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Lettre de septembre 2024 : Réflexions sur la guerre

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, Aurore Kepler disserte sur la paix et sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine, Israël et Gaza…

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

 Lettre de septembre sur Gaïa
 Lettre du mois des framboises éclatantes sur Kepler

Ma très chère Gaïa,

Je viens de te lire et je suis ravie de te savoir en vie car on ne sait jamais ce qui te guette avec ton fichu petit humanoïde. Ici, la trêve olympique n’existe pas car les guerres sont si peu fréquentes que la trêve est un état naturel qui ne se remarque pas : Ignoti nulla cupido (on ne désire pas ce que l’on ignore) dixit, si je me le rappelle bien, ton poète latin Ovide.

En revanche, mes petits Ovoïdes jouent moins que tes Charmants. Ils aiment les jeux bêtes comme « choux-fleurs en fleurs », « poisson pilote » ou « roule-moi dans la farine » mais c’est bien le pentoeuf qui, comme tu ne te le rappelles sans doute pas, consiste à se laisser rouler en partant du haut d’une pyramide, tout en résolvant un problème complexe et ce, sans se crasher en bas pour faire une omelette égyptienne… 

Le bélier a décidé d’aller pisser sur le territoire de l’Ours brun

Mais chez moi il n’y a pas de grandes migrations organisées pour s’agglutiner au bord des cendrées, s’exclamer dans des palais mythiques ou se passionner au pied d’une tour illustre. Mes Ovoïdes ne se peinturlurent pas aux couleurs de l’arc en ciel pour soutenir un pays ou une cause et s’enflammer comme un fagot de brindilles pour soutenir des super héros, dieux du stade vengeurs et adulés.

Profite pleinement de ces distractions qui font de ta charmante humanité un corps presque homogène dont le mélange des parties n’est pour une fois pas détonnant. Comme ton Charmant est, je dirais, étonnant, changeant, quémandeur rarement satisfait, ronchon puis enthousiaste, malheureux puis oublieux de ses tracas qui ne sont en fait que des distractions qu’il se programme pour éviter de penser à son errance dans l’Univers !!!

Malheureusement, j’apprends par ta lune que la guerre fait toujours rage en ton Ukraine et depuis peu en ta Russie… Car le bélier a décidé d’aller pisser sur le territoire de l’Ours brun qui est suffoqué par l’odeur et se convulse de tant d’audace. J’espère que le téméraire ira se soulager jusque dans la Moskova pour apprendre au malotru les règles du vivre ensemble. L’ours blanc avait esquissé un mouvement de troupe vers Moscou sans y vraiment croire. Il l’a payé de sa vie car n’a pas osé réaliser l’impensable. Mais c’est bien l’impensable, car impensé par l’adversaire, qui peut retourner une situation. Et tes croyants diraient que Dieu sait si elle a bien besoin d’être renversée pour épargner le territoire du bélier qui souffre d’une invasion digne d’un temps que tu croyais révolu mais qui ne l’était pas.

« La guerre n’est que la simple continuation de la politique »

Ton fameux Clausewitz dirait qu’il ne faut aucun scrupule une fois le conflit déclaré et que si l’on veut gagner, il ne faut surtout pas épargner l’adversaire : « Dans un état aussi dangereux que la guerre, les pires erreurs sont celles que nourrissent les bons sentiments ». Du côté des bons sentiments, l’Ours brun en est si bien dépourvu qu’il a pris de l’avance sur son adversaire et qu’il faut souhaiter au bélier plus de cruauté pour amoindrir tout ce qu’il pourra des forces colossales de son envahisseur.

Le dessein du bélier est de conquérir une province russe pour s’en prévaloir quand viendra le temps des négociations. Car ses forces sont moindres que celle de l’Ours mal léché. Et il cède petit à petit face à cet adversaire qui a le nombre et a restauré son arsenal grâce à ses alliés chinois, iraniens et coréens. Et s’il veut être en position d’échanger cette province contre une partie de son territoire occupé, le bélier devra s’y installer durablement.

La guerre n’étant que la simple continuation de la politique (Clausewitz §24, chap 1, liv 1), si tu considères la politique comme l’intelligence de l’État personnifié, alors tu pourras comprendre l’attitude de l’Ours brun qui ressent la faiblesse de ses institutions face à celles de l’Occident pour satisfaire le bonheur de son peuple. Et il sait que cette guerre contre cet adversaire plus faible est la dernière occasion car la prochaine fois, du fait de l’extension de l’OTAN, l’adversaire sera plus fort et nucléaire. L’Ours va donc réduire ses troupes sur le front ukrainien pour faire barrage sur son territoire.

