Sandrine Banas, Université de Lorraine
À en croire les emballages des traitements anti-poux trônant en rayon dans les pharmacies et les para-pharmacies, il serait facile de se débarrasser de ces minuscules insectes. Et ce serait sans aucun danger pour la santé… Voici quelques exemples des affirmations figurant sur les lotions, shampoings ou pulvérisateurs les plus courants : « 100 % efficace » ; « une seule application, 15 minutes de pose » ; « radical : tue 100 % des poux et 100 % des lentes » ; « médicament contre les poux et les lentes » ; « efficacité prouvée cliniquement » ; « lotion extra-forte » ; « sans agent chimique » ; « 99 % d’ingrédients d’origine naturelle ».
Seulement voilà : les parents qui ont déjà mis ces produits sur la tête de leurs enfants ont appris, à leurs dépens, que les promesses des fabricants n’engagent que ceux qui les croient. Ils ont dépensé dans les opérations anti-poux des budgets qui se chiffrent chaque fois en dizaines d’euros.
Certains ont désormais renoncé à les utiliser et s’astreignent à épouiller leur progéniture, au peigne ou à la main, pendant des soirées entières. Ou confient l’opération à l’un de ces nouveaux établissements anti-poux apparus dans plusieurs grandes villes. D’autres, convaincus de leur incompétence à force d’échecs répétés, renoncent à venir à bout de l’invasion. Ou recourent même à des produits anti-puces pour chiens et chats alors qu’ils sont dangereux pour les humains, comme le Frontline contenant… du fipronil !
Que croire, dans les allégations de fabricants qui jouent la surenchère ? Avec la rentrée, et le retour annoncé des poux dans les écoles, il est utile de connaître les différents principes actifs utilisés, mais aussi quelques notions de réglementation. Pour mieux distinguer, ensuite, le vrai du faux.
Agents enrobants ou insecticides ?
Au préalable, rappelons que des actions purement mécaniques consistant à passer le peigne spécial poux – avec ses longues dents en acier – et à enlever les lentes une par une à la main, ont deux grands avantages. Leur efficacité est certaine et leur coût, minime. Cette opération, qui exige patience et méticulosité, doit être réalisée au moins deux fois, à une semaine d’intervalle maximum.
En France, trois sortes de principes actifs sont utilisés dans les traitements contre les poux. La première génération de produits est à base d’insecticides toxiques pour le système nerveux du parasite, comme les pyréthrinoïdes de synthèse (la perméthrine, par exemple) ou le malathion. La nouvelle génération contient une sorte de glue, un agent enrobant conduisant à une paralysie de l’insecte, le diméticone ou d’autres molécules ressemblant au silicone. De leur côté, les huiles essentielles sont utilisées pour leurs propriétés asphyxiantes, insectifuges (qui repousse les insectes) et sans doute insecticides (qui les tue).
Une source de confusion, pour les parents, tient à la réglementation des produits. En effet, seuls ceux de première génération, les insecticides neurotoxiques, relèvent du domaine du médicament, très réglementé. Les autres font partie des « dispositifs médicaux », au même titre que les pansements. Ils ne sont pas soumis aux exigences de prudence dans la communication, ni de preuves concernant leurs résultats. D’où l’escalade dans les allégations, avec une soi-disant « efficacité à 100 % » qu’aucun médicament ne pourra jamais revendiquer… Quant aux huiles essentielles, leurs fabricants doivent simplement signaler les risques de toxicité et d’intolérance.
Que penser des insecticides ? Beaucoup de parents n’osent plus les utiliser, craignant que l’effet neurotoxique valable pour les poux le soit aussi pour leurs enfants. Cette inquiétude, légitime, rejoint les préoccupations de certains scientifiques. Ainsi, ces produits ne doivent être appliqués que ponctuellement. Cependant, aux doses présentes dans les produits anti-poux, leurs agents toxiques sont considérés comme peu dangereux pour les animaux à sang chaud que sont les humains.
Les pyréthrinoïdes de synthèse restent des molécules efficaces, agissant rapidement. Peuvent-elles passer dans l’organisme, chez les humains ? Les voies possibles d’absorption sont par ingestion et inhalation et, dans une moindre mesure, par la peau si celle-ci est lésée. C’est pourquoi il vaut mieux choisir des lotions – les sprays sont déconseillés, particulièrement chez les asthmatiques. Quant aux shampooings anti-poux, ils sont toujours moins efficaces et ce, quel que soit leur principe actif.
