Mark Smith, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article a été co-écrit avec Geneviève Shanahan.
« Pièce centrale », selon Libération du programme de Benoît Hamon, candidat socialiste aux présidentielles, le revenu universel, déjà en expérimentation sous différentes formes dans le monde, fait débat en France.
Si la question de son financement revient régulièrement, le choix des jeunes comme groupe cible d’un tel dispositif, comme le propose le candidat Hamon, reste à évaluer.
Pas facile d’être jeune en 2017
L’Organisation internationale du Travail (OIT) estimait en 2016 que le taux mondial du chômage des jeunes, à nouveau en hausse, devrait atteindre 13,1 % en 2016 et se stabiliser à ce niveau en 2017. Actuellement plus de 71 millions de jeunes sont sans emploi.
Les jeunes, catégorie des 15-24 ans selon la définition des Nations Unies, peu expérimentés, sont souvent en position d’outsiders sur le marché de l’emploi.
Ces dernières années, la « grande récession » a aggravé la position de cette population sur le marché du travail notamment en terme de qualité de vie et de nombre d’offres d’emploi.
Une récente étude financée par la Commission européenne a montré que les réponses politiques concernant ce public sont inconsistantes et parfois incohérentes. Le rapport démontre en revanche que les politiques en faveur de l’affaiblissement de la protection de l’emploi et limitant la protection des revenus restent constantes.
L’impact du revenu de base sur la jeunesse
Or, grâce à diverses études pilotes à travers le monde, il existe maintenant des éléments probants en ce qui concerne l’impact d’un dispositif de revenu de base sur les jeunes.
Les effets du revenu de base sur l’éducation sont particulièrement importants : les jeunes gens sont plus enclins à terminer leurs études secondaires quand la pression gagner sa vie est moins forte. Une expérimentation à Dauphin, au Manitoba, Canada où toutes les personnes éligibles ont intégré le programme, a démontré que le revenu de base avait pu influencer l’attitude des jeunes envers les études.
La chercheuse Evelyn Forget a noté que le comportement des élèves vis-à-vis de la poursuite de leurs études était influencé par les normes sociales. C’est à dire, si leurs amis ayant bénéficié du revenu les jeunes enquêtés se disaient également favorable à poursuivre leurs études plutôt qu’à prendre un travail à temps plein, peu rémunérateur.
En revanche, les effets sur l’emploi et l’entreprenariat des jeunes n’ont pas encore été étudiés. L’étude du revenu de base finlandais, débutée il y a peu, exclut les personnes de moins de 25 ans.
Selon leur rapport préliminaire, deux catégories des gens sont exclus. Les étudiants, car le test consiste uniquement à étudier les effets à court terme sur l’emploi ; et les inactifs, en raison de leur taux d’allocation plus bas que celui des adultes de plus de 25 ans.
Par conséquent, leur faire bénéficier du revenu de base dans sa totalité s’avérerait plus coûteux ; cela réduirait aussi le nombre de participants que le test pourrait couvrir.
Deux leçons sont à retenir pour le programme français proposé. D’une part, le fait que d’autres pays ne se soient pas focalisés sur les jeunes ou les ont exclus laisse à penser que tout dispositif dirigé vers ce seul groupe doit être développé avec prudence et avec des objectifs bien précis. D’autre part, nous manquons d’éléments permettant de démontrer les bénéfices du revenu de base pour les jeunes. Non pas parce que ces avantages sont improbables mais parce que les conclusions des études sur le revenu de base restent ténues sur le terrain et parce que ces résultats ont de grandes chances d’être assez nuancés pour ce groupe hétérogène. Pour les jeunes en particulier, ces impacts peuvent aussi apparaître sur le long terme.
Les enjeux en France
Les caractéristiques du marché de l’emploi français créent un certain nombre de problèmes aux jeunes. Ceux qui quittent l’école sans qualification ont beaucoup de difficultés à accéder à l’emploi. Même si un projet de revenu de base universel aidait sans doute les jeunes gens à prendre la décision de sacrifier de meilleurs revenus à court terme, que ce soit au travers de l’enseignement supérieur, des stages, des apprentissages ou du bénévolat, il y a de multiples causes à l’abandon des études. D’autre part, en France, la segmentation entre les contrats permanents (CDI) et temporaires (CDD) est peut-être une plus grande gageure pour les jeunes que les départs par manque de revenu.