Il était moribond, puis soudain…

Le bélier, lui, a calculé que cette appropriation de latrines extra territoriales aurait trois avantages :

  • Un, affaiblir le front d’invasion,
  • deux, sortir une carte de négociation et
  • trois, redoper le moral de sa population.

Il est malin et il n’a pas surestimé la force de l’adversaire ni sous-estimé la sienne, comme tes Charmants le font si souvent ma chère Gaïa. Il a profité d’une aubaine de déminage de la frontière – faite en vue de permettre une nouvelle invasion russe – pour s’engouffrer dans la brèche et faire voler en éclat la rhétorique d’une opération spéciale soi-disant ne mettant pas en péril la population du pays du plantigrade.

Le bélier sait lui aussi que la guerre est l’activité charmante la plus gorgée de hasard, au milieu du danger et que la plus grande qualité qui y prévaut, c’est le courage : « La bravoure, la confiance dans son étoile, la hardiesse, la témérité, n’en sont que les manifestations et toutes ces dispositions recherchent l’imprévisible, parce qu’il est leur élément naturel… la guerre à travers sa trame et sa chaîne est un jeu de possibilités, de probabilités, de chance et de malchance, et que de toutes les manifestations de l’activité charmante, c’est du jeu de cartes qu’elle se rapproche le plus.» (ibid §20-21-chap 1-liv 1).

Car le bélier était presque couché sur le flanc, le mufle sanguinolent. Son blatère implorait la pitié, on le pensait prêt à négocier, voire à capituler. Les services du plantigrade avaient pourtant vu des troupeaux de moutons harnachés transhumer aux limites de l’Empire ! Mais comment prendre au sérieux un si ridicule adversaire ! Le bélier geignait du manque d’effectifs, laissait croire qu’il ne pouvait user des armes occidentales sur le territoire de l’ours. Il cédait du terrain dans le Donbass parce qu’il prélevait des troupes pour la belle attaque. Il était moribond.

« La guerre est une merveilleuse trinité »

Et puis soudain – j’imagine de si loin – l’échappatoire, magistral, imprévisible, grandiose : la percée des lignes de l’ennemi, le franchissement de la frontière de l’Empire jamais violé depuis la dernière grande guerre, la pénétration sur son territoire, suivie d’une véritable invasion. Ah, quelle audace, quelle organisation, quel retournement !!! Notez, messieurs les historiens, le coup d’anthologie, le changement de camp de l’espoir, la reprise en main du destin. Le déplacement des doutes, la refondation d’un projet, le retournement d’une situation plus que compromise.

Le bélier n’avait presque plus qu’une carte à jouer, des cartes qui dans sa grande faiblesse lui tombaient des mains, mais ce fut un coup splendide. Un guet-apens du jeu de bridge qui ne laisse pas le choix à l’autre. Un coup médité, rusé, compliqué, une prise à la gorge de l’adversaire en lui présentant une carte qui l’oblige à faire un choix après lequel le meneur peut se défausser et garder celle qui gagnera. En vérité la réalisation d’un squeeze qui étrangle l’autre quand on a deviné ses armes pour mieux les neutraliser.

Ma très chère Gaïa, tu n’as pas oublié que la guerre est une « merveilleuse trinité :

  • Faite d’une violence originelle de haine et d’hostilité qui opère comme un instinct naturel aveugle et doit exister entre les peuples en conflit.
  • Faite d’un jeu de probabilité et de hasard qui en font un jeu de l’esprit du général et de son armée.
  • Faite de sa nature politique qui appartient à l’entendement pur qui appartient au chef de l’état. » (ibid § 28)

Tu pourras ainsi voir qu’il manque à l’Ours brun – même s’il a la force des armes et la volonté politique – un argument de poids pour gagner cette guerre : la haine entre ces peuples qui parlent la même langue et ont le même alphabet. C’est la raison pour laquelle l’Ours encourage les exactions de son armée pour que ces deux peuples se haïssent. Mais peut-on éternellement instrumentaliser des millions d’âmes ? Je te pose la question car je n’ai pas la réponse. Mais j’ai l’impression que les vœux de ton Ours font fi de tous sentiments d’humanité, même si la violence est endémique dans les moindres couches de sa population (souviens-toi du Roman Russe d’E.Carrère). Tu dois garder l’espoir de la persistance d’un embryon de compassion au fond du cœur des moujiks.