À noter que des mécanismes de résistances se sont développés contre les pyréthrinoïdes chez plusieurs espèces d’insectes, mais qu’ils restent assez rares chez les poux.
Voici quelques produits associant un pyréthrinoïde de synthèse avec du butoxyde de pipéronyle, qui augmente l’activité du premier : Pyreflor (laboratoire Leurquin Mediolanum), Itax (laboratoire Ducray), Parasidose shampoing (laboratoire Gilbert), Para Special Poux (laboratoire Omega Pharma).
Chimique ou naturel, du pareil au même
Face à la méfiance des parents, les fabricants ont proposé des produits à base de pyrèthres naturels, contenant le même principe actif que les pyréthrinoïdes de synthèse. Ils peuvent ainsi afficher l’origine naturelle (non chimique) de la substance. Cependant, les propriétés pharmaceutiques sont moindres car la molécule « naturelle » est moins stable à la lumière. Quant à leur toxicité, elle reste identique.
Autre insecticide issu de la chimie : le malathion, exploité depuis les années 1970. Il appartient à la famille des organophosphorés, utilisés essentiellement pour les cultures. Si sa toxicité aiguë est jugée faible pour l’homme, il est écologiquement très dommageable, notamment pour les organismes des milieux aquatiques, les abeilles et les oiseaux. Aujourd’hui, cette molécule est encore utilisée en France dans deux produits : Prioderm et Para plus.
Des recommandations officielles datées
On assiste, dans notre pays, à une étrange situation. En effet, seuls les pyréthrines et le malathion sont officiellement conseillés par l’institution Santé Publique France (ex Institut de Veille Sanitaire)… car ce sont les seules molécules enregistrées comme médicaments. Le Conseil supérieur d’hygiène public cite lui aussi, dans un document datant de 2003, ces deux mêmes traitements. Des recommandations datées, qui mériteraient d’être remises à jour !
Les traitements les plus utilisés, aujourd’hui, sont ceux de seconde génération, avec en chef de file ceux à base de diméticone. Depuis 2006, le diméticone rentre comme principe actif dans de nombreux produits : Pouxit, Altopou, Paranix, Nyda… À noter que le mode d’action du diméticone, purement mécanique, rend peu probable le développement de futures résistances chez les poux.
Qu’est-ce que le diméticone ? Ce polymère appartient au groupe des huiles siliconées synthétiques, ce qui le classe parmi les traitements chimiques. Parmi les agents enrobants, il est le seul dont l’efficacité a été évaluée dans plusieurs études. Contrairement à une idée reçue, le diméticone ne tue pas le pou en l’asphyxiant. L’enrobage engendre, a priori, deux mécanismes entraînant sa mort : paralysie (ou immobilité totale) et rupture de l’intestin suite à l’obstruction des pores respiratoires.
Supériorité du diméticone, agent enrobant
En 2013, une étude réalisée en Grande-Bretagne sur 90 enfants et adultes a montré une efficacité nettement supérieure du diméticone comparé à un insecticide, la perméthrine. Le groupe utilisant le diméticone devait réaliser une seule application de 15 minutes, alors que le groupe utilisant une crème à la perméthrine devait l’appliquer deux fois pendant 10 minutes et à sept jours d’intervalle. Un taux d’efficacité de 69,8 % a été obtenu pour l’agent enrobant, alors que seulement 14,9 % des personnes traitées par la perméthrine sont venus à bout des poux. Ces résultats ont largement remis en cause l’utilisation de la perméthrine en Grande-Bretagne.
Autre agent enrobant utilisé contre les poux, l’oxyphthirine. Cette substance composée d’un mélange d’esters et de triglycérides est brevetée, donc présente dans une seule spécialité, Duo LP-Pro lotion, fabriquée par Terra santé et Omega pharma France. Le fabricant se targue d’avoir mis au point un « produit de 3ᵉ génération », mais aucune étude scientifique concernant son efficacité, autre que celle du laboratoire propriétaire du brevet, n’a jamais été réalisée.
Le mode d’action de l’oxyphthirine est proche de celui du diméticone. À un détail près : il envahit profondément les systèmes respiratoires des poux, de sorte que les parasites semblent bien mourir, cette fois, par asphyxie. Rappelons qu’aucune donnée clinique ne confirme avec précision le mécanisme par lequel les agents enrobants tuent leurs cibles.