Passer d’un emploi à court terme à un autre est sans aucun doute source d’insécurité et de précarité. Une étude de 2016 montre que 53 % des travailleurs français de moins de 25 ans participent au « travail indépendant », ce qui signifie que ses inconvénients sont particulièrement ressentis par la jeunesse.
Le candidat socialiste a ainsi souligné le fait que les jeunes sont plus susceptibles de passer rapidement par différents cadres de travail avec de nombreux intervalles pendant lesquels ils n’ont aucun soutien et sont donc vulnérables. C’est un point répété du rapport du Sénat publié en octobre dernier sur le revenu de base, dans lequel il est indiqué que seuls 44 % des changements d’emploi sont immédiats, sans période de chômage entre les deux et que les transitions plus lentes et fragilisantes se concentrent sur les jeunes.
Être jeune signifie aussi chercher sa voie. La tendance de ce public à aller vers les postes à court terme peut être attribuable en partie à l’approche exploratoire du monde du travail. Dans ce cadre, des emplois peu rémunérés, des stages, des petits boulots, peuvent répondre à des besoins à court terme, afin d’acquérir de l’expérience ou pour tester d’autres secteurs. Cependant, on peut aussi le voir comme une tendance plus large où la sécurité de l’emploi se raréfie, et où de plus en plus de travailleurs courent le risque d’alterner périodes de chômage et de reconversions fréquentes.
Un revenu de base, avec ou sans conditions ?
En France, une étude préliminaire à une expérimentation dans la région Aquitaine est prévue mais jusqu’à présent, il a été peu question des jeunes dans le cadre de cette initiative. Entre-temps, Hamon a proposé un montant équivalent à celui du RSA, versé sans condition et automatiquement à toute personne entre 18 et 25 ans, comme première étape à l’introduction d’un dispositif de revenu de base universel.
La plupart des jeunes (chômeurs et sous-employés) ne sont pas éligibles au RSA en raison des contrôles de ressource basés sur les revenus des parents. Cette initiative pourrait alors faire toute la différence pour ceux qui sont exclus du système actuel, ainsi que pour leurs familles.
L’une des préoccupations courantes reste cependant l’idée qu’attribuer un revenu de base à de jeunes gens encouragerait l’inactivité. À cet égard, un « revenu participatif » apparaît plus acceptable.
Cela impliquerait d’imposer des conditions à l’obtention du revenu de base. Par exemple, la personne s’engagerait dans une activité bénévole, à réaliser un stage, à entamer des démarches pour créer sa propre entreprise, etc. Or, la définition d’une telle participation est déjà un premier écueil. Par ailleurs, l’administration d’un tel dispositif conditionnel supposerait des dépenses qui risqueraient de peser plus lourd que toute augmentation de participation en lien avec un programme sans condition aucune.
À titre d’exemple, un projet similaire à l’échelle européenne et sous certaines conditions, la Garantie Jeunes, a rencontré des difficultés à bénéficier à tous les jeunes en situation de chômage de longue durée en raison, en partie, en raison des dépenses générées par les services d’orientation professionnelle et de contrôle.
Une expérimentation néerlandaise, dénommée « Weten Wat Werkt » (savoir ce qui marche) est prévue plus tard dans l’année 2017 et permettra de répondre à cette interrogation en examinant les coûts relatifs aux diverses allocations attribuées sous et sans conditions.
Une solution du XXIe siècle pour la jeunesse ?
Être dynamique, s’habituer aux reconversions régulières, créer de nouvelles opportunités… Ces caractéristiques sont désormais essentielles pour pouvoir percer sur un marché du travail en pleine mutation. Ce dernier génère de nouveaux risques dont font les frais les personnes les moins expérimentées, et tout particulièrement les jeunes. Un revenu de base permettrait de les stabiliser. Il ne requiert ni remplissage de dossiers ni inscriptions à chaque fois que l’on passe en dessous d’un seuil de ressources.
Selon certains il permettrait également de se libérer du stress et des freins à l’emploi qui gangrènent les aides sous condition de ressources, permettant ainsi aux personnes de se focaliser de façon plus productive. Les jeunes pourraient se consacrer à leurs études, à l’apprentissage, à la découverte de la contribution unique qu’ils pourraient apporter à la société et en fin de compte, à créer des opportunités d’emploi pour eux-mêmes et pour les autres. L’atteinte de ces objectifs par le biais du revenu de base universel au profit de la jeunesse dépendra du vote des Français en mai 2017.
Traduction par Gaëlle Gormley.
Mark Smith, Dean of Faculty & Professor of Human Resource Management, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.