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Tous ensemble dans « La Villa »

« Le capitalisme a gagné », constate le cinéaste Robert Guédiguian, qui a tourné un film bouleversant à Marseille, avec sa troupe habituelle.

A lire également, une interview d’Ariane Ascaride.

Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, et Gérard Meylan, frères et soeur dans le film de Robert Guédiguian, "La Villa".
Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, et Gérard Meylan, frères et soeur dans le film de Robert Guédiguian, « La Villa ».

 

Un vieil homme sur sa terrasse, face à la mer, qui fume une cigarette, la dernière peut-être, seul le bruit des vagues résonne dans la calanque de Méjean. Un « lieu magique », près de Marseille, avec des maisons encastrées, accrochées à la colline, surplombant un petit port, un vrai décor de cinéma. C’est d’ailleurs celui du vingtième film de Robert Guédiguian, « La Villa » (sortie le 29 novembre), présenté à la Biennale de Venise.

Apprécié pour ses fables provençales avec sa troupe fidèle (« Marius et Jeannette », « Marie Jo et ses deux amours »…), le cinéaste est parfois boudé des spectateurs pour ses autres films « historiques » (« L’armée du crime », « Une histoire de fou »). « Pour eux, tout ce que je fais qui n’est pas à Marseille avec ces acteurs-là, ils s’en foutent un peu, ce qu’ils veulent c’est être à la maison », confie le cinéaste, dans un bistrot proche de La Bastille, à Paris.

Qu’on se rassure avec « La Villa », qui se déroule dans un tout petit coin de Marseille, on est à la maison avec la famille Guédiguian : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, et quelques petits nouveaux, Anaïs Demoustier et Robinson Stévenin. Dans cette villa où le vieux père est mal en point, se retrouvent les enfants, Angèle, Joseph et Armand, deux frères et une sœur.

« C’était pas mieux avant »

Actrice connue, Angèle (Ascaride) va lâcher vingt ans de larmes dans cette maison où elle n’était pas revenue depuis un drame terrible. Joseph (Darroussin) est retraité, désabusé, et  vit avec une « trop jeune fiancée ». Quant à Armand (Meylan), il est resté là, a repris le restaurant familial « bon et pas cher » (le Mange-tout). Il y a aussi les voisins, les amis, avec qui s’échangent « des tonnes d’amour anciennes et d’amours à venir ». « J’aime les familles ouvertes, recomposées, qui adoptent, qui recueillent, où tout ça se mélange, j’ai horreur de la pureté », dit Guédiguian.

S’inspirant à la fois de Tchekhov (« Si vous voulez parler au monde entier, parlez de votre pays ») et du cinéma italien, le cinéaste a tourné un presque huis-clos dans cette calanque, avec des séquences très théâtrales, où même un jeune pêcheur cite Claudel. « L’art le plus proche du cinéma, c’est le théâtre », rappelle le réalisateur.

Dans ce coin de paradis (perdu ?), Guédiguian y trouve encore de bons sentiments, entraide, fraternité, générosité… « Je suis sûr que ça existe, la volonté de partager, elle n’est pas perdue, elle n’est aujourd’hui pas présente de manière structurée dans le programme d’un parti, mais dans la vie de tous les jours, d’un village, d’un immeuble, d’un quartier, elle existe », est-il convaincu.

Robert Guédiguian : "Ce qui a changé, c'est l'argent".
Robert Guédiguian : « Ce qui a changé, c’est l’argent ».

Coécrit avec Serge Valletti, « La Villa » est un film bouleversant sur le temps qui passe, mais pas de nostalgie du temps passé : « C’était pas mieux avant », assure Guédiguian, « Ce qui a changé, c’est l’argent, la volonté de propriété. Le capitalisme a gagné, de manière pas forcément définitive, mais pour une bonne période, de manière abusive et illusoire on a fait penser à tout le monde que nous étions tous des capitalistes ».

Ce qui a changé aussi, ce sont ces soldats en armes qui patrouillent dans les villes, la trouille du terrorisme, et l’afflux de ces réfugiés dont on ne sait que faire. « On vit dans un pays où des gens se noient en mer tous les jours », constate le cinéaste, qui se sentait obligé d’en parler : « C’est le prolétariat du monde, les réfugiés aujourd’hui, je ne supporte pas tous les discours pragmatiques, économistes, réalistes… », dit-il.

