Pologne
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

« La plus précieuse des marchandises » fut jetée d’un train

Adaptation d’un livre de Jean-Claude Grumberg, ce film d’animation réalisé par Michel Hazanavicius est un bouleversant conte tragique, un hommage aux Justes qui ont sauvé des vies, alors promises aux camps de la mort.

Il était une fois une pauvre bûcheronne qui recueille un bébé dans la forêt.

C’est un conte, qui pourrait commencer par « Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne ». Film d’animation réalisé par Michel Hazanavicius (qui a reçu le soutien de la Région Grand Est), « La plus précieuse des marchandises » est effectivement l’adaptation d’un conte écrit par le dramaturge Jean-Claude Grumberg (sortie le 20 novembre), sélectionné en compétition au Festival de Cannes et présenté en avant-première au Festival de Deauville.

Cinéaste de films aussi différents que d’hilarants « OSS 117 » et le multi-Oscarisé« The Artist », Michel Hazanavicius ne s’était encore jamais confronté au cinéma d’animation, alors qu’il dessine « depuis tout petit », dit-il. C’est donc lui qui a dessiné les personnages de ce film, d’abord inquiet de la reproduction de la Shoah au cinéma : « L’animation est à mon sens le seul moyen de ne pas faire trop de bêtises », estime-t-il, cette technique permettant « une réinvention du réel » et une distance nécessaire. « J’ai eu un peu peur, je n’avais absolument pas envie de rentrer dans ce truc-là, mais l’histoire écrite par Jean-Claude Grumberg m’a tellement ému, bouleversé, ça m’a déchiré », confiait le réalisateur à Deauville.

Une « race maudite », les « sans-cœur »

Il était une fois, donc, un couple de bûcherons vivant isolé dans un grand bois, souffrant d’un hiver de froid, de faim, et de misère, alors que la guerre gronde au loin. Désespérée, l’épouse fait une prière pour que quelque chose tombe d’un de ces trains ne cessant de circuler sur la voie ferrée qui traverse la forêt. Elle est exaucée au-delà de ses espérances. Alors qu’elle ramasse du bois, fagot sur le dos, elle entend les pleurs d’un bébé, jeté depuis un train, tandis que tombe la neige.

D’abord, le bûcheron n’en veut pas chez lui, de cet enfant, cette petite fille née parmi une « espèce » détestée, une « race maudite », les « sans-cœur ». C’est alors dans la remise que vont dormir la « petite marchandise » et sa mère adoptive. Jusqu’à ce que le bourru bûcheron ne découvre que la petite « sans-cœur » a elle aussi un cœur qui bat, et ne craque pour ce petit ange, aussi dangereux soit-il pour le couple de l’élever comme leur fille. « Elle vivra » donc, grâce aussi au lait de la chèvre d’un voisin, à la gueule cassée par la guerre d’avant.

Un graphisme à la beauté mélancolique

Les superbes images sont un mélange des premiers Disney, de la peinture russe du XIXème siècle, des estampes japonaises, et des œuvres du peintre français Henri Rivière.

Lorsque revient le printemps, leur secret est éventé, dévoilant la noirceur du cœur des hommes. Un oiseau guide les spectateurs jusqu’au camp tout proche, où des familles ont été « dispersées en fumée ». Survivant fantomatique de cet enfer, le père du bébé marche le long de la voie ferrée, pour retrouver là où il l’a jeté hors du train, retrouver son enfant. Raconté par « la plus belle voix du cinéma français », celle de Jean-Louis Trintignant, le film aurait certainement été encore bien plus fort sans jamais pénétrer dans un camp de l’horreur, illustré par d’horribles croquis. Mais « La plus précieuse des marchandises » est un conte tragique, bouleversant, forcément bouleversant, qui évoque le pire du pire avec humanité, délicatesse, et sensibilité.

Sous la direction artistique de Julien Grande, les images sont superbes, la beauté mélancolique du graphisme mélangeant les premiers Disney, la peinture russe du XIXème siècle, les estampes japonaises, et les œuvres du peintre français Henri Rivière. Aux bruits de la forêt et du travail du bûcheron s’ajoutent les voix des personnages (Dominique Blanc, Grégory Gadebois, Denis Podalydès) et une musique composée par Alexandre Desplat. Allant quand même vers « une belle histoire » plutôt qu’un film de plus sur la Shoah, ce singulier long-métrage est un hommage à ces Justes qui ont sauvé des vies, promises alors aux camps de la mort. Et c’est sur une fin déchirante que résonne la voix de Trintignant : « La vie continue, le reste est silence ».

Patrick TARDIT

« La plus précieuse des marchandises », un film d’animation de Michel Hazanavicius (sortie le 20 novembre).

Europe France Normandie Pologne