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Les Belges sont-ils eux aussi des immigrés ?

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Hercule Poirot (personnage de fiction d’Agatha Christie) est peut-être l’« émigré » belge le plus célèbre au monde.
Carnival Films/Allocine

Abdeslam Marfouk, Université de Liège et Jean-Michel Lafleur, Université de Liège

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire.

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Combien y a-t-il d’immigrés ? Occupent-ils les emplois des natifs ? Sont-ils intégrés ? Peut-on fermer les frontières ? De nombreux individus ont des réponses à ces questions mais leurs réponses se fondent souvent sur des préjugés ou des informations erronées. Le dernier ouvrage de Jean‑Michel Lafleur (FNRS & Université de Liège) et Abdeslam Marfouk (IWEPS & Université de Liège), « Pourquoi l’immigration ? », téléchargeable gratuitement, déconstruit les clichés des Belges en partant des 21 questions fréquentes qu’ils se posent au sujet de l’immigration.

Dans cet ouvrage à destination du grand public, les auteurs offrent une réponse à chacune de ces questions sur base de données scientifiques vulgarisées. L’une de ces questions concerne l’émigration des Belges et invite les lecteurs à s’interroger sur l’Europe en tant que terre d’arrivée et de départ des immigrés. Nous la reproduisons ci-après.


En 2011, 33 % des employés belges se déclaraient prêts à partir travailler à l’étranger si cela se traduisait par une augmentation salariale d’au moins 10 %

Bien que l’attention médiatique se porte quasi-exclusivement sur l’arrivée d’étrangers en Belgique, un nombre important de Belges émigrent chaque année. En général il n’existe pas de données statistiques au niveau des pays d’origine qui permettent d’appréhender de façon précise l’émigration dans toutes ses dimensions (pays de destination, niveau d’instruction des émigrés, etc.). Quand elles existent, elles s’avèrent par ailleurs incomplètes. Dès lors, l’émigration ne peut en général être appréhendée qu’à travers les données collectées dans les différents pays de destination.

« Pourquoi l’immigration ? »

Mesurer l’émigration des Belges

Selon les estimations des Nations Unies recensant l’effectif des émigrés belges vivant dans le monde – nous désignons ici les personnes nées en Belgique et qui résident dans un autre pays –, cette population est en forte croissance ces dernières années et s’élevait à 530 990 personnes en 2015, contre 360 794 en 1990.

La même source statistique révèle que les femmes sont majoritaires (55 % en 2015). En ce qui concerne la localisation des émigrés belges, le graphique 10 nous indique qu’une très grande majorité d’entre eux choisit comme destination un autre pays européen (81 %) ou l’Amérique du Nord (11 %).

Les données plus fines confirment que la migration belge est essentiellement une migration de proximité. La France est la première destination des émigrés belges (28,9 % de l’ensemble des émigrés belges dans le monde) suivie des Pays-Bas (10,2 %), de l’Italie (8,7 %), de l’Espagne (8,1 %) et de l’Allemagne (6,6 %). Ces cinq pays totalisent près de 63 % du total.

Destinations privilégiées des émigrés belges, situation en 2015.
Graphique 10. Base de données des Nations Unies et calculs des auteurs.

Depuis 2002, la Belgique dispose aussi d’une source précieuse d’information sur les Belges résidant à l’étranger (qu’ils soient nés en Belgique ou à l’étranger) : le registre consulaire. Ce registre permet aux citoyens belges vivant à l’étranger de s’inscrire volontairement auprès du consulat situé le plus proche de leur lieu de résidence et facilite une série de démarches administratives comme le renouvellement des papiers d’identité.

CC BY

Dans les pays de résidence instables, le registre permet aussi d’accélérer leur évacuation si nécessaire. Dans la mesure où l’inscription consulaire est facultative, un certain nombre de Belges vivant à l’étranger choisissent toutefois délibérément de ne pas s’inscrire au consulat. De ce fait, ils ne sont pas captés dans ces statistiques consulaires. C’est le cas, par exemple, des Belges qui résident à l’étranger durant une période relativement courte, de ceux qui veulent rompre tout lien avec la Belgique ou de ceux qui estiment qu’il leur est plus simple de se rendre directement en Belgique pour régler leurs questions administratives.

Malgré ces limites, le registre consulaire nous indique, qu’au cours de l’année 2017, 451 909 Belges vivent à l’étranger dont la moitié est de sexe féminin. Le graphique 11 confirme également l’image qui émerge des données des Nations Unies concernant l’émigration belge : le Belge qui s’établit à l’étranger se dirige en très grande priorité vers un des 15 États membres historiques de l’Union européenne et en particulier vers les États voisins de la Belgique.

Ainsi, plus d’un Belge sur quatre vivant à l’étranger est établi en France (28 %). Derrière la France se positionnent les Pays-Bas et l’Allemagne qui représentent respectivement 8 % et 6 % de l’ensemble des Belges résidant à l’étranger. L’Espagne, les États-Unis et le Royaume-Uni représentent aussi chacun environ 6 % du total. Enfin, notons également que la Suisse, le Canada et Israël se classent au sein du Top 10.

