Christophe Schmitt, Université de Lorraine
Alors que les prévisions économiques sont convergentes sur le pessimisme du devenir économique de nos sociétés, certains motifs apparaissent cependant comme encourageants. En effet, un article publié dans The Conversation France insiste tout particulièrement sur le maintien du moral positif des entrepreneurs en dépit de la crise sanitaire actuelle et de son impact économique qu’on ne saurait dénier. Une autre enquête, cette fois menée par BPI auprès des doctorants, évoque le fait que 44 % des jeunes docteurs envisagent de devenir entrepreneurs.
L’entrepreneuriat, en général, et l’entrepreneuriat au sein de l’université semblent tous deux bien se porter. Ces éléments ont été confortés dernièrement par les propositions sur le rôle des universités dans le plan de soutien à la relance présenté par la CPU (Conférence des présidents d’Université) où l’entrepreneuriat est évoqué non seulement comme une voie d’insertion professionnelle, notamment chez les étudiants, mais aussi comme un véritable levain en matière de développement économique au niveau des universités.
C’est dans ce contexte que nous avons mené une consultation au niveau du réseau national des VP Entrepreneuriat au sein des universités. Ce réseau, constitué d’une cinquantaine d’établissements, tous membres de la CPU, participe aux réflexions sur la place de l’entrepreneuriat au sein des universités et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
Cette consultation avait pour objectif de proposer une réflexion prospective du rôle de l’université en matière d’entrepreneuriat, au travers deux volets : une vision à court terme et une vision à moyen et long termes. Les 48 membres du réseau national y ont été sollicités. 33 y ont répondu.
Sensibiliser à la rentrée
Globalement, il apparaît que les universités ont su faire face aux contraintes de la crise sanitaire en proposant une continuité de services aux entrepreneurs et, plus particulièrement, aux étudiants-entrepreneurs.
Cette adaptation n’est pas le fruit du hasard. Elle est due principalement au mode de fonctionnement en cohérence avec l’entrepreneuriat : agilité, capacité à pivoter, anticipation… La grande partie des universités utilisait déjà des outils ou des applications numériques permettant un basculement à distance. Cela est bien vrai pour les formations et l’accompagnement qui ont pu se faire à distance.
À court terme, l’inconnue de la rentrée universitaire porte plus sur la sensibilisation à l’entrepreneuriat auprès d’un nouveau public d’étudiants. Activité cruciale pour le développement de l’entrepreneuriat au sein des universités. Le respect de contraintes sociales dans les amphis ou salles de cours par rapport à la situation sanitaire de la France pour le premier semestre de l’année universitaire 2020-2021 pourrait rendre difficile d’aller à la rencontre des étudiants pour les y sensibiliser.
Le recours aux outils numériques pourrait être un palliatif intéressant, mais il n’est pas vu comme suffisant par les membres du réseau national. En effet, il serait nécessaire que le recours puisse être accompagné localement par une campagne de communication auprès des étudiants, des doctorants, des post-doctorants et du personnel de l’université.
Répondre à l’entrepreneuriat de contrainte
À court terme, le public de formation continue est envisagé comme un enjeu. Actuellement, les activités par rapport à ce public ne sont pas assez développées en matière d’entrepreneuriat. En effet, si le marché de l’emploi défaille, comme on semble le prévoir, avec une demande qui augmente et une offre qui diminue, on peut s’attendre au développement d’un entrepreneuriat de contrainte (à la différence de l’entrepreneuriat volontaire qui prévaut actuellement).
Cet entrepreneuriat correspond principalement à des personnes dont le profil rend difficile l’employabilité (âge, qualification, mobilité…). Certaines universités projettent de s’engager, justement, dans des activités de formation et d’accompagnement par rapport à ce type d’entrepreneuriat. Mais il faudrait bien, pour se faire, y adapter les outils, les démarches, la façon de faire.
L’objectif est double : être prêt quand la situation économique basculera et favoriser le rebond des personnes mises en difficulté par leur situation professionnelle. Le savoir-faire en matière d’entrepreneuriat est complémentaire des structures d’accompagnement et des chambres consulaires dans le domaine. Pour sa part, celui des universités se situe avant tout dans la phase en amont de l’entrepreneuriat, en l’occurrence celle de l’état gazeux.
Cette phase même permet l’éclosion de projets sans pour autant être assujettie à une logique systématique de plan d’affaires qu’on retrouve dans l’état de cristallisation. En somme, l’enjeu en serait de permettre aux personnes de valoriser leur parcours par une certification ou un diplôme reconnu au niveau des acteurs de l’écosystème entrepreneurial, en vue de pouvoir aller de l’avant.
Pérenniser l’entrepreneuriat à l’université
S’il est clair qu’à court terme, les membres du réseau national voient bien le rôle qu’ils peuvent jouer au sein de leurs universités respectives, leurs craintes à moyen et à long terme portent sur la pérennisation de la place accordée à l’entrepreneuriat.
Pour eux, le risque est que les universités se referment sur leurs métiers historiques que sont la formation et la recherche et que les moyens, notamment humains et financiers, finissent par positionner l’entrepreneuriat comme cinquième roue du carrosse.
La position majoritaire des membres du réseau rejoint l’idée envisagée dans les recommandations de la CPU, lesquelles considèrent que l’université peut jouer un rôle important, à travers la formation et la recherche, au niveau de la relance économique.
L’entrepreneuriat à l’université est un vecteur d’insertion professionnelle important. Le nombre d’entreprises créées par année par des étudiants, des doctorants, etc., est de plus en plus important. Toutefois, il ne s’agit pas d’y voir des encouragements à ubériser la société, mais bien plutôt à développer des activités pérennes, fondées sur des valeurs partagées par l’ensemble des parties prenantes de l’entrepreneuriat.
D’ailleurs, selon les informations du média News Tank, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) qui a vu le jour après cette consultation irait dans ce sens, avec l’ambition de créer 500 start-up high-tech par an d’ici 2030 (actuellement environ 170), de labelliser 15 pôles universitaires d’innovation, de renforcer les thèses CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche), les LabCom (laboratoire commun privé/public), les instituts Carnot…
Enfin, l’entrepreneuriat peut être aussi un bon vecteur de transformation de l’université, notamment dans la consolidation de son rôle conscient et avéré d’acteur économique tant au niveau local, qu’aux niveaux national et international.
Christophe Schmitt, Vice-Président en charge de l’Entrepreneuriat et de l’Incubation et Professeur des Universités en entrepreneuriat, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.