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« Slocum et moi » : embarquement pour le rêve

« Tout s’est passé dans mon enfance », assure le réalisateur Jean-François Laguionie, qui nous emporte dans un superbe voyage cinématographique, avec la construction d’un bateau dans un jardin des bords de Marne. « J’ai quand même eu une enfance extraordinaire », confie le cinéaste qui a joliment illustré cette belle histoire familiale.

Le film de Jean-François Laguionie a été sélectionné aux Festivals de Cannes et d’Annecy.

Dans le magnifique « Louise en hiver », une vieille dame restait seule dans une petite ville tout au bord de la mer. Cette fois, le réalisateur de films d’animation Jean-François Laguionie nous mène en bateau avec « Slocum et moi » (sortie le 29 janvier), qui a été sélectionné aux Festivals de Cannes et d’Annecy. Laguionie (né à Besançon), qui avait reçu un Cristal d’honneur à Annecy, est aussi le réalisateur de « L’île de Black Mor », « Le Tableau », et « Le voyage du Prince », fable humaniste et suite deux décennies plus tard du « Château des Singes ».

C’est un petit François, onze ans, dessinateur en solitaire, qui nous raconte l’histoire de « Slocum et moi », celle de son père (même s’il n’est pas vraiment le sien) qui entame la construction d’un bateau dans le jardin de la maison familiale, sur les bords de Marne, au début des années 50. Ce n’est pas n’importe quel bateau que veut faire ce représentant de commerce en 4CV, bricoleur du genre taiseux, qui a la douce voix de l’acteur Grégory Gadebois. C’est une reproduction du Spray, fameux ketch avec lequel Joshua Slocum a effectué le premier tour du monde à la voile en solitaire (1895-1898).

Dans sa chambre, François remplace la carte du Tour de France par celle du périple du navigateur ; gamin maigrichon et un peu maladroit, « l’empoté » essaie d’aider son père à transformer en bateau le squelette de bois couché dans le potager. « Tout s’est passé dans mon enfance », assurait Jean-François Laguionie, lors de l’avant-première de son film au Ciné Breiz à Paimpol, dans les Côtes d’Armor, à quelques dizaines de kilomètres de sa résidence avec Anik Le Ray, sa compagne et scénariste. « Au départ, il y a un trio magique, Pascal, Anik et moi, on a fait trois films ensemble », disait-il. Pascal, c’est le compositeur Pascal Le Pennec, qui a aussi travaillé sur « Le Tableau » et « Louise en hiver ». « Ces collaborations ont été à chaque fois des expériences différentes, Slocum est une expérience unique qui vraisemblablement ne se représentera jamais », assure le musicien.

« Ce besoin étrange de naviguer dans sa tête »

Anik Le Ray, coscénariste, et Jean-François Laguionie : « Le rôle d’Anik a été essentiel, tout simplement parce qu’elle a trouvé la clé de cette histoire », estime le réalisateur.

« Le rôle d’Anik a été essentiel, tout simplement parce qu’elle a trouvé la clé de cette histoire », estime Jean-François Laguionie, « Cela fait vingt ans qu’on travaille ensemble, elle me met assez facilement en face de mes contradictions ». « J’ai dû lui faire raconter des choses pour avoir des éléments de son histoire », dit Anik Le Ray, qui a poussé le réalisateur un peu « taiseux » lui aussi à se plonger dans ses souvenirs de gosse. « Il fallait faire cette petite enquête avec lui, tirer les fils qui étaient un peu emberlificotés, pour avoir l’esprit du film », confie la scénariste, « Il fallait gratter un petit peu, faire remonter à la surface des choses qui ont de l’intérêt pour la narration, chercher comment finalement il avait été plutôt marqué par ses parents, alors qu’il n’y croyait pas trop ».

C’est sous la direction artistique de Pascal Gérard qu’a été élaboré le graphisme superbe de cette coproduction bretonne (JPL Films de Rennes) et luxembourgeoise (Mélusine Productions, qui a notamment produit « Ernest et Célestine »). « C’est à lui que je m’en suis remis pour le style », dit Jean-François Laguionie, qui a aussi bénéficié de sa collaboration sur « L’Île de Black Mor » avec un autre artiste Breton, Yvon Le Corre, « le plus formidable dessinateur de bateaux que j’ai connu » précise le cinéaste. Les belles images de mer peuvent faire penser à « la simplicité, la poésie, l’émotion » du peintre Henri Rivière, « Mais il y a quelqu’un qui me touche beaucoup », ajoute Laguionie, « C’est Jean-Francis Auburtin, qui est un peintre des falaises, les paysages de mon enfance quand j’allais chez ma grand-mère en Haute-Normandie ».

