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Etienne Chatiliez : « Tanguy, c’est un psychopathe »

« Il a une case en moins », dit le cinéaste de son personnage, qu’il fait revenir à 44 ans chez ses vieux parents, joués bien sûr par Sabine Azéma et André Dussolier.

« Tanguy », incarné par Eric Berger, est tout heureux de retrouver ses parents, joués par Sabine Azéma et André Dussolier, qui vont vite déchanter.
« Tanguy », incarné par Eric Berger, est tout heureux de retrouver ses parents, joués par Sabine Azéma et André Dussolier, qui vont vite déchanter.

Tanguy revient et ses parents, d’abord contents de le revoir, vont vite déchanter. Après « La vie est un long fleuve tranquille », « Tatie Danièle », « Le bonheur est dans le pré »… Etienne Chatiliez avait imaginé ce « Tanguy » (film sorti en 2001), grand fils de 28 ans qui s’incrustait encore au domicile de ses parents, dont le prénom était devenu à la fois une expression et un symbole. 18 ans après, le cinéaste réunit à nouveau la famille, Tanguy incarné par Eric Berger, et les parents joués par Sabine Azéma et André Dussolier, dans une suite logiquement intitulée « Tanguy, le retour » (sortie le 10 avril).

Parti vivre en Chine où il avait fondé une famille, Tanguy débarque sans prévenir chez papa-maman, couple de seniors modernes, retraités « en pleine forme pour leur âge », qui se sont faits une petite vie bien tranquille, gym pour madame, golf pour monsieur, et séries télé pour les deux. Quitté par sa femme, dépressif, apathique, « complètement à l’ouest », Tanguy a un peu forci, a un peu moins de cheveux, a désormais 44 ans, et est accompagné de sa grande fille. Edith et Paul s’aperçoivent rapidement que leur fils chéri n’a pas changé : il est toujours ce « chewing-gum collé aux semelles de ses parents ».

D’abord, c’est avec plaisir qu’on retrouve une famille qu’on connaît bien, jusqu’au hoquet de Sabine Azéma ; on se réjouit aussi lorsque les parents ressortent les bons vieux pièges pour faire fuir le fiston. Mais cette réjouissance n’est que de courte durée, car le récit a pris auparavant beaucoup de temps à renouer avec l’épisode précédent, et vire au ridicule lors du final avec l’entassement dans le bien bel appartement d’Edith et Paul, de Tanguy, sa fille, le petit copain de la fille, l’épouse de Tanguy, un bébé, les beaux-parents chinois…

Interviews réalisés lors de l’avant-première du film à l’UGC Ludres.

Etienne Chatiliez : « Il n’y a pas de méchanceté de la part des parents »

Qu’est-ce qui vous a décidé à faire revenir Tanguy chez ses parents ?

Etienne Chatiliez : Je n’avais jamais pensé faire un 2, ce sont les producteurs qui m’ont appelé, et qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre que de le faire revenir, puisqu’il n’était pas question de raconter Tanguy en Amérique, Tanguy au Congo… Il fallait jouer avec ce qu’il est et ce qu’il a de tout à fait différent avec tout le monde, donc la seule chose qu’il pouvait faire c’était revenir emmerder une fois de plus ses parents, au prétexte qu’il ait été planté par sa femme. J’ai l’impression que le personnage est suffisamment typé, énervant, insupportable, on a envie de le baffer, avec des parents qui deviennent abominables mais qui sont charmants à la base, c’est aussi une ode à un couple un peu éternel, qui s’entend toujours bien, qui retrouve une jeunesse. Le bonheur d’Edith et Paul fait qu’on se dit qu’on deviendra peut-être comme eux à leur âge.

Etienne Chatiliez : « Tanguy a une pathologie bien précise, il veut absolument vivre avec toute la famille ».
Etienne Chatiliez : « Tanguy a une pathologie bien précise, il veut absolument vivre avec toute la famille ».

Sauf que vous leur avez quand même mis des ennuis de santé qui vont avec l’âge, l’arthrose pour elle, la prostate pour lui…

C’est la réalité, je suis bien placé pour le savoir, je suis dans cette tranche d’âge. Soit on se lamente, soit on en rigole, le cinéma c’est raconter des histoires fausses, mais pour raconter des histoires fausses il faut plein d’éléments vrais, ça humanise les personnages, ça les rend crédibles, légitimes.

Vous êtes aussi bien placé pour savoir que les histoires fausses du cinéma correspondent à une certaine réalité, puisque « Tanguy » était devenu un symbole, une expression…

C’est formidable à quoi ça tient les choses, mais là aussi il y a une confusion : les enfants qui restent tard chez leurs parents, c’est pour une question économique, or Tanguy n’a jamais eu de problème d’argent, en fait il n’est absolument pas représentatif de sa génération. Il incarne, par une confusion, toute une génération, mais lui c’est un psychopathe, c’est quelqu’un qui a une pathologie bien précise, et qui veut absolument vivre avec toute la famille, génération d’avant, génération d’après, il a une case en moins.

En même temps, les parents ne sont jamais contents, puisque dans le film de Lisa Azuelos, « Mon bébé », la mère déprime à cause du futur départ de sa fille ?

