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Pascal Elbé : « Le terreau de l’antisémitisme, c’est l’ignorance »

« Je n’avais pas envie de faire un film au premier degré, donneur de leçons sur l’Histoire », confie l’acteur-réalisateur qui a tourné « La bonne étoile » dans les Vosges. Une fable qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale : « Il y a un principe de comédie fort, mais pour autant il faut bien raconter l’Histoire, sans complaisance et sans se flageller », estime-t-il.

Pascal Elbé a choisi de tourner « une tragicomédie qui évite de se prendre trop au sérieux ».

Drôle de guerre. Déserteur dès son premier jour au front, en 1940, Jean Chevalin, joué par Benoît Poelvoorde, revient vite auprès de son épouse Paulette (Audrey Lamy) et de leur fils. Ainsi commence « La bonne étoile » (sortie le 12 novembre), quatrième film réalisé par Pascal Elbé depuis « Tête de Turc ». Parce qu’il entend au café du village que « ce sont eux qui s’en sortiront le mieux », Chevalin a la drôle d’idée de faire comme « eux », de porter l’étoile jaune, changer d’identité (la famille s’appelle désormais Chevalinovitch) et se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas, Juifs, en espérant passer en zone libre.

De ce pathétique opportunisme, Pascal Elbé a choisi de faire « une tragicomédie qui évite de se prendre trop au sérieux », ainsi qu’il le confiait lors de l’avant-première de son film au cinéma Les Korrigans, à Guingamp. « L’idée est de parler d’une période un peu sombre avec des moments de gaieté et de joie », estime l’acteur-réalisateur, qui fait « une sorte de portrait de la France de l’époque ». Son récit est ainsi réellement ancré dans la guerre, avec des passeurs arnaqueurs, des résistants arrêtés, des Juifs raflés, une baronne (Zabou Breitman) qui dirige un réseau de résistance tout en recevant des officiers allemands, des miliciens français qui font le sale boulot, de « bons » Français qui écrivent des lettres anonymes… et des enfants qui se demandent si c’est bien ou pas d’être juif.

« J’ai appris beaucoup sur cette période que je pensais connaître », dit Pascal Elbé, « Faire un film historique nous emmène toujours un peu plus loin, c’est un voyage qui m’a un peu dépassé ». Aussi lâche qu’il peut être drôle, le personnage de Poelvoorde dévoile aussi une simple humanité. « S’il y a de l’émotion pour faire réfléchir, tant mieux, mais mon métier c’est de divertir », assure Elbé, qui a décidé de « mettre un nez rouge et essayer quand même de faire sourire ».

Pascal Elbé : « On a trouvé tous les décors dans les Vosges »

« Les Vosgiens vous ouvrent la porte en très grand, j’étais très heureux d’être dans le Grand Est », confie Pascal Elbé, lui-même originaire d’Alsace et qui a choisi comme « une évidence » de tourner « La bonne étoile » en Lorraine.

Pourquoi avoir choisi les Vosges pour tourner votre film ?

Pascal Elbé : Je connaissais un peu les Vosges, Gérardmer quand j’étais plus jeune, j’habitais Strasbourg, mais quand on sait y aller, il y a des décors naturels magnifiques, une cinématographie, il y a tout. Je ne pensais pas tourner entièrement dans les Vosges, et finalement, on y a trouvé tous les décors, on était limité par le budget et on a tout trouvé sur place, on a été assez chanceux. Évidemment quand on fait un film comme ça, on fait participer tout le monde, on a fait appel à des acteurs de la région, des techniciens, des artisans, des collectionneurs…

« La bonne étoile » fait référence à un certain cinéma à l’ancienne, on pense à « La grande vadrouille » pour la guerre et « Rabbi Jacob » pour les clichés, qui sont tous les deux des comédies…

Oui, il y avait ça, et puis la force de la tragicomédie italienne qui m’a beaucoup influencée, il y a toujours ce grand écart, cette légèreté, ce soin de détourner les clichés pour les tourner en ridicule. Au début j’étais parti trop près du burlesque de « La grande vadrouille », où on balance des citrouilles sur les Allemands ; dans mon film, le danger est réel, il faut servir l’Histoire, la restituer, faire un pas de côté, la revisiter peut-être, mais pas la trahir.

« L’idée est de parler d’une période un peu sombre avec des moments de gaieté et de joie », estime l’acteur-réalisateur qui joue dans son film (Photos Yann Zenou Entertainment).

Votre film est une fable, avec une part de naïveté, ce qui s’entrechoque avec l’époque actuelle, violente et antagoniste ?

Évidemment pour moi ça résonne d’une façon terrible avec aujourd’hui, où il faut en permanence choisir son camp, mais c’était important de le faire. Dans une avant-première, un spectateur m’a dit que ce n’était pas le moment, mais ce n’est jamais le moment. Évidemment quand on traite de l’antisémitisme, c’est sujet un peu compliqué, mais je détesterai qu’on dise que ce film est important et nécessaire, il ne faut pas faire peur aux nouvelles générations. Je trouve dommage que l’actualité prenne en otage la culture, j’aurais pu écrire ce film il y a cinq ans ou dans cinq ans, ça n’aurait rien changé.

« Je n’ai aucune indulgence pour la paresse »

Reprenant le préjugé « c’est eux qui s’en sortiront le mieux », l’antisémitisme du personnage joué Benoît Poelvoorde tient plus de la bêtise que d’une véritable haine ?

Il y a ce fantasme toujours qui perdure, encore une fois le terreau de l’antisémitisme c’est l’ignorance mais ça reste quand même de l’antisémitisme. Jacques Brel disait dans une interview que l’ignorance c’est de la paresse, et je n’ai aucune indulgence pour la paresse parce qu’aujourd’hui il y a tout pour savoir, on continue à perpétuer ces clichés et moi j’ai moins de complaisance.

Finalement, ce personnage va d’ailleurs devenir un résistant malgré lui…

Ce personnage part d’assez bas, mais peut s’affranchir de son ignorance et de ses préjugés pour s’élever et devenir presque un mensch, j’ai du mal à me dire que chaque personne est fondamentalement mauvaise. Je n’avais pas envie de faire un film au premier degré, donneur de leçons sur l’Histoire. Il y a un principe de comédie fort, mais pour autant il faut bien raconter l’Histoire, sans complaisance et sans se flageller, il y a eu des Justes, des gens qui ont résisté, et d’autres qui ont collaboré.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« La bonne étoile », un film de Pascal Elbé, avec Benoît Poelvoorde, Audrey Lamy, Zabou Breitman (sortie le 12 novembre).

Déserteur qui se fait passer pour Juif, le personnage joué par Benpît Poelvoorde (à gauche) va finalement devenir un héros malgré lui.
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