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« Voyage indiscret chez les francs-maçons du Midi »

Dans son ouvrage très documenté*, le journaliste Jacques Molénat s’immisce « sans vénération ni malveillance » dans les sombres arcanes de cette société que l’on dit aussi puissante que discrète.

« la franc-maçonnerie colle à l’identité des terroirs » (Jacques Molénat) dans son livre sur les francs-maçons du Midi

De Toulouse à Toulon, de Montauban à Aix-en-Provence en passant par Nice, Narbonne, Carcassonne, Nîmes, Montpellier, Béziers, Avignon ou encore Sète et Saint-Chinian, dans l’Hérault, les francs-maçons sont omniprésents, si l’on en croit Jacques Molénat. Même en Corse où, plus qu’ailleurs sans doute, l’omerta est élevée au rang d’institution.
Ils occupent souvent des postes à responsabilités dans l’économie, la justice, le sport, la politique. Quelle que soit leur obédience (que l’auteur appelle ‘’les 110 tribus’’) : Grand Orient, Grande Loge de France, Grande Loge Nationale Française, Droit Humain etc. ‘’ les Fils de la Veuve’’ comme on les appelle parfois, se retrouvent dans des fraternelles ou des confréries très fermées comme les fameux Clubs 50. C’est là, parait-il, que se nouent les contacts utiles, que se font ou se défont les petits arrangements « entre frères ».
Si la plupart viennent en loge chercher la nourriture spirituelle que le monde profane ne leur offre plus, quelques-uns n’hésitent pas à se servir des puissants réseaux maçonniques à des fins plus personnelles. Cela donne lieu, de temps en temps, à de jolis scandales médiatiques.
C’est ce que l’on découvre en lisant ce livre qui tient à la fois du glossaire pour profanes, du Who’s who pour initiés et de la rubrique des faits divers d’un journal.
Entretien avec l’auteur.

« L’une des clés du pouvoir régional « 

 

Jacques Molénat, journaliste et écrain de Montpellier (photo VINCENT PEREIRA)

-Quelle idée de faire un livre sur les francs-maçons du Midi ? Seraient-ils moins vertueux qu’ailleurs ?

-C’est une idée toute simple de journaliste politique et d’enquêteur vivant à Montpellier depuis longtemps. Il y a une trentaine d’années j’ai appris, par inadvertance, l’existence dans ma ville, d’un cercle banalement dénommée le Club 50. J’étais dans une ignorance totale. On m’expliqua que ses membres étaient sélectionnés à un haut niveau social et maçonnique. Ils se retrouvaient le dernier jeudi de chaque mois autour d’une très bonne table de la ville. Ça m’a diablement intéressé. Je parvins à mettre la main sur l’annuaire secret du cénacle. Le feuilletant je découvris une bonne partie de la nomenklatura locale : le président de la chambre de commerce, le président du Tribunal de commerce , un haut cadre de l’URSSAF, le patron de l’ANPE, des banquiers, des mandarins du droit et de la médecine, le directeur du cabinet du maire, le patron de la Caisse régionale d’assurance-maladie, un avocat de renom, des promoteurs, le directeur de la Poste, le directeur des services du conseil général… Que du beau monde !

Bien sûr, ce n’était pas le QG clandestin de la ville, plutôt une instance occulte où, entre Importants, s’échange de l’information, carburant essentiel dans les affaires et l’exercice du pouvoir. Cette découverte fut pour moi un déclic. La franc-maçonnerie m’a intéressé à travers ses réseaux et, à un moindre degré, son riche univers symbolique. Pour L’Express, dont j’étais le correspondant régional, j’ai mené plusieurs enquêtes locales visant à bien comprendre comment, ville par ville, fonctionne la maçonnerie locale. J’ai été assez rapidement convaincu qu’elle est l’une des clefs du pouvoir régional.
Mon livre a pour point de départ ce travail d’enquête. Je l’ai actualisé, restructuré, complété, élargi du côté de Toulouse, de la Côte d’Azur et de la Corse. Bref, j’ai voulu synthétiser ce que j’ai appris de la franc-maçonnerie méridionale.
Les francs-maçons seraient-ils moins vertueux dans le Midi qu’ailleurs en France ? N’ayant enquêté que dans les régions méridionales il me manque des points de comparaison. Ceci dit, je raconte plusieurs affaires plutôt gratinées qui montrent que le Sud est le théâtre d’indiscutables dérives à travers, en particulier, les fraternelles qui réunissent, on le sait, autour d’intérêts communs, des francs-maçons de différentes obédiences.

