« Le plus important pour moi, c’est le procès social », confie le réalisateur belge Samuel Tilman, qui a tourné dans les Vosges une partie de ce polar psychologique.
Tout au long du récit, il restera volontairement « Une part d’ombre » dans le film de Samuel Tilman (sortie le 22 mai). Dans un chemin menant à une forêt vosgienne, le cadavre d’une femme est retrouvé au pied d’un pont. Tout près de là, une joyeuse bande d’amis a passé quelques jours de vacances. L’un d’eux, David joué par Fabrizio Rongione (souvent vu dans les films des frères Dardenne), avait parlé brièvement avec la victime alors qu’il était parti courir dans les bois ; elle cherchait sa route, il l’avait renseigné.
D’abord entendu comme témoin par la police, il est ensuite soupçonné, interrogé, arrêté. Bon père, bon prof, il clame son innocence, mais même sa propre épouse (interprétée par Natacha Régnier ) commence à perdre confiance lorsqu’elle apprend que son mari avait une liaison cachée. Ce mensonge sème également le trouble dans le cercle de copains, parmi les collègues. David est alors suspect, forcément suspect, faites entrer l’accusé. A l’exception de son meilleur ami, qui l’aide à mener l’enquête, tout le monde le fuit, même son pote avocat a des doutes.
Sélectionné l’an dernier au Festival de Beaune (Prix Spécial Police), ce polar psychologique a également été présenté cette année aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer. L’occasion pour le cinéaste belge de revenir sur les lieux du crime, puisque c’est dans les Vosges qu’il a tourné une partie de son film. « Je voulais trouver un endroit sauvage », confie Samuel Tilman ; il l’a trouvé au Lac Vert, « un paysage majestueux », dit-il. « D’abord c’est la montagne. Les Vosges c’est devenu une évidence, je connaissais les Vosges d’hiver, il y a cette forêt, que je voulais filmer en automne, c’était exactement ce que je recherchais », assure le cinéaste.
Samuel Tilman : « On a tous une part de non-dit »
Votre film évoque la fragilité des témoignages, des opinions, on peut donc tous être considéré comme des coupables ?
Samuel Tilman : Il y a un peu de ça, et l’idée de la transparence qui est un fantasme. L’idée d’être totalement transparent dans ce qu’on dit, ce qu’on fait, est juste pour moi une vue de l’esprit, on a tous une part de non-dit, et à cause de ça, tout peut se retrouver à charge bien malgré soi. Est-ce que dans notre vie quotidienne, on ne peut pas être soupçonné de quelque chose par certains de nos agissements, nos comportements, à partir du moment où le soupçon est sur toi, tout est à charge. Dans un fait-divers, on a toujours des éléments fragmentaires, c’est une question d’interprétation. J’ai construit un suspense et j’ai laissé ouvert la reconstruction sociale ou non, car il y a toujours le regard des autres.
Justement, le regard sur le personnage peut changer au cours du film…
On n’a pas une empathie immédiate pour le personnage principal, on n’a les infos qu’à travers l’entourage. Je voulais que ce soit un type normal, plutôt sympa, notre voisin, mais il a trompé sa femme et il a menti. Il a souvent l’air coupable, je voulais en faire un personnage ambigu, complexe.
Et ainsi, vous semez le doute, auprès de son épouse, ses amis, et les spectateurs ?
Très vite, je voulais qu’on apprenne qu’il ait menti, le mensonge est le moteur de l’implosion du lien social, pour le spectateur c’est un élément à charge ou à décharge. Le film est construit pour que chaque fois on revoit les séquences autrement, pour réanalyser ce qu’on a vu, c’est un film sur le regard, comment interpréter ce qu’on voit, ce qu’on entend. Les couples sont amenés à prendre position pour l’un ou pour l’autre, ça crée une implosion et une nécessité de se positionner. A travers l’enquête, chacun règle ses comptes, chacun se repositionne dans un groupe social qui explose, c’est comment une petite communauté se transforme quand un scandale arrive. Je me suis rendu compte que le film était sombre assez tard, c’est finalement un constat sombre sur la dynamique de groupe.
En laissant toutes les possibilités ouvertes, et en l’emmenant sur différentes pistes, vous manipulez le public ?
Le moins possible. Je donne des éléments très précis, si j’avais enlevé les flash-backs, j’aurais pu vraiment aller jusqu’au bout d’une forme de doute permanent, sans résolution, en montrant un état de fait, en positionnant le spectateur totalement à hauteur des personnages secondaires, alors que là j’avais envie de fermer des pistes. Finalement ce qui était le plus important pour moi c’est le procès social, le jugement a posteriori.
Patrick TARDIT
« Une part d’ombre », un film de Samuel Tilman, avec Fabrizio Rongione et Natacha Régnier (sortie le 22 mai).