« Ce qui m’intéressait, c’était de mieux le connaître », confie Gilles Perret, réalisateur de « L’insoumis », qui a filmé le candidat lors de sa campagne présidentielle.
Le personnage principal de « L’insoumis », documentaire de Gilles Perret (actuellement en salles), c’est Jean-Luc Mélenchon que le réalisateur a suivi pendant la campagne présidentielle de 2017, dans ses meetings, les trains, les réunions… Dans les seconds rôles, figurent bien sûr des membres de son équipe de campagne, dont Sophia Chikirou, sa directrice de communication, et Bastien Lachaud (désormais député), tous deux évoqués dans la polémique sur la surfacturation des comptes de campagne. « J’imagine dans quel état doit être Jean-Luc Mélenchon, mais je ne suis pas leur porte-parole, je ne suis pas dans leur campagne », élude le réalisateur, interviewé lors de la présentation de son film au Caméo, à Nancy.
Pourquoi avoir choisi ce candidat en particulier pour votre documentaire ?
Gilles Perret : C’est un personnage qui est dans les affects, et je savais qu’à tout instant il se passe quelque chose. C’est quelqu’un qui a du charisme, mais on sait qu’avec lui il va y avoir de l’émotion, du rire, de la colère. Ce qui m’intéressait c’était vraiment de le coller, pour être au plus proche de lui, essayer de mieux le comprendre, mieux le connaître, pas forcément de le faire aimer. Il y a des gens qui viennent voir ce film qui ne l’aiment pas, et continuent de ne pas l’aimer à la fin, ce n’est pas mon problème, mais en tout cas je voulais être le plus vrai possible avec lui, et vivre ça de l’intérieur, être le plus fidèle possible avec ce qu’on allait vivre. Après, effectivement, la toile de fond c’est la campagne, on sent que ça grossit, ça monte, ça monte, et pour le film en terme de dramaturgie c’était pas mal, il y a du suspense.
« On est sur lui, sur l’être humain »
Dans votre film, Mélenchon donne des éléments à la caricature, à ceux qui ne l’aiment pas, notamment dans ses rapports avec les journalistes…
Il est très sensible, et de temps en temps la sensibilité se traduit par beaucoup de proximité avec les gens, mais aussi de l’agressivité. Des gens qui viennent voir ce film et ne l’aiment pas y voient des traits de caractère qui les confortent dans leur opinion. Le spectateur n’est pas pris par la main pour savoir ce qu’il faut penser ou pas penser, chacun est capable de se faire une opinion par rapport au personnage. On connait les rapports conflictuels qu’il a avec les médias, je ne cherche pas à le justifier, mais parallèlement à ça je l’ai vu avoir de très belles discussions de très haut niveau, quand on n’est pas dans la politique politicienne. Tous les journalistes qui ont suivi sa campagne, quasiment, ont eu de très bons rapports avec lui.
Votre film se termine au soir du premier tour, avant même son discours qui a suscité la polémique, puisqu’il ne donnait pas de consigne de vote au second tour, c’était votre choix de vous arrêter là ?
Le choix c’était, dès le départ, de faire un film dans la dramaturgie, je m’arrêtais de filmer quand il allait perdre, que ce soit au premier tour ou au deuxième tour. Au début où je tourne avec lui, franchement, il était en-dessous des dix pour cent. J’ai fait une version télé pour Public Sénat, qui était une chronique de campagne avec beaucoup moins d’humain, et là j’avais le discours officiel tristoune qu’on a décrié. Dans cette version-là, on est dans autre chose, on est plus sur lui, sur l’être humain, et le discours de fin devant les jeunes était plus conforme au reste du film. Tout est tourné dans des bistrots, des loges, des trains, et là il est dehors avec un tabouret qui ne tient pas bien et une sono qui ne marche pas trop bien ; comme tout le film est tourné dans le mouvement et dans l’action, ça nous paraissait correspondre beaucoup mieux au style du film, et rester dans cette ambiance un peu populaire et de débrouille.
Mélenchon a suscité un élan, un espoir, à la hauteur de la déception à la fin du film. En attendant les résultats (en quatrième position avec 19,58% des voix), il n’a pourtant pas l’air si abattu qu’on le disait ?
Oui, j’étais surpris aussi. Par contre, le soir même et le lendemain il était très triste ; il met du temps à accepter, à assimiler ce qui lui tombe sur le coin de la figure, parce qu’il s’était vraiment mis dans l’état d’esprit du gars qui allait aller au deuxième tour, du coup il se raccroche à tous les petits signaux qui pourraient lui laisser croire qu’il y a encore une chance d’y aller. De toute son équipe, c’est celui qui y croyait le plus, c’est sûr, mais dans un truc de fou comme ça, si on n’y croit ce n’est pas la peine d’y aller.
« Il a pleuré à la fin du film »
Mélenchon le dit lui-même, c’était d’ailleurs une campagne unique par tous ses rebondissements…
Oui, s’il est serein dans le film comme ça, c’est parce qu’en fait il disait que c’était la campagne la plus facile qu’il a eu à mener, même par rapport à des campagnes cantonales. Dans le sens où il n’y avait pas de dissensions dans l’équipe, et les sondages n’ont fait que monter, du coup cette euphorie, toujours plus de monde dans les meetings, tous ces signaux faisaient que pour lui ça allait de soi.
Avez-vous eu des contraintes lors du tournage ?
Du moment où il a accepté de faire le film, où je lui demandais quand même quelque chose de compliqué, c’est-à-dire être à l’intérieur et je ne restais pas à la porte quand ça se fermait pour les journalistes, au bout d’un jour de tournage j’avais une relation directe avec lui, et à aucun moment quelqu’un ne m’a dit tu filmes ça ou tu ne filmes pas ça. J’ai eu une liberté d’action bien au-delà de ce que j’aurais pu espérer, parce qu’il est comme ça, il marche tout à l’affect. Une fois qu’il a confiance, j’ai pu le filmer dans des situations où pas un responsable politique n’accepterait de se laisser filmer comme ça.
Quelle a été sa réaction à votre film ?
Il a vu le film quand il a été terminé, on l’a regardé ensemble, et je savais qu’il n’allait absolument pas me demander de couper quoique ce soit ; il a pleuré à la fin, c’était un moment émouvant, pour lui et pour moi aussi. Il m’a dit juste une chose : je ne sais pas si le film est bien ou pas bien, mais c’est sincère avec ce qu’on a vécu, les gens vont me voir comme je suis, ils vont m’aimer, pas m’aimer, ce n’est pas le problème, mais au moins ce n’est pas vu par un miroir déformant.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« L’insoumis », un film de Gilles Perret (actuellement en salles).