-La lecture de votre livre donne à penser que la maçonnerie, dans le Midi, serait moins un lieu de réflexion philosophique qu’un puissant lobby. Est-ce vrai dans toutes les villes du Sud ?

-A mon avis il n’y a pas de lobby homogène de la franc-maçonnerie, comme le croient beaucoup de gens. Ce fantasme ne tient pas la route. Au-delà de l’expérience commune, très émotionnelle, de la cérémonie d’initiation, les francs-maçons ne forment en rien une entité cohérente. Ils se divisent entre cinq à six « grandes obédiences » et s’éparpillent entre une bonne centaine de micro-obédiences. Parmi eux il y a des athées, des catholiques, des juifs, des musulmans, des socialistes, des communistes, des réacs, des affairistes. C’est un ensemble disparate impossible à coaguler et à faire marcher au pas. Je dirais même qu’aujourd’hui, surtout en politique et dans les affaires, la franc-maçonnerie est plus souvent instrumentalisée quelle n’instrumentalise.
Je me suis aperçu en outre que la franc-maçonnerie colle à l’identité des terroirs. A Nîmes, par exemple, ville taurine, beaucoup de frangins appartiennent à des cercles tauromachiques. Et puis l’enracinement est très différent d’une ville à l’autre. Une cité comme Narbonne a une densité surprenante de francs-maçons. Des pans entiers de la bourgeoisie locale se sont engouffrés dans les loges. Toulon est une ville sous l’emprise de la GLNF, la Grande Loge nationale française. La quasi-totalité des détenteurs du pouvoir économique et politique sont affiliés à cette obédience.

-La maçonnerie n’est plus la force de proposition qu’elle était jusqu’au siècle dernier. Les obédiences se déchirent, dites-vous. Et pourtant la maçonnerie recrute toujours plus. Qu’est-ce qui attire encore chez les francs-maçons ?

– Il y a en effet une petit mystère. La franc-maçonnerie compte quelques 180 000 membres, un effectif en augmentation régulière. Dans le Midi, qu’il s’agisse de l’Occitanie, de la Provence, de la Côte d’Azur ou de la Corse les francs-maçons sont, en proportion de la population, deux à trois fois plus nombreux que dans le reste de l’Hexagone. Je n’ai pas d’explication globale à cette surreprésentation, seulement quelques pistes. Dans les régions méridionales le catharisme, le protestantisme, les pulsions irrédentistes ont, je crois, dopé ce goût du débat qui s’épanouit dans les loges. En outre, plus qu’ailleurs, le brassage des populations y est plus intense et, du coup, aiguise le besoin de lieux apaisés de sociabilité où l’on peut échanger et se faire des relations utiles.

Il faut ajouter la qualité de la méthode maçonnique, l’organisation très disciplinée des débats. Elle développe chez beaucoup de francs-maçons une capacité d’écoute et une ouverture à l’autre qu’on rencontre rarement dans d’autres organisations. Le fanatisme n’est pas dans l’ADN maçonnique. Quand monte la violence politique, cette constatation fait du bien. J’ajoute que pour des autodidactes la vie en loge se révèle souvent une formidable école du soir.

Propos recueillis par M.G.

* Voyage indiscret chez les francs-maçons du Midi de Jacques Molénat. Cairn Editions. 238 pages. 18 €.
On peut aussi commander l’ouvrage chez l’auteur : jacquesmolenat@yahoo.fr

Jacques Molénat, journaliste et écrivain Montpelliérain, décrypte la vie politique régionale depuis quatre décennies. Il a collaboré à de nombreux journaux dont Midi Libre, L’Express, l’Événement du Jeudi, La Croix, Marianne etc. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Le Marigot des pouvoirs (Climats), Notables, trublions et filous (Chabot du Lez).

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