Mettons fin au mythe : aucun traitement n’est adulticide et lenticide à 100 %. Et quelques lentes survivantes suffisent à faire échouer le meilleur des traitements. Contrairement à ce qui est généralement indiqué sur les boîtes, il est donc impératif de renouveler tout traitement après 48h lors d’une forte infestation. Dans tous les autres cas, il faut effectuer une deuxième application au plus tard 10 jours après la première, pour tuer les poux adultes nés des lentes épargnées lors du passage initial.
L’alternative des huiles essentielles
Les huiles essentielles, produits naturels, peuvent apparaître comme une bonne alternative. Une étude réalisée en 2012 a évalué l’activité d’huile essentielle d’arbre à thé (tea tree) et de nerolidol contre les poux. En effet, l’arbre à thé (Melaleuca alternifolia) est connu pour ses propriétés anti-infectieuse, antibactérienne, antifongique, antiparasitaire et antiseptique. Quant au nérolidol, c’est un alcool sesquiterpénique, présent dans de nombreuses huiles essentielles (lavande, gingembre, jasmin, arbre à thé, cardamome). Les expérimentations des chercheurs indiquent que 10 minutes suffisent pour tuer les poux lorsque les concentrations des deux huiles, agissant simultanément, sont portées à 1 %.
L’huile de noix de coco est, depuis quelques années, utilisée contre les poux. Une étude ex vivo menée au Brésil en 2010 a révélé que cette subtance, utilisée pure, les tuait avec des taux de 56 %, 68 % et 80 % respectivement après 1 heure, 2 heures et 4 heures d’application. Un test comparé avec la perméthrine a révélé une efficacité supérieure de l’huile de noix de coco (avec 82 % de sujets débarrassés des parasites) par rapport à l’insecticide (avec un taux de 42 %). Si l’huile de noix de coco ne semble pas être le traitement le plus radical, l’utilisation régulière de shampoings composés de cette huile permettrait toutefois de prévenir une réinfestation.
Prendre des comprimés contre les poux
Il est possible qu’on en vienne, un jour, à prendre des médicaments pour se débarrasser des poux. Ainsi, l’ivermectine est utilisée depuis une trentaine d’années dans le traitement de différentes parasitoses telles que l’onchocercose (responsable de la cécité des rivières, une maladie très répandue en Afrique) ou de la gale humaine. Comment agissent ces comprimés ? Une fois ingérés, ils libèrent dans le sang une substance neurotoxique qui se révèle fatale pour les poux au moment où ils piquent leur hôte. L’ivermectine est a priori bien tolérée. Elle a déjà été administrée à plus de 50 millions de personnes dans le monde, sans effet indésirable significatif.
Ce médicament est en tout cas testé actuellement dans les cas d’échec des autres traitements. Dans l’étude européenne publiée en 2010 par le New England Journal of Medicine, l’ivermectine était administrée à une dose double de celle utilisée contre la gale, en deux prises à sept jours d’intervalle. Son efficacité a été comparée au traitement insecticide de référence en France, le malathion en lotion, sur 812 enfants. Les résultats montrent une supériorité de l’ivermectine, avec 95 % d’enfants sans poux à l’issue du traitement, contre 85 % pour le traitement au malathion.
Une seconde étude a été réalisée en 2012 avec, cette fois, de l’ivermectine en lotion, et non en comprimés. Près de 95 % des 765 patients traités à l’ivermectine n’avaient plus de poux le lendemain de l’application, contre 31 % pour le groupe de contrôle.
En lotion ou en comprimés, ces traitements à base d’ivermectine se sont donc avérés efficaces, et bien tolérés. Les médecins experts en pédiculose du cuir chevelu estiment qu’il faudrait les garder comme ultime recours. Selon eux, une trop large utilisation pourrait conduire à l’apparition de lignées résistantes chez les poux. Cependant aucune étude scientifique ne vient conforter cette opinion.
Actuellement, l’ivermectine n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) contre les poux. Elle est seulement prescrite (et remboursée) pour le traitement de la gale. Son utilisation dans le traitement contre les poux serait-elle envisageable à court terme ? A défaut d’être réglementaire, cette pratique est manifestement déjà effective, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) l’a signalé dans une alerte en 2014.
Sandrine Banas, Maître de conférences en parasitologie à la faculté de pharmacie de Nancy, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.