Cette unité d’élite de la police est intervenue au Bataclan, le 13 novembre 2015, mais avec une heure de retard. Pourquoi ? La question est posée par la journaliste Laurence Beneux dans un livre* qui rend hommage à ces policiers trop méconnus qui témoignent anonymement. ET qui n’ont pas été entendus par la commission d’enquête « Fenech ».
Il y a 5 ans, nous étions "Charlie" et comme Renaud, voulions "embrasser un flic". Eux étaient à Montrouge, à l'Hyper Casher, au Bataclan…, où ils risquaient leur vie. Je vous en parle dans ce livre qui sort le 23 janvier prochain.https://t.co/Soo7M5AQgq
— Laurence Beneux (@Lau_Be1) January 7, 2020
Ce soir-là du 13 novembre 2015, les policiers de la Brigade d’Intervention (BI) à ne pas confondre avec la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) rentrent de mission. Il y a des explosions dans Paris. Six fonctionnaires de la BI, armés et casqués, sont prêts à intervenir, tout de suite. Mais l’état-major leur interdit d’aller vers le Bataclan, tout proche. Pourquoi ? Sans doute pour des raisons d’égo, estiment les fonctionnaires qui se sont confiés à la journaliste Laurence Beneux. Elle rend hommage à ces valeureux policiers de la Brigade d’intervention qui finiront par se joindre à la BRI pour neutraliser les terroristes du Bataclan (90 morts sur 130 au total dans Paris). Cette heure perdue hante depuis les fonctionnaires de la BI.
Voici quelques lignes de ce livre.
La goutte d’eau
« Et demeure cette question lancinante : y aurait-il eu moins de morts si on avait laissé venir tout de suite les six tireurs d’élite équipés de la Brigade d’intervention, qui se trouvaient à cinq minutes de là ? Y aurait-il eu moins de blessés ? Moins de vies brisées… ? Peut-être pas… Peut-être que si… C’est à cause de l’interdiction, inexpliquée, d’intervenir rapidement au Bataclan, imposée à la BI que vous devez lire ce livre. Les autres problèmes auxquels ces policiers sont confrontés n’auraient pas suffi à les faire sortir de leur réserve s’il n’y avait eu ces délais imposés durant les attentats. C’est la goutte d’eau qui a décidé certains policiers à sortir de ce silence très ancré dans la culture policière. Malgré les risques de rétorsion auxquels ils s’exposent de la part de leur hiérarchie. « Le temps perdu pour partir au Bataclan, on ne le pardonnera jamais », me dit l’un d’eux. À tort ou à raison, ils pensent que ce délai qui leur a été imposé avait pour principale motivation « l’ego », « les ambitions politiques » qui sévissent parmi les huiles de la police. « On nous a ordonné de ne pas nous rendre sur les lieux parce que le commissaire qui dirige la Brigade de recherche et d’intervention voulait que personne ne parte sans lui. Il voulait être vu. Il voulait la médaille, spécule un policier. – Non, c’est pas lui qui décide de déclencher la Brigade anticommando ou pas, proteste un autre. C’est le préfet. Sauf que là, il était au Stade de France en train d’assister au match. Donc, c’est un commissaire coordinateur qui a freiné… »
Des carriéristes
« Bref, personne ne sait exactement qui est responsable du temps perdu ou même pourquoi la Force d’intervention de la Police nationale, qui permet au chef du RAID de prendre la direction des opérations, n’a pas été activée dans des circonstances aussi graves. Il y a par contre un consensus chez tous les opérateurs d’intervention que j’ai entendus. Tous pensent que les commissaires des grosses sections, les directeurs, sont souvent des politiciens carriéristes, qui ont « le bras long » et qui se préoccupent d’image bien avant de se préoccuper de la sécurité des gens. Il y a des exceptions, mais cette qualité exceptionnelle n’est pas prêtée au commissaire responsable de la BRI-PP, qui est unanimement détesté par tous les policiers de terrain à qui j’ai pu parler, quel que soit le service auquel ils appartiennent.
Reste que c’est leur état-major qui a donné l’ordre d’attendre aux six opérateurs de la BI, prêts à partir, le soir du Bataclan. Reste que c’est leur état-major, encore, qui a renvoyé à leurs rédacteurs des rapports qu’on avait amputés des lignes mentionnant cette attente contrainte, parce qu’il n’était pas « utile » de préciser ces détails. Des membres de l’enquête parlementaire ont rendu visite à la Brigade d’intervention, mais elle n’est pas citée spécifiquement dans le rapport d’enquête. »
« Brigade d’intervention » de Laurence Beneux. Editions du Cherche Midi