Malgré l’absence de dégradation de sa note par l’agence Fitch, la France s’enfonce dans une spirale économique inquiétante avec une dette croissante et des dépenses publiques mal maîtrisées. Comment en sortir? La réponse de l’économiste Marc Touati.
L’économie française se trouve aujourd’hui à un tournant critique. Avec une dette publique qui devrait atteindre 120% du PIB d’ici à 2028 et un déficit public de 6,3% qui fait de l’Hexagone le cancre de l’Europe, les signaux d’alarme sont au rouge. Face à cette situation, des solutions existent mais nécessitent une volonté politique qui semble faire défaut.
Une note financière artificiellement maintenue
Contre toute attente, l’agence de notation Fitch a décidé de ne pas dégrader la note de la France malgré des indicateurs économiques préoccupants. Dans son communiqué, Fitch reconnaît pourtant que son modèle indiquait une dégradation à A+, mais a choisi de maintenir la note à AA- avec perspective négative, invoquant une « détérioration potentiellement temporaire ».
Cette décision paraît d’autant plus paradoxale que l’agence souligne elle-même l’augmentation continue de la dette française, qui atteindra 120% du PIB d’ici à 2028, soit « le second niveau le plus élevé de tous les pays notés AA et plus du double de la médiane des pays AA ». Fitch révise également à la baisse ses prévisions de croissance pour la France, passant de 1,2% à 0,6% pour 2025 et de 1,3% à 0,9% pour 2026.
Le fardeau croissant de la dette
Les marchés financiers ne semblent pas dupes de cette clémence. Le taux d’intérêt à 10 ans de la dette française reste au-dessus des 3,5%, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis la crise de la zone euro en 2011. Cette hausse des taux d’intérêt pèse lourdement sur les finances publiques, avec une charge de la dette qui atteindra 70 milliards d’euros en 2025, contre 60 milliards en 2024. Les projections indiquent que cette charge pourrait s’élever à 100 milliards d’euros annuels d’ici 2030.
La France, cancre de l’Europe
La situation comparative avec les autres pays européens est alarmante. Avec un déficit public de 6,3% du PIB au troisième trimestre 2024, la France se positionne comme le pays de la zone euro ayant le plus fort déficit, loin derrière l’Italie (2,3%) ou même la Grèce, désormais en excédent. Sur les 26 années d’existence de la zone euro, la France n’a respecté le critère de déficit public inférieur à 3% que pendant six ans.
Plus inquiétant encore, depuis la crise du Covid-19, la France est le pays où le ratio dette/PIB a le plus augmenté (+16 points), à égalité avec la Finlande. Avec une dette publique représentant 114% du PIB, la France occupe désormais la troisième position dans l’Union européenne, derrière la Grèce (158%) et l’Italie (136%), mais pourrait bientôt dépasser cette dernière.
Des impôts record pour des services publics dégradés
Malgré des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés d’Europe (47% du PIB), atteignant 1304 milliards d’euros, la qualité des services publics continue de se dégrader. Les dépenses publiques ont augmenté de 680% depuis 1980, tandis que le PIB n’a progressé que de 550% sur la même période.
Les dépenses de fonctionnement ont connu une hausse particulièrement marquée depuis 2020 (+20,6%), soit deux fois plus que les prestations sociales (+10,1%). La France compte aujourd’hui 5,8 millions d’agents de la fonction publique, soit une augmentation de 22% depuis 1997, contre 17% pour l’emploi privé.
Une situation comparable à la Grèce d’avant-crise ?
Les parallèles avec la situation grecque d’avant 2010 sont troublants : dérapage incontrôlé des comptes publics, prévisions de déficit hasardeuses, réticence des agences de notation à dégrader la note du pays et déni de réalité de la Commission européenne. Si la France dispose d’atouts que la Grèce n’avait pas, notamment sa capacité à lever l’impôt, le niveau actuel de pression fiscale risque d’accroître l’exode fiscal des entreprises et des particuliers.
L’actif net de l’État français présente également un déficit inquiétant : avec une dette totale (incluant le hors-bilan) de 7500 milliards d’euros pour des actifs estimés à 4500 milliards, le déficit patrimonial s’élève à 3000 milliards d’euros.
Une thérapie de choc bienveillante
Pour sortir de cette spirale, une « thérapie de choc bienveillante » est nécessaire.
Cette stratégie repose sur plusieurs piliers :
- Baisser les impôts pour tous (entreprises et ménages) à hauteur de 50 milliards d’euros
- Réduire les dépenses publiques de fonctionnement (50 milliards d’économies)
- Lutter contre les fraudes fiscales et sociales (gain estimé à 50 milliards)
- Réduire le coût du travail pour augmenter les salaires nets
- Moderniser le marché du travail avec moins de réglementation
- Développer l’innovation et les formations adéquates
- Faciliter le financement de l’économie via de nouveaux acteurs comme des fonds de retraite
Cette approche permettrait, malgré une baisse d’impôts de 50 milliards, de réduire le déficit public de 80 milliards d’euros grâce aux économies réalisées et à la relance de la croissance.
Des stratégies anti-crise pour les entreprises et les particuliers
Au niveau microéconomique, les entreprises françaises peuvent adopter quatre stratégies anti-crise :
- Développer des stratégies de niche sur des produits ou services exclusifs
- Renforcer la communication sur ces savoir-faire spécifiques
- Innover constamment, même dans les secteurs traditionnels
- S’ouvrir à l’international pour capter la croissance mondiale (3% contre moins de 1% en France)
Pour les particuliers, il est recommandé de se former en permanence, d’apprendre des langues étrangères, d’envisager une mobilité internationale et de développer des activités originales, voire de créer sa propre entreprise pour éviter les aléas du chômage.
La situation économique française est préoccupante, mais des solutions existent. Elles nécessitent toutefois un courage politique qui semble aujourd’hui faire défaut. En attendant, entreprises et particuliers peuvent adopter leurs propres stratégies de résilience pour traverser cette période d’incertitude.