Le trio de vieux enfants de la calanque va ainsi secourir un trio d’enfants réfugiés, orphelins peut-être, rescapés de la mer assurément. Une grande sœur protègeant ses deux petits frères, accrochés l’un à l’autre, main dans la main. « Comme si leur parents leur avaient dit : ne vous lâchez jamais », précise Guédiguian.

« Un endroit protecteur, un refuge »

« Robert avait vraiment envie de se recentrer et de se réinspirer à travers un endroit au plus serré de la famille, le plus petit endroit du monde, un cul-de-sac un endroit protecteur, un refuge, où chacun peut se sentir en paix, avec un esprit collectif, en tout cas un endroit où des gens de différents horizons vivent ensemble et se sont créés leur vivre ensemble », ajoute Jean-Pierre Darroussin, « Il n’y a pas grand-chose de spectaculaire, le seul effet c’est celui de la mer, de la lumière, de la rencontre avec cette beauté, et des rapports humains ».

Le film évoque aussi « Comment ce qui nous a été légué, les valeurs qui nous ont constitués, comment elles ont navigué, comment on les a entretenues ou pas », précise l’acteur, dont le personnage s’excuse pour ses piques et méchancetés : « Il est un peu provocateur, l’humour, ça le sauve, il cherche la fantaisie, l’ironie, il est porté vers l’ouverture, à consommer la vie  avec gourmandise, il est capable d’émerveillement ». Et d’inventer des proverbes pleins de bon sens : « Au bord du précipice, seul le rire nous empêche de sauter ».

Une certaine familiarité s’est créée entre la bande à Guédiguian et les spectateurs, qui ont plaisir à les retrouver régulièrement. Avec les personnages, on s’amuse que les héritiers du monde ouvrier se fassent traiter de bourgeois, et on adhère à ce cinéma engagé pour de belles idées. S’il n’y a plus vraiment l’espoir du grand soir, subsiste celui de lendemains qui pourraient chantonner,  tous ensemble dans la villa, tous ensemble dans la vie.

Patrick TARDIT

« La Villa », un film de Robert Guédiguian (sortie le 29 novembre).

Ariane Ascaride :

« Je suis comme tout le monde »

Ariane Ascaride : "Mon père faisait du théâtre, c'est comme ça que j'ai commencé".
Ariane Ascaride : « Mon père faisait du théâtre, c’est comme ça que j’ai commencé ».

Est-ce agréable de jouer régulièrement avec des amis ?

Ariane Ascaride : Il n’y a rien de plus difficile. D’abord on gagne du temps, parce qu’on ne passe pas les premiers jours à rassurer le metteur en scène de nous avoir choisi et à rassurer nos partenaires. Mais ça met un niveau d’exigence inimaginable, c’est beaucoup plus haut que sur d’autres films ; comme on se connait bien, on a plaisir à le faire, mais c’est de l’orfèvrerie, il faut se surprendre, monter chaque fois, c’est ça qui est génial.

Votre personnage est une actrice, il y a une mise en abyme qui renvoie à ce que vous êtes ?

Figurez-vous que j’y ai jamais pensé, c’est une actrice bien sûr, mais ce n’est pas le même genre d’actrice que moi, elle ne joue pas dans la même cour. Bien sûr qu’elle me ressemble, elle a mon corps, elle a ma voix, mais ce n’est pas comme ça que je l’ai abordée. Ce qui est proche de moi, c’est qu’est-ce que c’est d’arriver dans mon quartier, à Marseille, avec toute la vie que j’ai eue, et de tomber sur une copine de classe, la manière dont elle vous regarde c’est très compliqué. Les gens me voient au cinéma, à la télé, je suis et la même personne et en même temps elles ne savent plus qui je suis. Mon questionnement est toujours le même : est-ce que les gens comprennent à quel point je suis sincère quand je parle ?

Comme l’actrice que vous jouez, est-ce que des jeunes gens sont venus vous dire que vous leur aviez transmis la passion du théâtre ?

