Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine
Pour exprimer la toute-puissance du désir amoureux, les êtres humains en ont fait une divinité, sous la forme d’une femme pulpeuse ou bien d’un beau garçon, à l’image de Vénus et de Cupidon. La Saint Valentin s’inscrit dans la continuité de ces antiques célébrations de l’Amour.
Des déesses de l’Amour dès la Préhistoire ?
Les plus anciennes représentations féminines ont été réalisées il y a plus de 20 000 ans, au Paléolithique supérieur. Il s’agit de femmes plantureuses, dotées de cuisses, ventres et seins imposants. Un idéal féminin de nos lointains ancêtres ? C’est bien possible. Mais l’interprétation de ces œuvres couramment appelées « Vénus » a fait l’objet de débats, impossibles à trancher, puisque, bien évidemment, les hommes de la Préhistoire n’ont laissé aucun texte ni mode d’emploi.
Seule certitude : les « Vénus » n’avaient aucun intérêt pratique. Elles étaient exposées dans des grottes ou dans des huttes, parfois accrochées par des anneaux, comme le suggèrent des perforations toujours visibles sur certaines statuettes.
Ishtar et Hathor
L’une des plus anciennes divinités connues se nommait Inanna, ou encore Ishtar. Elle est apparue, il y a un peu plus de 5 000 ans, au pays de Sumer, dans le sud de l’Irak actuel, où elle était censée entretenir des relations sexuelles avec les rois successifs de la région qui étaient considérés à la fois comme ses grands prêtres et ses amants. C’est pourquoi une cérémonie de « mariage sacré » était organisée chaque année dans le temple de la déesse.
Au cours de sa nuit d’amour, le souverain devait faire jouir son épouse divine qui, en échange, garantissait la fertilité du royaume.
Quelques siècles plus tard, on retrouve cette déesse au Liban, l’ancienne Phénicie, où elle est appelée Astarté.
En Égypte, l’amour est incarné par Hathor, représentée tantôt comme une femme au corps parfait, moulé dans une robe transparente, tantôt sous l’aspect d’une vache, symbole de charme et de fécondité pour les anciens Égyptiens.
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Aphrodite, la déesse irrésistible
En Grèce, l’histoire de la déesse de l’Amour commence par une naissance miraculeuse. Le dieu du Ciel, Ouranos, s’était fait émasculer par son fils Cronos, alors en révolte contre l’autorité paternelle. Sectionné à la base, le gigantesque phallus était tombé depuis les nuages et s’était abîmé en mer. En percutant les vagues, il produisit un immense flot d’écume dont surgit, toute nue, la sublime déesse. À peine née, elle possédait déjà un physique parfait, selon les critères de la beauté féminine du moment : longs cheveux en chignon, petits seins, bras potelés, ventre légèrement arrondi au nombril bien marqué et cuisses charnues. C’est ainsi que la figurera le sculpteur de la « Vénus de Milo », la plus célèbre de toutes les statues d’Aphrodite, réalisée au IIe siècle av. J.-C.
Plus tard, le peintre Botticelli l’imaginera, suivant les mêmes canons, debout sur un immense coquillage.
La mer représente le chaos dont émerge la perfection. La naissance d’Aphrodite est un mystère dont la violence préfigure celle du sentiment amoureux, volontiers intense, extrême… À peine arrivée dans l’Olympe, le palais des dieux, Aphrodite y sème le trouble par son charme irrésistible. Elle ne dissimule guère ses formes parfaites que soulignent ses tenues affriolantes. Et puis, elle porte une ceinture d’or magique, qui a pour effet de provoquer le désir.
La plus belle des déesses est mariée à Héphaïstos, le vilain dieu forgeron, à la demande d’Héra, épouse de Zeus, jalouse d’Aphrodite. Mais la déesse de l’Amour n’a que faire de ce mari imposé qu’elle trompe avec Arès, le dieu de la guerre : un sale caractère, mais un corps de rêve. Il lui arrive aussi de faire l’amour avec Hermès, Poséidon et Dionysos. On lui connaît même des amants mortels, comme le prince troyen Anchise qu’elle va trouver dans son lit, sans prévenir, avant de repartir le lendemain matin, juste après lui avoir révélé son identité divine.
