C’est « une histoire incroyable » que racontent Nicolas Champeaux et Gilles Porte, dans un formidable documentaire, « Le procès contre Mandela et les autres ».
C’est un film qui commence avec deux minutes d’image noire, seulement du son et des sous-titres. Mais quel son ! Des documents historiques à la portée de tous avec « Le procès contre Mandela et les autres » (sortie le 17 octobre), un film de Nicolas Champeaux (qui fut correspondant de RFI en Afrique du Sud) et Gilles Porte (directeur de la photo et co-réalisateur de « Quand la mer monte » avec Yolande Moreau).
Car ces documents sonores, ce sont des extraits de neuf mois de procès, d’octobre 1963 à juin 1964, à Pretoria, en Afrique du Sud. Accusés : Nelson Mandela et huit autres de ses camarades militants de l’ANC (African National Congress), qui ont été arrêtés dans la ferme de Rivonia, au nord de Johannesbourg. Présentés par la propagande d’état comme des « terroristes », ils risquaient la pendaison et ont été envoyés pour des décennies au bagne de Robben Island.
S’il n’existe aucune image filmée de ce procès, il a cependant été enregistré et les sons de 256 heures d’archives ont été numérisés en France par l’INA (Institut National de l’Audiovisuel). Ce sont ces voix qui résonnent dans la salle d’audience, y compris le fameux discours historique de Mandela, qui ont servi de matériau premier à Nicolas Champeaux et Gilles Porte. Ils y ont joint une reconstitution dessinée et animée par graphiste Oerd, aux traits noirs et blancs puissants, ainsi que des entretiens filmés avec une poignée de survivants.
« Ils étaient persuadés qu’ils allaient mourir »
« Ce qui nous intéressait, c’était d’avoir l’avis de gens qui étaient directement concernés par le procès », précisait Gilles Porte, lors de l’avant-première du film au Caméo, à Nancy, « C’est une histoire incroyable parce que ces gens sont incroyables ». Le duo de réalisateurs a ainsi interviewé trois des accusés (Ahmed Kathrada, Andrew Mlangeni, Denis Goldberg), deux avocats de la défense (Georges Bizos, Joel Joffe), des épouses, des enfants (dont le fils du procureur), à qui ils ont fait entendre des extraits de ce procès tenu il y a plus de cinquante ans. « Leur faire écouter les archives, c’est comme une piqure, on les réveille, réécouter ces sons, c’était des piqures de rappel », raconte Gilles Porte.
Parmi leurs 17 heures d’entretiens, ils ont notamment trois heures d’interview avec Winnie Mandela, une de ses dernières apparitions (elle est morte le 2 avril 2018), témoin capital du « rôle important » joué par les femmes dans la lutte contre l’apartheid. Les accusés, qui avaient à juste titre le sentiment d’être « du bon côté de l’histoire », avaient plaidé non coupable ; dans ce retentissant procès politique, ils étaient surtout coupables d’avoir défié le gouvernement et le pouvoir blanc. « Ils ont le sentiment d’avoir gagné le procès, parce qu’ils étaient persuadés qu’ils allaient mourir », dit Gilles Porte.
« C’est un film qui parle d’engagement, un film nécessaire »
« Objectivement, sans l’ONU, ils seraient tous morts », ajoute le co-réalisateur, « L’ONU et les Américains ont permis à Mandela et aux autres de sauver leur tête, ils ont joué un rôle important dans la préservation de la vie de ces gens. L’ONU et le boycott ont eu raison de ce gouvernement, mais vingt-six ans de prison c’est long ». Formidable documentaire, « Le procès contre Mandela et les autres » avait été présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes. « Grâce à Julie Gayet », précise Gilles Porte, l’actrice ayant coproduit le film avec sa société de production Rouge International : « Elle a eu un coup de coeur avec ce film et nous a aidé à le porter ».
Ce doc a également reçu le Prix du public au Festival de Durban, et sortira en Afrique du Sud le 5 décembre, tout juste cinq ans après la mort de Nelson Mandela, né il y a cent ans, en 1918. Le même jour, une version du film de 52 minutes sera diffusée sur Arte. « Aujourd’hui, Mandela est pointé du doigt par les jeunes, qui trouvent qu’il a fait trop de compromis », a constaté Gilles Porte, « L’Afrique du Sud est un pays complexe, mais il n’existe pas de Noirs qui étaient pour l’apartheid et pour les Blancs ». Le co-réalisateur est conscient d’avoir ainsi oeuvré pour « la grande histoire » : « C’est un film qui parle d’engagement, un film nécessaire », dit-il.
Patrick TARDIT
« Le procès contre Mandela et les autres », un film de Nicolas Champeaux et Gilles Porte (sortie le 17 octobre).