Répartition géographique des Belges résidant à l’étranger, situation en 2017.
SPF Affaires étrangères (2017), Statistiques sur les Belges à l’étranger par poste et calcul des auteurs., CC BY-SA

Les raisons qui poussent des individus à quitter un pays en paix et relativement prospère comme la Belgique sont évidemment différentes de celles poussant des demandeurs d’asile syriens ou irakiens vers la Belgique aujourd’hui.

Pourtant, il est illusoire de penser que le développement économique signifie l’absence d’émigration. Au contraire, l’émigration peut se trouver renforcée par l’augmentation du niveau de développement des pays. En effet, l’augmentation du niveau d’instruction et de connaissances linguistiques des individus augmente naturellement leurs aspirations professionnelles et leurs chances de trouver un emploi à l’étranger.

Ces caractéristiques placent aussi les Belges candidats à l’émigration dans une position favorable par rapport aux politiques d’immigration sélective pratiquées par des États tels que l’Australie, le Canada et les États-Unis.

Qui sont les émigrés belges ?

De nombreuses indications convergent et mettent en évidence le fait qu’une proportion très significative des émigrés belges est très instruite. En effet, selon une étude citée dans le graphique 12, en 2010, environ quatre émigrés belges sur dix vivant en France (42 %), au Danemark (42 %) et en Norvège (37 %) sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Cette proportion se situe à 50 % ou plus pour les Belges de Nouvelle-Zélande (54 %), de Suède (60 %), d’Australie (64 %), du Canada et des États-Unis (68 %). Les données du graphique 12 montrent également que le niveau d’instruction des émigrés belges a augmenté entre 1980 et 2010.

Proportion des titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur parmi les émigrés belges (en %) résidant dans quelques pays de l’OCDE, situation en 1980 et 2010.
Calculs des auteurs et base de données développée par Brücker H., Capuano S., Marfouk A., « Education, gender and international migration », Nuremberg, Institute for Employment Research, CC BY

Il s’agit toutefois d’éviter de présenter l’émigration des Belges comme une migration exclusivement hautement qualifiée. Les raisons qui peuvent les inciter à s’installer à l’étranger sont diverses : emploi, études, connaissances linguistiques, motifs familiaux, retraite au soleil… Récemment, des chercheurs ont également mis au jour une nouvelle motivation à l’émigration parmi les Belges : la discrimination.

En effet, pour certains jeunes belges d’origine étrangère, un sentiment de frustration se développe face aux barrières qu’ils rencontrent sur le marché du travail en raison de leur origine nationale, leur ethnicité ou leur religion. On a ainsi pu observer une recrudescence des départs de jeunes belges d’origine maghrébine vers des destinations comme le Royaume-Uni, le Canada ou même le Qatar, où ils estiment que leurs origines ne constitueront pas un frein à leur épanouissement personnel et professionnel.

Tout comme les immigrés qui s’installent en Belgique, les immigrés belges gardent souvent des liens avec leur pays d’origine mais aussi avec d’autres immigrés de la même origine.

Deux grandes associations – l’Union des Francophones Belges à l’Étranger et Vlamingen in de Wereld – se chargent d’ailleurs de favoriser les liens entre Belges vivant à l’étranger et leur rendent une série de services (soutien dans les démarches administratives, organisation d’événements culturels, défense de leurs intérêts auprès des autorités belges…). De même, l’impact de la population émigrée sur la Belgique peut aussi se mesurer au niveau politique puisque les Belges à l’étranger possèdent le droit de vote aux élections législatives fédérales depuis 2002. Signalons à cette fin que près de 130 000 émigrés belges se sont inscrits pour participer aux élections législatives fédérales de 2014.

Ces pratiques nous informent que, lorsque les individus émigrent, qu’ils soient Belges ou d’une autre nationalité, ils coupent rarement tout lien avec leurs pays d’origine. De ce fait, l’émigration peut générer de nombreux effets bénéfiques pour leur pays d’origine, comme le montre l’abondante littérature sur les diasporas et le transnationalisme. Parmi ces bénéfices, on peut bien sûr citer les transferts financiers opérés par les immigrés vers leur pays d’origine, les migrations de retour après l’acquisition de connaissances et de compétences dans les pays d’immigration, la création de réseaux favorisant le flux des investissements étrangers à destination des pays d’origine et le commerce bilatéral entre les pays d’émigration et d’immigration.

En conclusion, il serait illusoire de penser que la Belgique est uniquement un pays de destination des immigrés, puisque – comme bien d’autres nations – elle est à la fois terre d’arrivée et de départ.The Conversation

Abdeslam Marfouk, International Migration Researcher, Université de Liège et Jean-Michel Lafleur, Associate Director, Centre for Ethnic and Migration Studies, Université de Liège

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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