Une puissance qui possède le maléfique champignon nucléaire

Je pense que la vision politique de ton Ours brun – celle de la perception d’un monde occidental, ayant gagné la guerre froide, plus fort que le sien – ne lui a pas laissé d’autre choix que d’attaquer cet Occident avant que cet Occident ne l’attaque, non pas les armes à la main, mais par la séduction de son peuple. Il est certain d’avoir une mission héritée des tsars. Chez lui, il a éliminé tous les démocrates qui auraient pu lui faire de l’ombre voire le battre après des élections honnêtes. Comme l’écrivait ton Machiavel (Le Prince §8) « … ça n’est pas une vertu d’avoir tué ses concitoyens, trahi ses amis, d’être sans foi sans piété, sans croyance, mais ces manières peuvent faire acquérir le pouvoir si ce n’est la gloire. » À mon avis l’Ours brun pense qu’à défaut de gloire immédiate, il bénéficiera d’une célébration tardive voire posthume d’avoir défier le modèle occidental et d’avoir agrandi l’empire qui avait été disséminé par la perestroïka de Gorbatchev.

Comme le bélier sait la victoire invraisemblable contre l’Empire, il a toutes les raisons de demander la paix. C’est pourquoi il a envahi une province impériale qui servira de monnaie d’échange pour récupérer une partie des siennes. Car il a essayé de rompre les alliances de l’adversaire en visitant l’oncle Xi, mais il n’y est pas parvenu.

L’un des rares reproches que l’on puisse faire au bélier est celui de l’appréciation de son usure. Pour Clausewitz, c’est la plus importante et la plus fréquente des méthodes utilisées pour épuiser progressivement les forces physiques et la volonté par la durée de l’action. Car durer est plus aisé quand les objectifs sont modestes. L’autodéfense simple en est la base mais le bélier s’est senti pousser les ailes de Pégase quand il a proclamé son désir de reconquête de la Crimée. Il a oublié qu’il ne pouvait pas gagner contre une puissance qui possède le maléfique champignon nucléaire et trois fois sa réserve de chair à canon.

Mentir est un art consommé de la pré guerre

Et quand tu liras encore Machiavel, tu apprendras qu’un bon général en chef tel Philopœmen (ibid §14) ne pensait jamais à rien d’autre qu’aux manières de la guerre en temps de paix. Penser toujours à la guerre en temps de paix, ainsi sont faits les grands hommes. L’impréparation au conflit est le pire des reproches que l’on puisse faire à un homme d’état. Le bélier a amélioré ses défenses depuis l’invasion de la Crimée mais il n’a pas pu consacrer tout à l’économie de guerre car le peuple n’y croyait pas assez pour sacrifier ses jouets à l’achat d’armes, de tanks et d’avions.

Le plus difficile est de savoir déceler les prémices de la volonté de nuire chez l’autre. D’autant plus difficile à prévoir que mentir est un art consommé de la pré guerre, bien enseigné aux agents des services de renseignements dont le mensonge est le métier et dont le plus pur produit n’est autre que l’Ours qui a dû se faire passer, j’imagine, pour un agneau en se coiffant d’un bonnet de laine rose et bouclée. Trop mignon ça lui va si bien au teint…

Toutefois quand vous êtes confrontés à un animal qui vous a déjà annexé une province, déclenché des mouvements séparatistes dans une autre, accumulé des hordes à vos frontières, vous devez vous poser la question de l’étape suivante. Ce fut l’invasion à partir de la Biélorussie, certes vaillamment repoussée car indésirée au plus haut point par une grande partie du peuple qui goûtait déjà les délices de la liberté, mais renouvelée après une préparation adéquate et à ce jour en train de grignoter le territoire. Je sens que l’Ours va tout tenter pour réduire la plaine que le bélier s’est offerte pour soulager ses besoins. S’il n’y parvient pas, la négociation s’engagera.
En limitant son aide, le peuple germanique lui vient de faire un choix : le partage du territoire du bélier plutôt que la poursuite de la juste guerre. À défaut d’être courageux, c’est peut-être la bonne décision pour éviter un mondial embrasement.