Je crois que les deux sont vrais, Lisa parle de quelque chose que tous les gens connaissent et ressentent, nous on parle de quelque chose qu’on ne veut jamais s’avouer, qui est que même si on adore la chair de sa chair, on a envie de les buter une minute par jour, mais on n’a jamais le droit de le dire.

L’aspect le plus réjouissant dans l’écriture était-il lorsque les parents s’unissent à nouveau pour faire fuir leur fils ?

Quand Tanguy déboule et est totalement effondré, les parents sont effondrés pour lui, ils mettent très longtemps à voir qu’ils se font rouler dans la farine. Tanguy est arrivé, à mon sens, sans aucune préméditation, il était paumé et par réflexe il rentre chez papa-maman, il se pointe direct. Et ils s’en occupent formidablement bien, de leur petit, si tous les parents du monde étaient comme ça, ce serait formidable. J’aimais beaucoup ce moment où ils sont vachement gentils, il n’y a pas de méchanceté de leur part, mais ensuite il y a une légitimité parce que Tanguy est insupportable, il est infernal.

Eric Berger : « Tanguy, c’est une bactérie »

Eric Berger : « C’est un plaisir supplémentaire d’incarner la tête à claques de service ».
Eric Berger : « C’est un plaisir supplémentaire d’incarner la tête à claques de service ».

Comment aviez-vous accueilli la proposition de ce retour de Tanguy chez papa-maman ?

Eric Berger : Pour un acteur c’est un cadeau de ressortir son vieux costume, c’est un très beau rôle que j’ai vraiment aimé jouer, qui est singulier, qui m’appartient, j’ai sauté de joie. C’est le même bonhomme, il sait où il est bien et il sait ce qu’il faut faire pour y être, voilà. En même temps, il y a de quoi, ça fait envie chez papa-maman. Il a cette espèce d’instinct mystérieux, c’est là qu’il doit être, c’est une bactérie, il colonise son milieu, il occupe.

Comment se sont déroulées les retrouvailles avec vos parents de cinéma, Sabine Azéma et André Dussolier, et avec le réalisateur Etienne Chatiliez ?

Avec Sabine et André, on avait gardé des liens lointains, avec Etienne on ne s’est pas vraiment perdus de vue, on continuait à se parler, il est assez fidèle avec les comédiens avec qui il a travaillé. C’était des retrouvailles très simples et très joyeuses, surtout le plaisir à se remettre à jouer ensemble, on avait tous dans le coin de l’œil cette petite lumière, tout cela nous amuse beaucoup, on a repris nos sacs là où on les avait posés il y a dix-huit ans, c’était les mêmes.

Est-ce que ce fut lourd à porter, auprès des professionnels comme du public, d’incarner ce personnage qui est devenu symbolique ?

Non, ce n’est pas lourd à porter du tout, le personnage avait son autonomie propre, il se trouve qu’on se ressemble beaucoup lui et moi, et pour cause, mais je ne me sens pas dépositaire du tout de ce phénomène de société, je ne l’ai pas subi, je regarde ça de l’extérieur, ça m’amuse beaucoup, ça m’intéresse aussi. S’ils sont embarrassés par cette image, c’est le problème des gens du cinéma, ce n’est pas le mien. J’adore travailler, plus ça va plus j’aime ça, ça ne m’a pas du tout empêché de travailler, j’ai fait des choses depuis extrêmement intéressantes, et je suis sûr qu’il y a des metteurs en scène qui m’ont engagé parce qu’il y avait cette lumière-là, ce coup de projo sur moi, et j’étais ravi de travailler avec eux, c’est que du bonus.

Lors des avant-premières, vous avez rencontré des spectateurs qui pour la plupart ont vu le premier film, il y a un rapport de proximité avec eux ?

Oui, presque de la familiarité, ils ont l’impression de le connaître ce Tanguy, et ils sont contents de le voir, ça me touche beaucoup, je suis très heureux de prêter mon image à ça, à cette rêverie des gens, d’être cette sorte de petit bonhomme qui se balade dans leur tête. Je profite à fond de cette sortie, c’est comme les gosses, je sais que c’est court, que ça va passer vite, c’est deux ans de boulot qui vont s’achever, c’est un temps du travail qui est important.

Le premier film avait été un phénomène, il y a une attente plus grande avec celui-ci ?

Il y a une conscience, la chose a déjà eu lieu, je suis un peu plus fébrile. J’étais tellement content au moment du tournage que si ça n’est pas la fête maintenant avec le public, ceux pour qui on l’a fait, ça va être vraiment un déchirement. On a senti la joie qu’avaient les gens de retrouver ce personnage, on sent vraiment qu’ils l’ont aimé, ou qu’ils ont aimé le détester, des gens me disent avec un sourire immense que j’ai une tête à claques. Il y a dix-huit ans, ça a été un moment un peu difficile parce que j’ai joué avec beaucoup de naïveté, là en en ayant conscience c’est un plaisir supplémentaire d’incarner la tête à claques de service.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Tanguy le retour », un film d’Etienne Chatiliez, avec Eric Berger, Sabine Azéma et André Dussolier (sortie le 10 avril).

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