Sophia Ahmed-Ali, Université de Lorraine
Alors que le 37e album des aventures du duo gaulois le plus célèbre du monde, Astérix et la Transitalique, a été tiré à plus de 10 millions d’exemplaires (du jamais vu dans l’édition de la bande dessinée), comment expliquer l’engouement des jeunes d’aujourd’hui pour les antiques gladiateurs romains, les dieux grecs ou les héros de la mythologie ? Depuis le début des années 2000, l’Antiquité a le vent en poupe, aussi bien à l’écrit qu’à l’écran.
L’histoire ancienne aujourd’hui
Qu’est-ce que l’histoire ancienne pour les jeunes d’aujourd’hui ? Ayant la chance d’enseigner l’histoire (et la géographie) dans un collège lorrain, j’ai posé la question à mes élèves de 6e. Pour beaucoup d’entre eux, l’Antiquité est une époque lointaine, mais en même temps dont ils se sentent proches. Pourquoi ? Parce qu’elle évoque pour eux toute une série de thèmes qui les attirent. Elle leur inspire a priori une forme de sympathie réjouissante.
Beaucoup m’ont dit éprouver un intérêt pour les héros grecs. Ils étaient ravis lorsqu’ils ont découvert le programme d’histoire dit « de cycle 3 » qui propose une initiation à la mythologie. Bien sûr, l’histoire ancienne est une science humaine ; or pour les jeunes publics, c’est d’abord des histoires tout court : de beaux récits, des légendes mettant en scène des êtres fabuleux, des dieux, des déesses ou des monstres. Mais cette distorsion est féconde, puisqu’elle offre l’occasion de mener en classe un véritable travail d’historien, distinguant mythe et réalité.
Percy Jackson et Harry Potter au secours du latin
L’étude de la mythologie en classe est facilitée par les héros de la culture populaire, comme Percy Jackson, devenu une référence pour beaucoup d’élèves. Les aventures de Percy Jackson s’appuient sur des mythes grecs, habilement remis au goût du jour. Le jeune Percy découvre qu’il est le fils du dieu de la mer, Poséidon, et se voit confier pour mission d’aider les dieux à lutter contre les Titans pour la seconde fois dans l’histoire de l’Olympe. Ces imbrications entre histoire ancienne et fantastique favorisent l’intérêt des jeunes pour l’Antiquité.
De même, Virgile ou Tite-Live, piliers de la littérature latine, semble être grandement appréciés, du moins à travers leurs adaptations pour la jeunesse.
Les aventures d’Enée le Troyen ou encore la fondation de Rome par les jumeaux légendaires, Rémus et Romulus, trouvent de nouveaux échos à travers la bande dessinée.
Antiquité et mythologie connaissent même un renouveau éditorial. Les éditions Nathan, entre autres, publient de nombreux ouvrages autour de l’histoire antique, dépoussiérant d’anciennes figures héroïques ou monstrueuses, comme Ulysse ou la Méduse. Sans parler du Feuilleton d’Hermès.
Cet engouement pour l’Antiquité permet aussi aux jeunes lecteurs de faire le lien avec des œuvres actuelles, comme la saga Harry Potter qui s’appuie sur d’anciens mythes, aussi bien grecs que latins. Le personnage de Rémus Lupin se trouve être un loup-garou ; une référence au frère du fondateur de Rome, allaité par une louve.
Harry Potter a même, à sa manière, défendu l’enseignement des langues anciennes au collège, en faisant la promotion du latin, langue utilisée dans les formules magiques des sorciers ! Un magnifique argument pour capter l’intérêt des jeunes. Non, le latin n’a rien de ringard : la preuve par Harry Potter !
Héros antiques et fascination
Les héros épiques, Ulysse, Jason ou Hercule étaient des modèles pour les jeunes grecs qui écoutaient et lisaient leurs aventures avec admiration. Pour les jeunes d’aujourd’hui, identification et fascination se mêlent, car ils découvrent, à travers la mythologie, un monde a priori différent du leur, un univers où les normes ne sont pas celles de leur quotidien. La possibilité que les dieux interviennent directement dans le monde lorsqu’on a besoin d’eux satisfait un désir de protection. De même, les héros peuvent paraître rassurants : ils représentent un monde où dominent des valeurs de bravoure et de courage.