« Quand on fait un bateau, on voyage déjà dans sa tête, il y a ce besoin étrange et un peu surréaliste de naviguer dans sa tête », estime le cinéaste qui avec « Slocum et moi » nous embarque dans une belle histoire joliment illustrée, un magnifique voyage cinématographique. On se laisse porter par les douces vagues des « rêves que l’on met en chantier » car, c’est bien connu, le monde de la mer fait surtout rêver ceux qui n’y vont pas : « Ce fut une véritable aventure. L’avoir vécue de près, a développé en moi une propension au rêve qui m’a servi toute ma vie », estime Laguionie.

« Il y avait un mystère dans mes souvenirs »

Toute la famille est entraînée dans la construction d’un bateau dans le jardin de la maison, sur les bords de Marne, au début des années 50.

Rencontre avec le réalisateur dans sa maison bretonne.

« Slocum et moi » est inspiré de vos souvenirs d’enfance, le petit François c’est vous ?

Jean-François Laguionie : Oui, c’est la première fois que je m’invite à parler de mes souvenirs, je me disais que ça ne pouvait pas intéresser grand monde hormis moi, et puis finalement c’est un thème qui est quand même plus large que mon histoire familiale. J’ai essayé de réunir des souvenirs qui vont et viennent dans le désordre, il faut mettre un petit peu de cohérence dans tout ça, Anik Le Ray y voyait beaucoup plus clair que moi, ce qui est normal. Il y avait quand même un mystère dans mes souvenirs, je me demandais vraiment ce qui s’était passé quand j’avais dix-onze ans et que mon père s’est mis à construire un bateau. C’est resté une énigme pour moi pendant très longtemps et je me suis dit pourquoi pas essayer d’éclaircir le sujet.

La solution du mystère, c’est qu’en fait ce bateau dans le jardin sert à unir la famille, à rapprocher le père et le fils ?

Voilà, c’est ce qui dégageait de cette petite enquête personnelle. Par rapport à mes parents que j’ai redessinés, alors qu’ils avaient disparus depuis longtemps, je crois que cette histoire m’a permis de mieux les comprendre, de les remettre en scène dans leur contexte historique et social, cette espèce de goût assez étrange, parce que c’étaient des gens modestes qui voyageaient peu, pour l’aventure. Alors que plus tard, j’ai eu une adolescence assez difficile ce qui n’est pas très original, j’ai quand même eu une enfance extraordinaire, formidable, et mes parents étaient vraiment des gens épatants.

Souvent, les films sur l’enfance sont empreints de nostalgie, dans le vôtre il y a plus de tendresse que de nostalgie…

Oui, j’y tenais beaucoup, j’aime bien la nostalgie, que ce soit en peinture ou quand on écrit on a besoin de cette dimension poétique, mais sur le plan personnel je suis plutôt dans le présent que dans le passé. Cette histoire de bateau n’était pas seulement une histoire familiale, j’en voyais plein des bateaux sur les bords de Marne, où on habitait une banlieue agréable. Des bateaux en construction, y’en avait pas mal, quelques-uns étaient déjà envahis par les herbes mais il y en beaucoup qui ont navigué. Je me rappelle avoir assisté à la mise à l’eau d’un bateau qui a fait plusieurs fois le tour du monde, le « Quatre Vents », le bateau de Marcel Bardiaux, qui était un grand navigateur. Mon père n’était pas un marin, finalement on a compris assez vite, ma mère et moi, que le bateau avait autre chose à nous dire que de nous préparer à traverser l’océan.

« Le personnage de Slocum est extraordinaire »

« J’ai toujours eu ce besoin de voir la mer, elle est dans mes films, mes histoires », confie le réalisateur, à sa table de travail dans sa maison bretonne.

Quel est votre rapport à la mer, vous qui habitez tout près d’elle ?

