« Il me reste deux films à faire », confiait le cinéaste aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer. Lui qui a tourné une cinquantaine de films est cette fois le filmeur filmé par Philippe Azoulay, qui lui consacre un documentaire, « Tourner pour vivre ».
Quelques jours après la disparition de Jean-Paul Belmondo, Claude Lelouch rendait hommage à son ami au Festival de Deauville, où le public découvrait ensuite son dernier film, « L’amour c’est mieux que la vie ». Quelques mois plus tard, c’est lui qui était honoré aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où était présenté en avant-première le documentaire que Philippe Azoulay lui consacre, « Tourner pour vivre » (sortie le 11 mai). Le documentariste propose « un voyage cinématographique avec Claude Lelouch », et a tenté de « capter les processus de création » du réalisateur d’une cinquantaine de films, dont « Un homme et une femme » (Palme d’Or, Oscar…), « L’aventure c’est l’aventure », « Les Uns et les Autres », « Itinéraire d’un enfant gâté », « Les Misérables »…
Huit ans durant, Azoulay s’est donc glissé dans les pas de Lelouch, ce « doux dingue » de 84 ans, dont soixante de cinéma. A la montagne, sur le tournage de « Salaud, on t’aime » avec Johnny et Eddy Mitchell, avec son fidèle compositeur Francis Lai, en repérages en Inde avec sa compagne la romancière Valérie Perrin, puis sur le tournage de « Un + Une », avec Jean Dujardin et Elsa Zylberstein… « Ce n’est pas compliqué de suivre Claude, parce que c’est un être extrêmement simple, on s’entend très bien, on est dans un rapport de complicité, de compréhension, et de partage, on est deux copains, on partage les mêmes passions, pour la vie, le cinéma… » , raconte Philippe Azoulay, « Là, c’était de partager sa passion, son énergie, qui est le dénominateur commun de ses films. Claude ne m’a rien imposé, j’ai vraiment été libre de faire le film comme je voulais ».
Pour une fois, Lelouch le filmeur était celui qui était filmé : « On fait le même métier, on est des cinéastes cameramen. Il y a deux sortes de metteurs en scène, ceux qui sont à côté de la caméra font de la mise en scène, et ceux qui sont derrière la caméra font de la mise en vie, c’est tout à fait différent. On ne voit pas la même chose derrière la caméra qu’à côté », dit-il. « Tourner pour vivre », vivre pour tourner : dans ce film, Lelouch apparait tel qu’il est, toujours entre deux projets, deux films, mille idées… Agacé que Woody Allen ait fait plus de films que lui, filmant des dernières fois, la vie et le temps qui passe.
« Je suis un reporter de la vie »
« Il me reste deux films à faire, et déjà si j’arrive à les faire je serai très content », confie Claude Lelouch. Conversation à bâtons rompus, lors des Rencontres du Cinéma de Gérardmer, avec le cinéaste qui a le même âge que « Blanche-Neige ».
CINEMA. « J’ai fait cinquante films, cinquante fois je suis retourné à l’école. C’est un métier qui relève un peu de la folie, il faut être un peu fou mais on ne meurt jamais d’une overdose de rêve. J’ai appris que j’étais fou et que cette folie finalement m’avait permis de faire des films. Ce n’est pas un métier raisonnable, ce n’est pas un métier rationnel, si on m’avait dit un jour que je ferai cinquante films je ne l’aurais jamais cru. Je me suis laissé porté par la vie, par les événements, je travaille avec un immense scénariste qui s’appelle la vie, tous les personnages de mes films je les ai croisés, les textes, les dialogues, je les ai plus ou moins entendus, je suis un reporter de la vie, j’ai été un peu témoin de mon époque, de mon temps, je fais des films d’humeur, sur le moment qui passe, je suis un homme du présent et le cinéma filme le présent, donc c’était un média formidable pour moi ».
OPTIMISTE. « Je crois qu’on ne saura jamais d’où on vient et où on va, on est tous arrivés dans un film qui était commencé avant nous, et on sera obligé de partir avant la fin du film, donc j’ai profité des séquences que la vie m’avait offerte. J’ai fait des films d’humeur, du moment, j’ai été le cobaye de mes propres films, j’ai eu sept enfants avec cinq femmes différentes, donc ça donne déjà pas mal de scénarios. J’ai profité de la vie, j’ai joui de la vie, j’essaie de faire des films optimistes, je n’aime pas trop les films qui se terminent bien ni les films qui se terminent mal, j’aime les films où il y a de l’espoir. On est dans une société où le négatif a trop d’importance, les mauvaises nouvelles ont trop de succès ».
PERSONNAGES. « Les hommes et les femmes de mes films, ce ne sont pas des super-héros, ni des super-salauds, ce sont des hommes et des femmes qui ont les qualités de leurs défauts, ce n’est pas un métier héros, et ce n’est pas un métier salaud ».