En général, les monstres sont vaincus et les héros triomphent. Ce qui n’empêche pas ces derniers de commettre quand même, eux aussi, quelques crimes au passage : Thésée est à la fois le héros qui tue le Minotaure et un coureur de jupons. Hercule n’est pas qu’un gentil massacreur de méchants, c’est aussi un alcoolique capable du pire : meurtres et viols…
La fascination pour les héros antiques n’est pas dénuée d’ambiguïté. Si l’Antiquité fait rêver, c’est aussi parce que ce n’est pas un monde vraiment « politiquement correct » : guerre, impérialisme et assassinats n’y sont que rarement condamnés. Dès lors, l’Antiquité devient aussi une sorte d’Ailleurs et un défouloir, comme le montrent certaines séries de séries « trash » (pour adultes), comme Rome et Spartacus.
Jouer à l’imperator
L’Antiquité inspire aussi aujourd’hui un nombre croissant de jeux vidéo. C’est le cas de Rome : Total War qui connaît un grand succès.
Il s’agit de créer un Empire et de l’agrandir en conquérant diverses provinces, tout en s’appuyant sur la religion et la diplomatie. Le joueur gère sa propre faction romaine. On remarque au passage que les créateurs du jeu ont mené de vraies recherches historiques : on y trouve, en effet, la mention des grandes familles romaines comme les Brutii ou les Iulii. Provinces et royaumes de l’époque, comme la Numidie ou l’Empire des Parthes, correspondent aussi à la réalité antique.
Le jeu permet de se placer dans la position du chef romain, de l’imperator, comme on disait alors. Le joueur institue des taxes et des impôts pour financer un programme architectural (en privilégiant, par exemple, l’édification d’amphithéâtres, dans le but de satisfaire la soif de spectacle de son peuple), ou encore pour payer les légions qu’il lance à la conquête de son Empire. Bref, il se met dans la peau de Jules César.
Ta mission : sauver l’Égypte de Cléopâtre
Dernier en date, le jeu Assassin’s Creed origins, révélé au public en octobre 2017, permet au joueur de découvrir l’Égypte de Cléopâtre, tout en mettant hors de nuire une série de monstres et de dangereux comploteurs. Fantasmes et fascination ne sont pas séparés d’un contenu authentiquement historique et scientifique.
Nous sommes en 49 av. J.-C. La reine, âgée de 20 ans, a été chassée d’Alexandrie par un complot de son frère, Ptolémée. Dans de petites scènes, appelées cinématiques, qui permettent au joueur de comprendre le contexte, la souveraine est vêtue en reine égyptienne, coiffée d’un diadème en or et le cou enserré dans un lourd collier, comme sur les représentations d’elle, sculptées il y a 2 000 ans dans les temples. Mais avec un ajout totalement fantaisiste : deux chaînes en or qui lui tombent sur les joues.
La reine fume aussi de l’opium dans une pipe et fait mettre à mort ses amants. Mais, au-delà de tous ces fantasmes, on remarque aussi des références historiques extrêmement savantes, dues aux experts embauchés par Ubisoft, la société créatrice du jeu. Cléopâtre donne des ordres qui se terminent par la formule grecque « ginesthô » qui signifie « Ainsi soit-il ! ». Exactement ce qu’on peut lire à la fin du « papyrus de Cléopâtre » qui sert de support au texte d’une ordonnance royale de 33 av. J.-C.
Le jeu Assassin’s Creed Origins reflète bien le statut de l’Antiquité pour les jeunes d’aujourd’hui : celui d’un monde fascinant et ambigu, pour le meilleur et pour le pire. Précisément comme les anciens mythes grecs.
Sophia Ahmed-Ali, Professeur d’histoire-géographie. Doctorante en histoire ancienne, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.