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Vercingétorix contre César : la propagande romaine de La Guerre des Gaules

Vercingétorix se rend à César, tableau de Lionel-Noël Royer, 1899. Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay. Wikimédia

Vercingétorix se rend à César, tableau de Lionel-Noël Royer, 1899. Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay. Wikimédia

Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine

La saga Astérix, imaginée sous forme de bande dessinée par René Goscinny et Albert Uderzo, fait désormais partie du paysage cinématographique français, ayant inspiré cinq films depuis 1999. Le dernier, réalisé par Guillaume Canet – Astérix et Obélix, l’Empire du milieu – rencontre déjà un certain succès, quelques jours seulement après sa sortie en salles. L’occasion de réfléchir sur l’histoire de Vercingétorix et la façon dont elle a été racontée et revisitée dès l’Antiquité.

En 52 av. J.-C. éclate en Gaule la fameuse révolte menée par Vercingétorix contre César. Le récit des événements nous en est uniquement transmis par des sources romaines, de langue latine ou grecque, toutes favorables au vainqueur : César lui-même dans La Guerre des Gaules dont il est à la fois l’acteur et le commentateur ; puis les historiens Plutarque (vers 46-125), Florus (vers 70-140) et Dion Cassius (vers 155-235).

La Guerre des Gaules n’est pas un livre d’histoire, comme on l’entend aujourd’hui, mais d’abord une œuvre de propagande à la gloire de César. C’est un ouvrage biaisé dans lequel l’auteur n’hésite pas à travestir les faits.

Attaque de la cavalerie gauloise à Gergovie. Dessin de Victor de la Fuente, Vercingétorix, César, Histoire de France en bandes dessinées, 1976.

Les femmes d’Avaricum et les oies du Capitole

Ainsi, dans son récit du siège d’Avaricum, chef-lieu du peuple des Bituriges, aujourd’hui Bourges, César (Guerre des Gaules VII, 26) invente une anecdote très peu crédible. Les guerriers gaulois assiégés, sentant que la partie est perdue, se décident à abandonner la ville, à la faveur de la nuit. C’est alors, raconte l’auteur, que leurs femmes sortent subitement des maisons ; elles se jettent aux pieds de leurs époux et les supplient de rester.

Comme les guerriers refusent de céder, elles se mettent à hurler si fort qu’elles avertissent les Romains du projet de fuite. Les Bituriges renoncent alors, craignant que les cavaliers ennemis leur coupent la route.

Tout cela est invraisemblable : les Romains, à l’extérieur des murailles et à des centaines de mètres de là, n’auraient pu entendre les cris des Gauloises. Comme le fait remarquer l’historien Jean-Louis Brunaux, le récit de César est calqué sur la célèbre anecdote des oies du Capitole.

Les oies sacrées sauvent le Capitole, dessin d’après un tableau de Henri-Paul Motte, vers 1883.
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Une histoire bien connue, grâce au récit qu’en donne Tite-Live (Histoire romaine V, 47). Vers 390 av. J.-C., des Gaulois, commandés par le roi Brennus, envahissent l’Italie et prennent Rome qu’ils mettent à sac. Seule la colline du Capitole échappe au pillage. Alors que les Gaulois tentent un assaut nocturne de la citadelle, les oies consacrées à la déesse Junon se mettent à pousser des hurlements, réveillant les Romains et les alertant du danger.

La similitude avec le récit de César est évidente : grâce aux cris poussés par les oies comme par les femmes d’Avaricum, les Romains échappent, chaque fois, à une manœuvre militaire de leurs ennemis gaulois.

Vercingétorix livré à César

La scène la plus célèbre de la guerre des Gaules est la reddition de Vercingétorix à l’issue du siège d’Alésia, en septembre 52 av. J.-C. Pourtant, l’évocation qu’en donne César est très brève. Après avoir réuni un ultime conseil de guerre, Vercingétorix annonce à ses hommes : « Vous pouvez disposer de moi, me tuer ou me livrer aux Romains » (César, Guerre des Gaules VII, 89).

Les Gaulois décident de livrer leur commandant après avoir envoyé des émissaires à César. Le vainqueur vient s’asseoir sur un siège, devant son camp. Puis : « les chefs lui sont amenés, Vercingétorix est livré, les armes sont jetées » (eo duces producuntur, Vercingetorix deditur, arma proiciuntur).

La phrase latine, en trois temps, est rythmée par des verbes au passif qui produisent une rime intérieure. Vercingétorix n’est pas l’acteur de sa reddition : il est livré par les siens, en même temps que les autres chefs de la révolte. Cette fois, César s’en tient strictement aux faits. Il ne brode pas pour enjoliver la réalité.

Vercingétorix se rend à César. Tableau de Henri-Paul Motte, 1886. Musée Crozatier, Le Puy-en-Velay.
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Une reddition romanesque

Plutarque (Vie de César 27), Florus (Abrégé de l’Histoire romaine III, 11) et Dion Cassius (Histoire romaine XL, 41) nous donnent une autre version, beaucoup plus romanesque, de cette reddition. Selon eux, Vercingétorix serait venu de lui-même se rendre à César.

Écoutons Florus, « Le roi lui-même, le plus bel ornement de la victoire, vint en suppliant au camp romain et jeta au pied de César les harnais de son cheval et ses armes […]. “Prends-les, dit-il, tu as vaincu, toi le plus valeureux des hommes, un homme valeureux”. »

Il est totalement improbable que Vercingétorix soit ainsi arrivé seul à cheval et armé. Il était sans doute déjà enchaîné, lorsqu’il fut livré aux Romains. Le face-à-face entre les deux chefs militaires, popularisé par les peintres du XIXe en une imagerie mainte fois reproduite dans les ouvrages scolaires, n’a jamais eu lieu.

