Meurthe et Moselle
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La « Miss » est un mec

« J’ai toujours aimé travailler sur la féminité », confie Alexandre Wetter, bluffant jeune acteur, qui incarne une candidate reine de beauté dans le film de Ruben Alves.

Couronne sur la tête, le visage qui sourit sur l’affiche de « Miss » est bien celui d’un jeune homme, Alexandre Wetter.

Couronne sur la tête, le visage qui sourit sur l’affiche de « Miss » (sortie le 21 octobre) semble être celui d’une belle jeune fille. En fait, c’est bien celui d’un jeune homme, Alexandre Wetter, qui joue le rôle principal du film de Ruben Alves, celui d’un garçon dont le rêve est de participer au concours de Miss France. Mannequin, l’objectif d’Alexandre était de défiler en femme pour Jean-Paul Gaultier, ce qu’il a fait en 2016. Il a aussi posé pour des photos, des pubs, des clips, trouvé sa place dans la mode, tenu de petits rôles (dont la série « Versailles », « Planetarium », « Rouge Sang »…). En « Miss », le jeune acteur est bluffant dans son tout premier grand rôle au cinéma.

« J’ai découvert Alex sur les réseaux sociaux, sur Instagram, Alex est un personnage qui à travers ses performances, d’être en femme, de défiler en femme en tant que mannequin, vivait sa féminité », précise Ruben Alves, qui avait réalisé « La cage dorée », en hommage à ses parents, concierges portugais. « Comme tout le monde sur ce film, on a d’abord été touchés par la personnalité d’Alex et le regard de Ruben sur Alex, et sur tous les personnages, tous les types de féminité dans le film », ajoute Pascale Arbillot, qui joue la patronne des Miss, une sorte de Sylvie Tellier, chic et autoritaire.

Alexandre Wetter incarne donc Alex, un jeune homme orphelin, qui fait le ménage dans un club de boxe, et vit dans un immeuble, où la tenancière (Isabelle Nanty) accueille des clandestins, des lascars, et Lola, un travesti qui se prostitue au bois de Boulogne, interprété par Thibault de Montalenbert. « C’est un acteur de théâtre, qui aime ces défis-là, pour incarner Lola j’avais vraiment besoin d’un acteur qui allait rentrer dans ce personnage, je ne voulais surtout pas que ça fasse caricatural, il a vécu vraiment ce personnage pendant deux mois », assure le réalisateur.

« Y’a une base, mais il va falloir beaucoup travailler, ça va pas être facile de devenir une femme », dit Lola, qui s’y connait, à cet Alex qui se rêve en reine de beauté, « pour devenir quelqu’un ». Certes, il a un physique androgyne, de grands yeux, il est imberbe, mais il a des épaules de déménageur, et va effectivement devoir travailler pour défiler telle sur belle sur de hauts talons. Après la première étape, le concours de Miss Ile-de-France, et un beau discours féministe qui remet les sales mecs à leur place, Alex se retrouve en huis-clos avec les candidates à Miss France et se heurte à la méchanceté des filles, toutes concurrentes pendant les répétitions.

Le film se veut « ni irrespectueux ni trop élogieux » envers l’univers des Miss, la vraie Sylvie Tellier y fait d’ailleurs une apparition, tout comme Amanda Lear. En grand fan d’Almodovar, Ruben Alves a réalisé avec « tendresse et bienveillance » un film sur l’identité, le regard de l’autre, et l’acceptation, sans jugement aucun sur les personnages et leurs choix.

Rencontre avec l’acteur et le réalisateur, lors de l’avant-première de « Miss » à l’UGC Nancy, en Lorraine, région dont la Miss prend pourtant cher (« la quiche » !) dans le film.

Alexandre Wetter : « J’étais acteur sans le savoir »

Le personnage d’Alex a-t-il des rapports avec votre propre vie ?
Alexandre Wetter : Oui, il y a des similitudes avec ma vie personnelle, par exemple pendant toute la période où j’ai commencé à vivre à Paris, j’ai été un peu plus libre de vivre tout, cette féminité que je m’interdisais avant, je me suis assumé. Je l’ai développé, ça m’a fait du bien, j’avais besoin d’équilibrer mon féminin et mon masculin, et à cette période de ma vie mon féminin était plus présent. J’avais ce besoin de voir quel était le rapport avec les gens, tout ce travail que j’ai fait pendant une vingtaine d’années, j’ai donné tout ça à Ruben pour son film. Quand on s’est rencontrés Ruben a tout de suite compris, il n’a pas eu besoin de trop me poser de questions.

La limite avec ce personnage, c’était notamment de ne pas surjouer, de ne pas en faire trop ?

Justement, c’était de ne pas minauder la féminité, chacun a sa propre féminité et son propre masculin, on est tous masculin-féminin, moi je le vis comme ça, je l’assume, du coup il ne fallait pas faire semblant. Où on place la féminité, dans les cheveux, dans les talons, dans le maquillage ? En fait non, ce n’est pas ça, c’est toute une construction, une image, il y a le fond et la forme, comme on le dit dans le film, on se balade entre les codes, on les utilise, on les casse. Quand je travaillais en tant que mannequin, même si j’avais toujours du mal à le dire, à chaque fois en fait j’incarnais un personnage, j’étais plus acteur sans le savoir que mannequin. J’ai fait des études d’arts plastique après mon bac, et j’ai toujours aimé travailler sur la féminité, sur où placer le curseur et me mettre en performance. C’est comme ça que j’ai pu me servir de mon androgynie.