« Le bonheur est très difficile à filmer »
NON. « Je ne remercierai jamais assez les gens qui m’ont dit non, ça m’a permis de trouver ceux qui m’ont dit oui. Je suis positif, j’ai plutôt tendance à dire oui que non. Avec mes films, j’ai souvent mis de mauvaise humeur certains critiques, parce que je suis positif ».
BONHEUR. « Le bonheur est très difficile à filmer, on veut bien donner du bonheur aux gens à condition qu’ils aient payé l’addition, le bonheur c’est quand les emmerdes se reposent ».
MORT. « Je n’ai pas peur de la mort, j’ai le trac, mais il y a une grande différence entre avoir peur et avoir le trac. Je pense que la mort est la plus belle invention de la vie, parce que si la mort n’existait pas on serait tous chiants, on deviendrait insupportables. A l’âge que j’ai, je commence à voir la ligne d’arrivée, je crois que la vie est une course d’emmerdements au pays des merveilles, les merveilles sont tellement formidables qu’elles font digérer tous les emmerdes ».
VACANCES. « J’ai vécu une grande histoire d’amour avec le cinéma, ce qui donne un sens à la vie c’est l’amour, tout le mal qu’on se donne dans la vie c’est pour aimer ou être aimé. Je n’ai fait dans ma vie que des choses que j’aimais, je suis en vacances depuis que je fais du cinéma, cela fait soixante ans que je suis en vacances, j’ai eu beaucoup de chance, j’ai connu des hauts, des bas, des succès, des échecs, ça fait partie d’un jeu qui fait que j’ai plus appris de mes échecs que de mes succès ».
VIE. « Je suis intimement convaincu que le mal est l’inventeur du bien, et que tout ce qui nous arrive dans la vie c’est pour notre bien, même si sur le moment c’est cruel, il faut accepter, le pire n’est jamais décevant. Si vous êtes modeste dans la vie, vous avez plus de chances d’être heureux que si vous êtes prétentieux. Il faut accepter que la vie a plus d’imagination que nous, et qu’elle se mêle de la vie de tout le monde, elle peut à tout moment contrarier tous nos projets, ou les améliorer ou les punir. Moi j’aime la vie, et j’ai le sentiment qu’elle m’aime bien ».
« Mes films sont aussi mes enfants »
CHANCE. « Ma bonne étoile, elle a de l’humour. Par exemple, le chiffre 13, quand il est là les choses se passent plutôt bien ; mais si je décide de sortir un film le 13, je me plante. La chance et le hasard ont beaucoup d’humour, et ils adorent les surprises. Chaque fois que j’ai devancé ces surprises, j’ai été déçu. Quand je sors « Un homme et une femme », jamais je ne peux imaginer ce qui va arriver à ce film, jamais, personne ne peut l’imaginer, quelle surprise ! ».
VÉRITÉ. « J’essaie de filmer la spontanéité, personne ne détient la vérité, la spontanéité c’est ce qui est à mi-chemin entre le mensonge et la vérité, c’est un parfum de vérité, un moment de vérité qui dure une seconde, deux secondes, trois secondes… Dans tous mes films, je parle de ce que je connais, ils sont tous un peu autobiographiques ».
ENFANTS. « Mes enfants pensent que leur père est fou, ils ont compris pourquoi j’avais consacré plus ma vie au cinéma qu’à eux. Pour mes enfants, je suis une sorte de Samu, ils m’appellent quand ça va mal, j’aurais aimé aller les chercher à l’école, leur faire faire leurs devoirs, je n’ai pas eu le temps. Mes films sont aussi mes enfants, en fait j’ai eu 57 enfants, on les aime de la même façon. Les enfants, ce sont mes emmerdes préférées ».
PUBLIC. « Les films appartiennent au public, les vrais producteurs c’est le public. Ma plus grande satisfaction, c’est quand je croise quelqu’un qui me dit ‘’Grâce à vous, je fais du cinéma’’ ou ‘’Grâce à vous, ma vie a changé’’, ça me bouleverse. Je ne savais pas à quel point mes films avaient laissé des traces, c’est un grand plaisir, inconscient ».
DIEU. « Je crois au cinéma comme d’autres croient en dieu. Je pense qu’un jour un film sera tellement réussi, tellement parfait, fait par un metteur en scène, homme ou femme, qui aura un tel esprit de synthèse, qu’en deux heures ce film pourra changer l’histoire du monde, j’en suis sûr ».
AVENIR. « La prise de conscience des hommes et des femmes aujourd’hui est très importante, on vit une époque révolutionnaire qui va obliger à changer le monde, le mode d’emploi du monde. On traverse une période qui va fabriquer une génération formidable. Les mômes d’aujourd’hui veulent changer le monde, ils veulent sauver la planète. Je crois dans l’incroyable fertilité du chaos ».
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Tourner pour vivre », un documentaire de Philippe Azoulay (sortie le 11 mai).