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Stocker de l’électricité, comment ça marche ?

 l'île d'El Hierro,, aux Canaries, autonome en énergie (capture FutureMag Arte)
l’île d’El Hierro,, aux Canaries, totalement autonome en énergie (capture FutureMag Arte)

 

Catherine Ponsot-Jacquin, IFP Énergies nouvelles et Pierre Le Thiez, IFP Énergies nouvelles

Stocker de l’énergie n’a rien d’une nouveauté, et l’on stocke du pétrole et du gaz depuis des décennies. Mais ce besoin a pris ces dernières années une nouvelle dimension avec l’essor des énergies renouvelables (ENR), porté par la volonté de limiter le réchauffement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

L’éolien et le photovoltaïque – deux filières électriques dont les sources sont inépuisables – sont en effet des énergies dites « intermittentes » : elles dépendent des conditions météorologiques locales (un panneau photovoltaïque ne produit pas d’électricité sans soleil et les pales d’une éolienne ne tournent pas sans vent) et affichent donc une production variable.

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Conserver l’énergie produite

Ces contraintes réclament de développer des méthodes de stockage souples et fiables pour répondre aux demandes du réseau électrique ; car tout système électrique doit être équilibré entre production et consommation, non pas seulement en moyenne mais à chaque instant. Le stockage permet alors de garder l’énergie produite en excédent à certaines périodes (pendant une belle journée ensoleillée d’été) pour la restituer en période ou la source n’est pas effective (en soirée).

L’intérêt du développement du stockage électrique est déjà bien perçu dans certaines régions du monde : au Japon, par exemple, il est vu comme nécessaire par la nature insulaire et régionale de son réseau électrique ; en Allemagne, la forte pénétration des énergies renouvelables se situe au Nord, alors que la consommation est au sud du pays ; inversement, en Italie, les ENR se développent au Sud, mais la consommation industrielle est au Nord. Dans ces deux pays, le manque de réseaux Nord-Sud constitue un moteur important pour le stockage dans le but de réguler la production sans engorger les réseaux. Autre exemple, aux États-Unis, où les réseaux sont globalement vieillissants et où le développement rapide des ENR intermittentes dans certains États, comme la Californie, commencent à poser des problèmes de fiabilité.

Pas de stockage direct

Le stockage prend aujourd’hui plusieurs formes, emploie diverses technologies et intervient à différents endroits de la chaîne énergétique. Ses finalités sont également très variées : récupération de production excédentaire, apport en cas d’insuffisance de l’offre ou de pic de demande, ou encore lors de défaillance du système d’approvisionnement.

Mais à ce jour, le stockage direct de l’énergie électrique n’est pas possible de façon efficace et durable, car si l’on sait capturer et utiliser un courant électrique, on ne sait pas comment garder les électrons en mouvement qui le constituent ; il faut donc d’abord transformer l’énergie électrique en une autre énergie qui sera stockée ; celle-ci sera ensuite récupérée et retransformée en électricité en vue de son utilisation.

Dans le stockage de l’énergie électrique, il faut distinguer les systèmes stationnaires des systèmes embarqués : les premiers sont fixes et viennent en appui aux réseaux électriques et aux sites de production, ils sont généralement de grande échelle (du MW au GW) ; les seconds sont de plus petite capacité et intégrés dans un système mobile (voiture par exemple) ou même de très faibles capacités dans les appareils électroniques (batteries de téléphone, etc.).

Les capacités de stockage stationnaire dans le monde sont estimées à environ 145 GW ; c’est-à-dire environ 3 % des capacités électriques mondiales. L’Agence internationale de l’énergie (IEA) a estimé qu’il faudrait au moins 20 GW de plus d’ici à 2025 pour accompagner le développement des ENR et limiter l’augmentation des températures à 2 °C.

Les principaux modes de stockage

On a aujourd’hui recours à quatre formes d’énergie en lesquelles on transforme l’électricité pour la stocker ; chacune d’elle implique des technologies spécifiques. Il y a l’énergie mécanique/cinétique associée au stockage gravitaire par pompage (STEP), au stockage par air comprimé (CAES) et aux volants d’inertie ; l’énergie électrochimique/électrostatique associée aux batteries, aux condensateurs et aux super-condensateurs ; l’énergie chimique associée à l’hydrogénation et à la méthanation ; enfin, l’énergie thermique permettant de transformer l’électricité en chaleur, cette dernière étant stockable directement.

L’essentiel des capacités de stockage actuellement disponibles concerne des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ; les autres technologies représentent moins de 2 % du total et concernent essentiellement les batteries – lithium, sodium/soufre et plomb – ainsi que quelques CAES (stockage par air comprimé).

• Les stations de transfert d’énergie par pompage

Il existe aujourd’hui plus de 400 STEP dans le monde, dont près de la moitié en Europe. Fondamentalement, une STEP se compose de 2 bassins de retenue qui échangent l’eau qu’ils contiennent en consommant de l’électricité par pompage en période de surproduction (nuit, été) ou, au contraire, en produisant de l’électricité par turbinage en période de surconsommation (pointe de consommation du soir, par exemple). Leur capacité se mesure en plusieurs dizaines de MW, voire en GW.