Mais pourquoi avoir inventé cette reddition si improbable ? Et pourquoi César lui-même n’en a-t-il pas parlé ?

Le Brenn et sa part de butin, tableau de Paul Jamin, 1893.
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Vercingétorix mis en scène par César

César exploite la figure de Vercingétorix dont l’échec contribue à forger la légende du vainqueur. Sans Vercingétorix, César ne serait pas César. Pompée, rival de César, n’avait pas réussi à capturer son ennemi, Mithridate, roi du Pont, qui s’était suicidé, échappant ainsi à son vainqueur. Par contraste, César se fera un plaisir de montrer aux Romains le Gaulois captif, couvert de chaînes, lors des cérémonies de son triomphe à Rome, en 46 av. J.-C.

C’est pour cette raison qu’il a délibérément mis en valeur Vercingétorix, faisant du chef gaulois le personnage le plus important de la Guerre des Gaules, après lui-même, bien sûr. Un ennemi idéal et à sa hauteur, ou presque. César a compris qu’il était bien plus valorisant pour lui de vaincre un ennemi puissant qu’un adversaire faible n’ayant dès le départ aucune chance de l’emporter.

Mais César utilise différents canaux simultanés de propagande qui n’ont pas le même statut. Il laisse à des collaborateurs, qui ne signent pas leurs compositions de son nom, le soin de diffuser les anecdotes les plus improbables, afin qu’il n’ait pas lui-même à les accréditer.

Le récit romanesque de la reddition de Vercingétorix entre dans cette catégorie. Plutarque, Florus et Dion Cassius l’ont tirée d’un ouvrage, aujourd’hui perdu, composé à la gloire de César, et offrant une version de la Guerre de Gaules plus attrayante que le récit césarien. L’épisode contribue à renforcer la figure charismatique de César. C’est pourquoi, selon Florus, Vercingétorix se définit lui-même comme un « homme valeureux », vaincu par « l’homme le plus valeureux ».

Vae Victis ! Dessin de Jacques Martin, Alix, Les légions perdues, 1965.

Brennus vaincu

C’est encore dans l’histoire de Brennus que les conseillers de César ont pu trouver le modèle qui a inspiré ce récit. Après l’échec de sa tentative d’assaut nocturne, Brennus finit par négocier la levée du siège du Capitole avec le tribun militaire romain Quintus Sulpicius. Il se retirera en échange de mille livres d’or. Les Romains acceptent le marché. Tandis qu’ils apportent le métal précieux pour le peser, Brennus jette son épée dans la balance, exigeant son poids en or, en plus du montant préalablement négocié. Il lance alors son fameux « Malheur aux vaincus ! » (Vae Victis !).

Le récit de la reddition de Vercingétorix pourrait se référer à ce célèbre épisode dont il fournit une image retournée dans un sens positif pour les Romains. Vercingétorix, comme Brennus, jette son arme, mais il est en position de vaincu. On a, dans les deux cas, une confrontation entre Romains et Gaulois, une tentative de négociation qui échoue et une conclusion comparable : malheur au vaincu ! César n’accordera pas son pardon à Vercingétorix.

Le schéma narratif est le même, mais dans un sens inversé, pour permettre au vainqueur de la guerre des Gaules de laisser entendre qu’il est venu à bout d’un nouveau Brennus. Une belle revanche pour les Romains autrefois humiliés par les Gaulois !

Vercingétorix selon Vercingétorix et Vercingétorix selon César. A gauche, monnaie gauloise en électrum, 52 av. J.-C. Paris, Cabinet des Médailles. A droite, denier romain en argent, 48 av. J.-C. Paris, Cabinet des Médailles.

Vercingétorix barbarisé

César fit frapper de nombreuses monnaies qui lui servirent autant à payer ses hommes qu’à diffuser sa propagande. À l’avers d’un denier, émis en 48 av. J.-C., apparaît le visage caricatural d’un Gaulois dans lequel on peut reconnaître Vercingétorix, grimé en Barbare hirsute. C’est dans cet accoutrement que le vaincu fut exhibé dans les rues de Rome, lors du triomphe de César.

Le véritable Vercingétorix était parfaitement rasé, à l’instar des Romains de l’époque, comme le montrent ses propres monnaies. Son profil y est très différent de celui du denier romain. Membre éminent de l’élite du peuple des Arvernes, Vercingétorix se trouve, après sa défaite, assigné par César à l’apparence du Gaulois caricatural selon l’imaginaire des Romains. César voulait un vrai Barbare comme faire-valoir, non un Gaulois romanisé.

Denier en argent de César, 46 av. J.-C. Buste de Vénus. Au revers : trophée gaulois surmonté d’un casque à cornes ou doté de protège-joues dressés vers le haut.

Un faux casque à cornes ?

Au revers d’un autre denier, César fit représenter un trophée constitué d’armes gauloises traditionnelles dont un impressionnant casque qui semble pourvu de cornes, à moins qu’il s’agisse de protège-joues dressés vers le haut.

Quoi qu’il en soit, l’intention de rendre l’ennemi terrifiant est évidente. On peut même supposer que si les trophées de César étaient surmontés de ces casques, c’est parce que César lui-même les avait fait fabriquer. De faux couvre-chefs effrayants pour mettre en valeur César comme héros et sauveur de la civilisation.

Plus de 2 000 ans après Jules César, le président américain George W. Bush et son administration inventeront les prétendues armes de destruction massive qu’aurait possédées Saddam Hussein. Un mensonge qui servit de prétexte à l’invasion américaine de l’Irak en 2003.


Christian-Georges Schwentzel a publié « Manuel du parfait dictateur. Jules César et les “hommes forts” du XXIᵉ siècle », aux éditions Vendémiaire.The Conversation

Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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