Freyja, Rati, Xochiquetzal et les autres
Dans la mythologie du nord de l’Europe, connue notamment par des écrits islandais du Moyen Âge, le rôle d’Aphrodite est joué par Freyja. En Inde, la fonction amoureuse est dévolue à Rati, la déesse hindoue aux seins gonflés comme des ballons, chevauchant un perroquet géant.
Dans la mythologie des Aztèques, elle s’appelle Xochiquetzal : coiffée de plumes de quetzal, entourée d’oiseaux et de papillons qui forment sa suite, elle symbolise la joie et la fertilité.
Les anciens Mexicains vénéraient également la séduisante Tlazolteotl, connue par diverses statues.
Aujourd’hui, les caractéristiques de ces déesses sont toujours présentes dans le culte de l’orisha Oshun ou Oxum.
Par syncrétisme, cette déesse venue d’Afrique, vêtue de jaune et d’or, a été assimilée à la Vierge au Brésil et dans les Caraïbes. Sous le nom de « Virgen de la caridad del Cobre », elle est même devenue la patronne de Cuba.
Cupidon, le beau jeune homme
Aux côtés de ces déesses sensuelles apparaissent de beaux jeunes hommes. Ishtar a pour amant le berger Dumuzi dont elle finit par faire un dieu de la fertilité.
Au Liban, il prend l’apparence d’Adonis, un garçon d’une extraordinaire beauté dont Astarté est passionnément éprise. La déesse le cache dans une forêt où elle va le retrouver pour profiter de ses charmes.
En Grèce, le dieu de l’amour prend la forme d’Eros, un éphèbe toujours nu qui est, cette fois, non l’amant mais le fils de la déesse Aphrodite. On ne sait pas qui est le père de ce bel enfant, comme Aphrodite a eu des relations simultanées avec plusieurs dieux. Pourvu d’ailes dorées, il parcourt le ciel, décochant des flèches qui rendent tout le monde amoureux. Personne ne lui échappe. Même les dieux lui sont soumis, comme le chante le poète Hésiode (Théogonie, 116-122) qui fait d’Eros l’une des divinités primordiales, aux origines de notre monde.
Son nom signifie « désir » en grec. C’est lui qui est étymologiquement à l’origine de l’érotisme, c’est-à-dire l’expression et la représentation de tout ce qui concerne Eros. Quant aux Romains, ils l’ont appelé Cupidon, un nom formé sur le verbe cupio : « je désire ».
Même ses statues suscitaient le désir, selon Pline l’Ancien (Histoire naturelle 36, 22). Un jour, écrit l’auteur latin, un admirateur éjacula sur la cuisse de marbre du Cupidon qui se dressait dans le temple de Parion, une cité d’Asie Mineure.
La Saint Valentin, pour ou contre ?
Valentin est un Romain du IIIe siècle qui, au départ, n’a pas grand-chose à voir avec l’érotisme. Il fut condamné à mort parce qu’il était chrétien. Selon une légende moderne, il aurait glissé un mot d’amour à la fille de son geôlier, signé « De ton Valentin ».
Valentin est devenu le patron des amoureux, sans doute en raison d’une tradition anglaise, remontant à la fin du Moyen Âge, qui faisait du 14 février le jour où s’accouplaient les oiseaux. Le poète Geoffrey Chaucer est l’un des tout premiers auteurs qui évoque cette croyance dans The Parlement of Foules (1382).
Ce fut le point de départ du Valentin’s Day qui se répandit ensuite dans le monde chrétien.
Aujourd’hui, la fête est célébrée dans les pays du Maghreb. Elle a atteint l’Inde, où elle suscite des tensions, car elle est vue comme une forme d’acculturation par les traditionalistes hindous. La Saint Valentin est associée au désir des femmes de choisir elles-mêmes leurs maris, en dehors des arrangements matrimoniaux.
En Indonésie, la fête est carrément interdite au nom des bonnes mœurs et la police fait la chasse aux amoureux.
En Chine, une fête de l’amour appelée « qīxī » a traditionnellement lieu le 7e jour du 7e mois de l’année lunaire, mais la jeunesse qui vit à l’heure occidentale lui préfère désormais le 14 février. Ainsi, fêter la Saint Valentin est devenu un marqueur social et culturel qui dépasse la simple expression du sentiment amoureux.
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.