Cette technologie mature nécessite cependant un contexte géographique spécifique : il faut un dénivelé entre les deux réserves d’eau. Si les STEP ont été utilisées majoritairement pour apporter de la flexibilité dans la génération d’énergie classique (hydraulique et nucléaire), elles peuvent également être associées à de grandes installations d’énergies renouvelables ; notamment pour réguler et lisser la production de grosses fermes éoliennes via le creusement de bassins artificiels.

C’est ainsi le cas de la centrale de pompage turbinage hydroéolienne d’El Hierro dans les îles espagnoles des Canaries. Ici, l’énergie produite en surplus par les éoliennes permet de pomper l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur et, en l’absence de vent, l’eau du bassin supérieur est relâchée et alimente des turbines hydrauliques pour produire de l’électricité. Les éoliennes et les turbines peuvent également produire de l’électricité en même temps pour gérer les pics de consommation.

Le fonctionnement d’une STEP en vidéo (EDF, 2014).

• Les batteries

Les batteries constituent un autre mode de stockage « stationnaire » mais de plus petite capacité ; elles permettent de fournir plusieurs centaines de kW, voire quelques MW lorsqu’elles sont mises en série.

Le fonctionnement de la batterie repose sur une double réaction chimique à chaque pôle de la batterie qui va opérer un transfert d’électrons : l’anode cède des électrons et la cathode les récupère. Durant cette réaction d’oxydo-réduction, les électrons passent d’un pôle à l’autre de la batterie grâce aux ions. Les ions sont échangés dans la batterie via des couples de métaux spécifiques chargés d’ions positifs pour l’un et négatifs pour l’autre. Une batterie est à plat lorsque tous les ions positifs ont quitté l’anode ; pour recharger la batterie, il suffit de renvoyer un courant électrique qui redonne des électrons à l’anode.

Du fait de leur capacité modérée, les batteries représentent un moyen de stockage décentralisé. Elles s’inscrivent ainsi pleinement dans le besoin local pour l’autoconsommation photovoltaïque (individuel, bâtiment) ou pour les microgrids – notamment dans les régions ne disposant pas de réseaux bien maillés – ainsi qu’en complément du développement des réseaux électriques dits intelligents.

Un réseau électrique intelligent (smart grid) désigne un réseau de distribution d’électricité qui favorise la circulation d’information entre les fournisseurs et les consommateurs en vue d’ajuster le flux d’électricité en temps réel et permettre une gestion plus efficace du réseau électrique. Ils utilisent des technologies informatiques pour optimiser la production, la distribution, la consommation, et éventuellement le stockage de l’énergie afin de mieux coordonner l’ensemble des mailles du réseau électrique, du producteur au consommateur final. Un microgrid désigne quant à lui un réseau de distribution d’énergie qui repose sur des moyens locaux de production d’électricité. Il est conçu pour fonctionner en autonomie et peut aussi fonctionner en synchronisation avec le réseau national, à l’intérieur d’une zone définie.

L’avantage des batteries réside dans la possibilité d’ajuster l’offre en fonction de la demande par une mise en parallèle de plusieurs batteries et une mise en service très rapide (de l’ordre de la seconde).

• Le stockage par air comprimé

La technologie CAES consiste à comprimer de l’air lors d’un excès de production d’électricité puis d’injecter cet air sous pression dans un réservoir pour le restituer par turbinage lors du besoin d’énergie. Comme la compression entraîne un réchauffement de l’air qu’il faut refroidir avant l’injection et que la décompression nécessite un réchauffement avant d’être envoyé à la turbine de génération d’électricité ; un principe, dit d’AA CAES (advanced adiabatic CAES), est maintenant en cours de développement afin de s’affranchir des deux phases de refroidissement et de réchauffement qui consomment de l’énergie extérieure.

Ces systèmes ne sont pas encore très utilisés alors qu’ils apparaissent vertueux sur le plan écologique, ne nécessitant aucun métal, contrairement aux batteries.

Un exemple de stockage d’électricité par compression adiabatique en Suisse (FNSinfo, 2016).

Des solutions encore coûteuses

On l’a vu, de nombreux facteurs plaident en faveur du développement du stockage de l’électricité : les contraintes technologiques d’intégration des énergies intermittentes dans le réseau, la diminution des impacts environnementaux, la volonté de développer un mix énergétique décarboné, un marché de l’électricité de plus en plus volatil.

Si le stockage stationnaire de l’électricité semble un moyen évident d’assurer l’équilibre de l’offre et de la demande sur le système électrique, il existe encore de nombreux obstacles techniques, réglementaires et économiques qui freinent son déploiement vis-à-vis d’autres solutions de flexibilité (interconnexions, maîtrise de la demande, production flexible).

The ConversationUn effort important en recherche et développement est encore à fournir dans la plupart des familles technologiques que nous avons décrites ici pour parvenir à des solutions économiquement viables. Et des progrès sont par exemple à conduire concernant la simplification des mises en œuvre, la limitation des pertes (comme limiter l’autodécharge des batteries), l’augmentation de la durée de vie des systèmes en limitant leur vieillissement… À l’heure actuelle, les solutions de stockage restent encore coûteuses et réclament des investissements supplémentaires, pas toujours faciles à consentir dans un contexte de pétrole peu cher.

Catherine Ponsot-Jacquin, Responsable « Expertise et évaluation scientifique », direction scientifique, IFP Énergies nouvelles et Pierre Le Thiez, Responsable des programmes « Stockage de l’énergie », « Captage-stockage du CO2 », IFP Énergies nouvelles

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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