentale.

Ainsi les sept péchés capitaux des Évangiles ont été recalibrés à l’aune des désirs du pouvoir :

– Tu n’envieras point les biens d’autrui et plutôt que les désirer, tu les voleras.
– Tu ne seras point avare ni de tes coups ni de tes mensonges et ainsi tu régneras.
– Tu ne te complairas point dans la luxure mais, par un ensemencement adéquat, tu régénéreras un peuple égaré.
– Tu ne te mettras point en colère, mais froidement tu tortureras.
– Tu ne te goinfreras point et à l’Église tu donneras.
– Tu ne paresseras point sur les bords du Dniepr, et donc tu t’en éloigneras.
– Tu ne t’enorgueilliras point d’être trop humain et donc tu ne le seras.

Et cette belle église aide le peuple à accepter le mensonge, à le répandre, à étendre ses vertus : ce mensonge n’est pas un péché capital. Il est fait pour épargner celui à qui on l’adresse et à le préparer : « Ne t’inquiète pas, regarde comme je suis gentil. Approche-toi. Tu ne sais pas encore combien je suis bon. Je n’ai jamais fait de mal, même à une microscopique mouche, alors ça n’est pas avec toi que je commencerai. Tu le sais, certains torturent, violent, dilacèrent les chairs de leur victime vivante, leur mangent le cœur alors qu’ils frémissent encore, mais moi jamais… ». Ce charmant discours rassure au début et a même l’honnêteté de la progressivité. Il a le mérite de diminuer le stress qui durcit les chairs à déguster et de préserver un peu l’espoir de la victime pour prolonger une relative quiétude jusqu’aux dernières paroles qui annoncent la fin malheureuse des autres qui n’ont pas eu la chance de rencontrer un si tendre bourreau.

L’ours gouverne ainsi en ouvrant le ciel aux malheureux qui le subissent.

Ils croient en un monde céleste peuplé d’anges et débarrassé d’un dictateur. Lui dispense les bienfaits et les richesses du territoire à une élite qui, fidèle au pouvoir, peut s’accaparer tous les biens. Pour ne pas désespérer le bas peuple et lui faire conserver un infime espoir d’accéder à cette caste, l’ours en promeut quelques-uns au compte-goutte. En permettant à chacun de rêver, il les contrôle tous. Tant que l’on voit le soleil briller au bout du sentier, on pense pouvoir sortir de la forêt.

Mais pourquoi l’ours si mal léché a-t-il encore l’adhésion de son peuple ?

Parce que le peuple des ours est craintif. Certes il est déboussolé par un siècle de tyrannie communiste, mais surtout il est marqué par son histoire douloureuse pas si ancienne que l’on pourrait se l’imaginer. Ce peuple a la crainte des invasions, des incursions, des razzias, des incendies. Il les a subies. Il n’est pas libre depuis longtemps. C’est pourquoi il s’est isolé en constituant au siècle dernier l’Union Soviétique qui avait pour but d’emmitoufler la grande Russie de petits états tampons pour amortir les coups de boutoir de l’Orient et de l’Occident. Maintenant, il se sent nu et vulnérable car il est seulement protégé par l’Organisation du Traité de sécurité Collective créé en 2002 avec quelques états frontaliers que sont la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan ,le Kirghizistan, la Tadjikistan (L’ours vient d’ailleurs de se faire désavoué par ceux-là même au sommet d’Érévan de ce mois de novembre 2022).

Le Moyen Âge russe a été dramatique.

Dès le début du XII ème siècle, il est sous le joug de la Horde d’Or, fondée par un des fils de Gengis Khan. L’un de ses khan Tokhtamych incendie Moscou en 1382. Puis le turco mongol Tamerlan la menace, mais elle est bien défendue par Vassili Ier en l’an 1395. Ce n’est qu’en 1480 qu’Ivan III prince de Moscou s’allie au khan de Crimée pour affronter la Horde d’or qui se retire des rives de la rivière Ougra faute d’avoir reçu des renforts du roi de Pologne. Mais sous le règne d’Ivan le Terrible, le khan de Crimée avec 120 000 cavaliers conquiert Kazanen en1552, Astrakhan en 1556, et ravage Moscou en 1571. Ces Tatars de Crimée continueront les incursions jusqu’au XVIII ème siècle. La route d’invasion qu’ils empruntent pour faire des sortes de razzia, passe entre le Dniepr et la Donets…

La Crimée est seulement rattachée à la Russie sous Catherine II en 1783.

On pourrait penser que l’ours très mal léché conserve le pouvoir par la force et que sa disparition mettrait fin aux exactions de ses armées. Que nenni ! Il ne faut pas oublier l’histoire que je viens de te rappeler et le fait que ce peuple n’a jamais fait amende honorable pour ses crimes du XXème siècle. Ce qui signifie que la majorité de ce peuple ne pense pas que ses prédécesseurs en fissent. L’ours si insupportable que soit son comportement n’est jamais que le reflet de sa majorité.

Il est acclamé à chaque consultation par une large majorité, même s’il a une forte tendance à bourrer les urnes.

L’ours mal léché subit aussi la concurrence et la surenchère des plus radicaux. Il voit poindre à l’horizon un dauphin, plutôt un ours polaire qui nage vite, court et frappe plutôt par derrière en déchirant avec application et lenteur la chair de ses proies qui lui ont désobéi. Cet ours blanc a constitué une meute qui défile au son des walkyries et il l’a mise au service du pouvoir. Mais jusqu’à quand ? Car l’ours polaire a de l’ambition et voudrait être tsar à la place du tsar. Sa radicalité, sa cruauté, sa détermination en font un candidat à la succession du mal léché. Sa meute vide les prisons pour en faire des guerriers dont on imagine la douceur quand elle s’applique aux vaincus. Il dirige par la terreur.

C’est une tradition là-bas et il n’y a pas d’autre mode de gouvernance. Le chemin sera long.

Ma chère Aurore à cet instant dans mon hémisphère Nord, les feuilles des érables rougissent comme les joues des pucelles aux premières découvertes. Celles des tilleuls jaunissent comme le teint des bileux aux premiers dangers. Celles des noisetiers tombent comme les cheveux aux premiers soucis. Il n’y a guère que les sapins qui gardent leur robe du printemps et défient les saisons. On leur en sait grès et on les coupe pour égayer les foyers de leur verte parure ornée de boules multicolores qui annonceront les Fêtes. Ainsi Charmant passera-t-il encore un peu de temps à s’esbaudir du bon temps qu’il peut encore passer chez lui avant l’apocalypse.

Ta Gaïa

NB : l’ours de l’Oural et son acolyte le blanc viennent d’être déclarés « terroristes » par les états européens. Et mon chéri le petit virus couronné de diadème lance sa neuvième vague d’assaut.

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