Je ne sais pas, j’ai toujours eu ce besoin de voir la mer, elle est dans mes films, mes histoires. C’est quand même un truc d’enfance, en-dehors de cette histoire de bateau qui n’a jamais vu la mer, on allait tout le temps en vacances en Normandie, et puis les lectures familiales étaient à peu près exclusivement consacrées aux aventures maritimes des vrais navigateurs. Je ne suis pas plus marin que mon père ne l’était, même si j’ai eu un petit bateau sur le Jaudy. La mer c’est plus large que ce qu’on voit quand on est au bord de l’eau, en tout cas chez moi c’est assez profond.

Votre film est aussi l’occasion de raconter le vrai voyage de Slocum, qui est connu du monde maritime mais peu du grand public…

Ma petite histoire personnelle n’étant pas très spectaculaire en l’occurrence, il fallait l’équilibrer par un vrai voyage, donc le film a vraiment été conçu en mettant deux voyages en parallèle, un voyage immobile et un voyage authentique. Et puis le personnage de Slocum, que j’ai découvert dans les livres de mon père, est extraordinaire, non seulement il a fait le premier tour du monde à la voile en solitaire, mais sa personnalité même est vraiment très attachante. Dans son journal de bord, il ne dramatise pas contrairement à certains grands navigateurs qui se mettent en valeur dans les événements, c’était un personnage très modeste avec beaucoup d’humour, il prenait son temps, il n’avait pas comme aujourd’hui des records à battre, il a fait son tour du monde en trois ans, il donnait des conférences en s’arrêtant ici et là. C’est quelqu’un qui mérite d’être très connu, il l’est davantage aux Etats-Unis et en Angleterre.

« Un certain réalisme de la vie quotidienne »

« Mon père n’était pas un marin, finalement on a compris assez vite, ma mère et moi, que le bateau avait autre chose à nous dire que de nous préparer à traverser l’océan », dit Laguionie..

Dans ce film, vous racontez aussi une époque peu vue au cinéma, celle de l’après-guerre dans les années 50 en France, le quotidien, les tickets de rationnement…

Alors ça nous a intéressé, Anik et moi, d’avoir une bonne documentation parce que mes souvenirs étaient assez vagues, on a revu pas mal de documents d’époque dont des photos de Robert Doisneau, de Cartier-Bresson, j’avais l’intention d’être assez précis dans ce domaine pour que le spectateur s’y retrouve, qu’il y ait une sorte d’authenticité. Avec l’aventure d’un bateau qui n’a d’autre avenir que de rester dans un jardin, il fallait contrebalancer ça par un certain réalisme de la vie quotidienne.

La musique du film a été créée avant même l’animation ?

J’ai presque toujours fait ça, pour m’assurer que le film ait une authenticité, que ce ne sont pas des choses que l’on colle les unes entre elles mais qu’elles ont été conçues ensemble, alors je fais une animatique qui maquette l’ensemble du film. Il y a les trois éléments de base, l’histoire, les personnages, la musique, et je monte ces trois éléments avec des croquis qui ne sont pas encore montrables au public, de telle façon que le montage du film est définitif, ça me permet de vérifier des situations de mise en scène, le rythme du film, les dialogues que l’on fait ensemble avec Anik, tout cela est provisoire, mais la musique existe. J’ai la chance de travailler avec un musicien, Pascal Le Pennec, qui habite en Bretagne également, c’est le troisième film que je fais avec lui, il a eu la générosité de travailler immédiatement sur l’histoire et de nous fournir une musique que l’on a pu, encore un autre avantage miraculeux, enregistrer avec l’Orchestre National de Bretagne, avant que la production ne démarre.

Tous vos films sont des fables, des contes, qu’est-ce qui vous attire dans ce style d’abord littéraire mais aussi cinématographique ?

J’écris le film comme si j’allais publier un livre en fait, souvent c’est une nouvelle ou le sujet d’un roman que j’ai commencé et laissé tomber, il y a toujours quelque chose d’écrit, donc j’ai un ton de narrateur, et en l’écrivant j’ai envie de dessiner parce que je commence à voir des images, et comme je suis dessinateur je finis par abandonner le texte et je me mets à dessiner. Je ne pars pas dans des expériences graphiques, picturales très ambitieuses, j’illustre ma petite histoire.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Slocum et moi », un film d’animation de Jean-François Laguionie (sortie le 29 janvier).

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