Gaza est rasée comme Carthage le fut par les Romains

Ma chère Gaïa, je sais aussi que tout va mal du côté de ta Palestine. Gaza est rasée comme Carthage le fut par les Romains si ce n’est qu’ils n’ont pas encore salé la terre pour la rendre stérile à jamais. Les populations sont décimées par des missiles quand elles cotoyent des combattants du Hamas. Tout cela parce que l’extrémiste sioniste et sa coalition n’a pas voulu voir la détermination du peuple palestinien et ne s’est pas préparé à sa razzia vengeresse. Je n’irai pas jusqu’à penser que les sionistes savaient l’attaque imminente – ils avaient pourtant été prévenus des manœuvres à la frontière – mais ils ne s’attendaient pas à une attaque à visée génocidaire. Ils se pensaient seuls détenteurs de la haine qui nourrit les guerres. Quel manque d’objectivité ! Tout est mauvais dans leurs analyses, leurs conclusions et surtout leurs actions. Et ça n’est pas fini. Car ces extrémistes sionistes persévèrent à massacrer, à détruire sans penser à l’avenir, à l’après-guerre. Ils pensent peut-être qu’il n’y en aura pas, que cette guerre sera sans fin, car commencée depuis si longtemps dans l’antiquité comme le rappelle la légende du combat du Juif David contre Goliath le Philistin. Mais David n’est-il pas devenu Goliath ? L’exil des Juifs décrété par les Romains avait interrompu cette confrontation pendant deux mille ans. La Shoah et leur désir de recouvrer la terre des ancêtres leur a réattribué une patrie sur une terre qui n’était malheureusement pas déserte. Il est bien possible qu’il n’y ait pas de solution pacifique et que ce soit l’option des extrémistes sionistes – la préférence d’une forteresse assiégée par les peuples arabes et l’opinion mondiale hostile plutôt qu’une cohabitation hasardeuse – qui soit la non solution à un problème insoluble. Cela contredit un axiome de ton philosophe Merleau-Ponti qui énonçait que quand le problème est posé, c’est que la solution est en germe… Donc il ne nous reste plus qu’à faire confiance à la pensée philosophique pour garder un peu d’espoir.

Pour amoindrir les effets de cette haine, j’espère pour toi ma chère Gaïa que la raison reviendra au peuple américain en élisant une présidente défavorable à l’action israélienne au point d’imposer un embargo sur les armes de destruction massive qu’ils continuent, je le sais, de fournir à Israël.

Un nouveau Premier ministre de droite

Je change de tout au tout de sujet. J’attends de tes nouvelles concernant ta France qui se gouverne sans gouvernement. La question de la nécessité d’un gouvernement pourrait se poser car si l’état fonctionne sans, son absence évite en tout cas des réformes qui sont toujours impopulaires pour une grande partie de tes Charmants.
Et si l’on considère que la plupart des ministres sont a priori incompétents, car nouvellement confrontés à des problèmes qu’ils ignorent souvent jusqu’au jour de leur nomination, alors que les fonctionnaires des ministères gèrent ces problèmes depuis toujours, tu pourrais faire émerger la question de la nécessité d’avoir des ministres dont la principale action est de porter des réformes. Qu’est ce qu’une réforme, sinon l’expression de l’ego d’un homme qui pense améliorer la société grâce à sa divine pensée ? Avec des résultats tangibles comme les disputes en famille, les invectives publiques entre leaders politiques, les souffrances de ceux qui les subissent, l’ingratitude de ceux qui en bénéficient, et des grèves qui concourent elles à coup sûr à l’appauvrissement du pays par défaut de travail. Il y a trop d’hommes politiques qui veulent marquer leur territoire en proposant des lois qui quand elles sont votées sont rarement promulguées et donc appliquées. Et quand il y a alternance politique, le gouvernement suivant n’a qu’une idée : détricoter le maillot des lois du précédent tout en gardant le fil qui permettra à son tour au suivant de faire de nouvelles mailles.

Ta lune m’apprend à l’instant qu’un premier ministre de droite a été nommé dans ton beau pays de France et que déjà les cris d’orfraie plumée vive de la gauche hurle au scandale du coup d’Etat. Alors que c’est en fait leur intransigeance à composer avec le centre qui a constitué une majorité à droite. Mais que je sache, si une négociation comprenant l’extrême droite, la droite et le centre réunit une majorité, elle oblige le président à y choisir le premier d’entre les ministres.

Peu d’hommes politiques sont aimés. Parce qu’ils pensent n’exister que par le dénigrement de leurs rivaux. Mais gouverner c’est écouter l’autre et essayer de le satisfaire, pas en même temps mais dès que possible…

Ma chère Gaïa, je t’enlace des mille rubans de ces aurores qui m’ont donnée ce nom de baptême, je t’embrasse des mille bouches de mes fleuves qui s’écoulent avec ardeur dans mes profonds océans et je t’étreins des milliards de ces rais qui sourdent de mon astre pour fondre sur ta terre.

Ton Aurore

Guerre en Ukraine (Unlimphotos)
Guerre en Ukraine (Unlimphotos)
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