Film « le plus personnel » du cinéaste, « The Fabelmans » retrace son histoire familiale, son adolescence, sa passion dès la jeunesse pour le cinéma, et la « magie » d’un art qui peut faire surgir les rires ou les larmes.
« Presque tous mes films sont basés sur quelque chose qui est arrivé dans mon enfance », déclarait Steven Spielberg à Robert Schickel pour un ouvrage rétrospectif de sa carrière (Editions de La Martinière). « J’ai depuis longtemps en moi une histoire sur ma famille que je suis trop lâche pour raconter. Je le ferai un jour. Mais c’est difficile, car cela signifie porter à l’écran devant le monde entier certains évènements très personnels concernant ma mère, mon père, mes trois sœurs et moi-même », confiait le cinéaste il y a plus de dix ans.
« Son film le plus personnel »
Ce film, Spielberg a fini par le faire, le voici : « The Fabelmans » (sortie le 22 février), déjà primé aux Golden Globes (meilleur drame, meilleure réalisation) et nominé sept fois aux prochains Oscars (le 12 mars). C’est le 34ᵉ qu’il réalise après, en vrac, « E.T. », « Rencontres du troisième type », « Jurassic Park », « Minority Report », « Les dents de la mer », « La Liste de Schindler », « La Couleur Pourpre », « Munich », « Indiana Jones », « Amistad », « Il faut sauver le soldat Ryan », « Minority Report »… et un remake de « West Side Story ». Et cette fois c’est bien son histoire, celle de sa famille, ses souvenirs, qu’il raconte dans « son film le plus personnel ».
« The Fabelmans », c’est une famille sur le même schéma que la famille Spielberg : les parents (joués par Paul Dano et Michelle Williams, nominée aux Oscars) qui vont se séparer (un divorce douloureux apparait à plusieurs reprises dans ses films), trois sœurs et un fiston. Sammy, que l’on découvre tout gamin juste avant de renter pour la première fois dans une salle de cinéma. Premier film et premier choc : « Sous le plus grand chapiteau du monde » de Cecil B. DeMille, dont le gosse essaie de reproduire le spectaculaire déraillement avec son train électrique et la caméra de papa.
De la mélancolie et de la nostalgie
« Les films sont des rêves », l’avait rassuré sa mère, artiste, fantaisiste, complice de la passion de son fils (« Je veux faire des films », affirme-t-il) alors que son père considère l’activité comme un hobby. Sammy ado, incarné par Gabriel LaBelle, se poste derrière la caméra et fait jouer ses sœurs et ses copains scouts dans des films de guerre, de zombies, des westerns… Le Steven Spielberg de 76 ans a dû bien s’amuser à retourner « en mieux » ses courts-métrages de jeunesse. En Californie, où déménagent les Fabelmans (papa est ingénieur informatique), le jeune Sammy, petit juif brun, est maltraité par les beaux gosses sportifs et antisémites de son nouveau lycée, mais réconforté par une jolie brune amoureuse de Jésus.
Un vieux grand-oncle de passage (Judd Hirsch) encourage le jeune homme à rejoindre « le cirque » cinématographique, le prévient qu’il sera tiraillé entre sa vocation et sa famille. C’est ainsi à sa table de montage, que le fils découvre la trahison conjugale de sa mère, qu’il entend alors jouer du piano, ailleurs dans la maison, un morceau d’une tristesse infinie. Il y a forcément de la mélancolie et de la nostalgie dans ce film sur l’enfance, l’adolescence (celle d’un cinéaste en devenir), la famille, la séparation, le temps qui passe… et assurément une part de la réalité des Spielberg chez ces « Fabelmans » de fiction.
Chronique familiale, c’est aussi une oeuvre qui évoque à la fois ce qu’il y a d’enfantin à « fabriquer » des films et « la magie du cinéma », le pouvoir d’images projetées sur un grand écran à faire surgir les rires ou les larmes dans une salle plongée dans le noir. Dans une délicieuse séquence finale, le cinéaste John Ford (interprété par David Lynch !) donne une brève mais grande leçon (comment filmer la ligne d’horizon) à l’apprenti réalisateur. Tout au long de sa longue carrière, Steven Spielberg a su conserver intact son goût pour le spectacle, susciter l’émerveillement et l’enthousiasme du public. Et c’est encore le cas avec « The Fabelmans », nous faisant parfois regretter que « La vie, c’est pas comme les films ».
Patrick TARDIT
« The Fabelmans », un film de Steven Spielberg, avec Gabriel LaBelle, Paul Dano et Michelle Williams (sortie le 22 février).