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Quand les États-Unis voulaient imposer un protectorat à la France libérée

La tutelle américaine sur l’Europe ne date pas d’hier. Dès 1942, Washington avait prévu d’administrer directement le territoire français comme un pays occupé. Avec les accords Blum-Byrnes de janvier 1946, les productions hollywoodiennes envahissent les salles de cinéma.

Quand les Américains ont essayé d'occuper la France (capture DLGL)
Quand les Américains ont essayé d’occuper la France (capture DLGL)

 Entre 1941 et 1945, les États-Unis ont élaboré puis tenté d’imposer à la France un statut de territoire sous tutelle militaire américaine. Ce projet, baptisé AMGOT, visait à priver Paris de sa souveraineté au même titre que les futurs pays vaincus. Seule la résistance du général de Gaulle et la mobilisation populaire ont permis d’échapper à ce protectorat.

Sous tutelle militaire américaine

Contrairement à l’image d’Épinal d’une libération désintéressée, les archives révèlent que Washington nourrissait dès 1941-1942 des ambitions bien précises sur l’avenir de la France. L’administration Roosevelt avait conçu un « Allied Military Government of Occupied Territories » (AMGOT) destiné à placer la France sous tutelle militaire américaine, au même titre que l’Allemagne, l’Italie et le Japon.

Ce gouvernement militaire américain aurait aboli toute souveraineté française, y compris le droit de battre monnaie. Le modèle était déjà testé avec les accords Darlan-Clark de novembre 1942, qui accordaient aux Américains des « droits exorbitants » en Afrique du Nord : contrôle des ports, aérodromes, télécommunications, exemption fiscale, droit d’exterritorialité.

Un « Vichy sans Vichy » made in USA

Loin de haïr uniquement le régime de Pétain, les États-Unis redoutaient surtout une France souveraine sous Charles de Gaulle. Deux craintes motivaient cette méfiance : d’une part, que Paris s’oppose, comme après 1918, à la politique allemande de Washington ; d’autre part, que la France refuse d’ouvrir son empire colonial aux capitaux et marchandises américains.

C’est pourquoi Washington pratiqua un double jeu : veto systématique contre de Gaulle, complaisance relative envers Vichy. L’objectif était de maintenir un régime français « à l’échine souple », sur le modèle des dictatures latino-américaines dociles aux intérêts américains.

Cette stratégie du « Vichy sans Vichy » séduisit les élites françaises, soucieuses de négocier sans dommage le passage de l’occupation allemande à la « pax americana ». Successivement, Washington tenta de s’appuyer sur les généraux Weygand, Giraud, puis l’amiral Darlan, tous symboles de la défaite et de la collaboration.

De Gaulle brise l’étau

L’exécution de Pierre Pucheu en mars 1944 à Alger marqua un tournant. En faisant fusiller cet ancien ministre de Vichy, proche des milieux d’affaires collaborateurs, de Gaulle lançait un avertissement sans équivoque aux États-Unis et à leurs relais français.

Contraint de composer avec le rapport de forces, Washington dut finalement renoncer à imposer le dollar dans les territoires libérés et reconnaître le Gouvernement provisoire de de Gaulle le 23 octobre 1944. Cette reconnaissance intervint deux ans et demi après celle de l’URSS et seulement deux mois après la libération de Paris.

Pour contrebalancer l’hégémonie américaine naissante, de Gaulle signa avec Moscou le 10 décembre 1944 un « traité d’alliance et d’assistance mutuelle » qu’il qualifia de « belle et bonne alliance ».

L’empreinte durable de la tutelle économique

Signature de l'accord Blum/Byrnes de 1946 (INA)
Signature de l’accord Blum/Byrnes de 1946 (INA)

Si la France échappa au protectorat politique, elle n’évita pas la dépendance économique. Les accords Blum-Byrnes de janvier 1946 illustrent cette nouvelle forme de tutelle. En échange de prêts avantageux et de l’effacement de 650 millions de dollars de dette, Paris dut ouvrir ses écrans aux productions hollywoodiennes.

Cette « tentative d’assassinat du cinéma français« , selon l’expression de l’époque, provoqua un tollé. La mobilisation des professionnels, relayée par le PCF et la CGT, aboutit à une révision partielle des accords. Mais le symbole était posé : la France de l’après-guerre s’intégrait pleinement dans la sphère d’influence américaine.

Écartée de Yalta en février 1945, dépendante des États-Unis pour sa reconstruction, la France avait néanmoins préservé l’essentiel : sa souveraineté politique. Un acquis fragile, obtenu au prix d’une résistance acharnée face aux appétits de l’allié américain.
L’histoire se répèterait-elle?

 

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