Oui, ça m’est arrivé. Particulièrement des filles, plus que des garçons. Il m’est arrivée d’être très émue, j’ai vu des jeunes filles pleurer en venant me parler, je vous assure que je ne minaude pas en disant ça, je leur dis qu’il ne faut pas pleurer, je suis juste comme tout le monde. Et en même temps, j’arrive à comprendre ça, parce que quand j’étais jeune et que j’allais au théâtre voir jouer Maria Casarès, j’étais dans cet état-là, c’était génial de la voir et de l’entendre.

« L’amitié n’a pas changé »

Il y a dans « La Villa » une séquence émouvante, un extrait du film « Ki Lo Sa ? », où l’on vous revoit, jeunes, avec Darroussin et Meylan…

Quand je la vois, je me rappelle exactement l’état dans lequel on était, la voiture de Jean-Pierre, je me rappelle exactement quand on a tourné, je me souviens du rire du chef-opérateur, c’est ça qui me revient. On avait tourné en août, et en septembre il y a eu un feu, toute la route et tous les arbres ont brûlé, et vingt-cinq ans plus tard tout a repoussé.

« La Villa » évoque le temps qui passe, pour vous qu’est-ce qui a changé depuis « Ki Lo Sa ? », en-dehors des arbres qui ont repoussé ?

Tout. Enfin, si c’est dans ma vie, beaucoup de choses. Quand on fait « Ki Lo Sa ? », c’est très difficile d’arriver à faire des films, on se bat, aujourd’hui faire un film c’est pas très compliqué pour nous. Avoir des enfants qui ont grandi et, c’est une des fiertés de ma vie, qui ont une manière de penser le monde assez géniale, mes filles m’apprennent des choses, elles ont un regard sur le monde très humain et très révolté. Ce qui a changé, c’est que mes parents ne sont plus là, pas simplement des représentants porteurs d’une culture qui n’existe plus vraiment. A part ça, l’amitié que je peux avoir avec mes amis n’a pas changé, absolument pas, même ça s’est amplifié, ça n’a pas de prix. La fierté, c’est voir que nos propres enfants sont très amis entre eux, c’est génial.

Vous faites partie d’une génération qui avait tendance à se démarquer des précédentes…

En fait, je crois que j’ai un peu merdé sur ce coup là, mes parents m’ont quand même collé vachement aux basques, non pas parce qu’ils étaient directifs, mais ce qu’ils étaient me plaisait, même s’ils étaient complètement dingos, je suis fier d’être fille de Résistant, par exemple. Je n’ai eu aucune crise d’adolescence, rien du tout.

« Je suis la fille de Peter Pan !

En quoi étaient-ils dingos ?

Mon père détestait la réalité, c’était très compliqué à vivre, moi je suis la fille de Peter Pan ! Mes parents n’avaient pas un rond, et mon père faisait du théâtre, c’est comme ça que j’ai commencé. Si je suis comédienne, c’est sa faute, à huit ans il m’a fait monter sur un plateau, il ne m’a pas demandé si j’étais d’accord ou pas. Après, il s’est avéré que c’était tellement rigolo ce truc à faire ; mon frère a été directeur de théâtre, mon autre frère écrit, nous n’avions pas un rond, on n’a hérité que d’une chose, l’imagination, on lui doit, mais c’était infernal des fois. Ma mère était dingo aussi, mais pas du tout de la même manière. Si je suis allée autant au théâtre, c’est parce que ma mère m’emmenait, au théâtre et au cinéma, le panel de ma mère était très ouvert, on voyait tout. Mes parents n’ont pas fait d’étude, mais leur rapport à l’art était naturel.

Tout comme Angèle, votre personnage, vous n’aviez pas le physique pour jouer Claudel ?

Le seul qui m’a forcée à jouer Claudel, c’est Antoine Vitez. Je n’aime pas Claudel, en fait je n’aime pas l’homme, chez moi c’est très difficile de faire la différence entre l’homme et l’auteur, et je ne l’aime pas du tout. Antoine Vitez adorait Claudel, donc un jour il m’a obligée à travailler Claudel. Je dois dire une chose, quand vous êtes à l’intérieur de Claudel en tant qu’acteur, c’est absolument génial à jouer, c’est une écriture faite pour être dite, c’est vraiment formidable, mais je ne le jouerai jamais, et d’ailleurs on ne me l’a jamais proposé.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

La calanque de Méjean, où a été tournée "La Villa", un coin de paradis.
La calanque de Méjean, où a été tournée « La Villa », un coin de paradis.
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