Pour se transformer en miss, Alexandre Wetter a bénéficié des conseils d’une coach de maintien et d’un coach de comédie.

Dans le film votre personnage dit qu’il se sent plus fort en femme, est-ce aussi votre cas dans la vie ?

A ce moment-là, dans ma recherche sur la féminité, j’avais cette sensation que je me sentais vraiment plus forte en femme. Pour moi, la féminité a toujours été quelque chose de rassurant, qui m’a toujours protégé, les femmes m’ont toujours protégé, le milieu des femmes a toujours été un sanctuaire de protection. Dans ma tête, dans mon esprit, je conduis un bus et il y a plusieurs moi qui sont à l’arrière, et mon moi féminin me disait : ne t’inquiète pas, je prends le volant, je conduis, tu peux te reposer derrière, c’est moi qui gère. C’était vraiment cette sensation, et quand je laissais ce personnage, je pouvais  être extravagant mais j’étais fort et ancré, oui je me sentais plus fort dans mon féminin.

« Moi je ne veux pas de case »

Vous trouvez que notre société a tendance à coller une étiquette aux gens ?

C’est toujours compliqué d’être en-dehors du cadre, c’est normal de se sentir fragile quand la société nous interdit très jeune. C’est lourd parfois, ça peut causer des problèmes à la personne qui ne sait pas où se caser, il faut qu’il réinvente sa case. Moi je ne veux pas de case, ça ne m’intéresse pas, je peux avoir des similitudes avec des personnes qui se sentent rassurées dans une case bien particulière, mais il y en a qui n’ont pas besoin de case, il faut être libre pour parler à tout le monde, on vit sur la même planète, on est tous ensemble.

Pour ce rôle, vous avez effectué une véritable transformation, talons, robes, maquillage…

Cela a été beaucoup de travail, j’avais deux excellents coachs qui m’ont beaucoup aidé, une coach de maintien, et un coach de comédie qui m’a beaucoup aidé à rencontrer le personnage. J’ai fait beaucoup de sport aussi, tous les jours, de la barre au sol notamment, pour le maintien justement, et pour la musculature. J’ai perdu une dizaine de kilos, surtout de la masse musculaire. C’était difficile mais c’était tellement dingue qu’au final je l’ai fait, ça m’a beaucoup aidé.

Gamin, Alex rêvait d’être miss, quel était votre rêve d’enfant ?

Je voulais être Indiana Jones, je voulais trouver des trésors.

Quels sont vos projets après la sortie du film ?

Continuer, tout simplement, en tant qu’acteur, je me suis trouvé.

Ruben Alves : « C’est un film bienveillant »

Ruben Alves : « J’ai découvert un monde que je ne connaissais pas ».

Quelle a été la réaction du Comité Miss France lorsque vous l’avez contacté pour ce projet de film ?

Ruben Alves : Au tout début sur l’écriture, vraiment en amont un an avant j’ai contacté le comité, Sylvie Tellier, je lui ai parlé du projet, elle était très ouverte. Après, j’ai suivi tout le processus pour l’écriture, elle était vraiment très coopérative. Sur des choses techniques, j’avais envie de savoir si ça pouvait fonctionner ou pas, je voulais être dans une réalité même si c’est de la fiction. Pendant l’écriture j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas, j’ai été touché par tous ces gens qui travaillent au quotidien pour faire que ce show existe.

Ils n’étaient pas inquiets que ce soit un peu moqueur ?

Si. Ils se méfiaient un peu de ça et quand Endemol, qui détient la marque Miss France, et le comité ont vu le film, ils étaient ravis. Evidemment, le personnage de Yolande, joué par Isabelle Nanty, n’est pas pour, elle est gratinée mais ça les a fait sourire. C’est une fiction, ils savent que c’est une fiction, mais selon leurs mots c’est un film bienveillant. Je me sers de ce concours pour raconter une histoire, mais je n’ai pas fait un film sur Miss France, il y a quelques scènes cocasses pour faire sourire, mais je n’avais aucune intention de taper dessus.

Sous une forme de légèreté, il y a un discours sur la différence, l’acceptation, vous pensez que votre film peut faire bouger les choses ?

Oui, c’est sûr que c’est pour ça que ce film est là, c’est vraiment un constat de ce qui se passe aujourd’hui en 2020 dans notre société, sur quelqu’un qui se sent un peu marginalisé, qui n’est pas forcément dans les codes, et comment il vit ça. C’est en ça que le propos peut être universel, en l’occurrence c’est sur un garçon qui vit sa féminité, mais ça peut être tellement de choses, on est dans une société de plus en plus codifiée, on tombe dans les pièges du communautarisme, ce sont des choses qui me font peur. Je me souviens que gamin, à l’école, il n’y avait pas ça, ce n’était pas segmenté comme ça, c’est vraiment une ode à la liberté, je n’ai pas envie qu’on s’enferme.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Miss », un film de Ruben Alves, avec Alexandre Wetter, Pascale Arbillot, Isabelle Nanty, et Thibault de Montalenbert (sortie le 21 octobre).

Pascale Arbillot, Alexandre Wetter, et le réalisateur Ruben Alves, lors de l’avant-première de « Miss » à l’UGC Nancy.
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