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Télévision et confinement : la permanence d’un média social

La télévision est aussi un moyen de maintenir le lien social.
Pexels / cottonbro

Céline Ségur, Université de Lorraine

La durée d’écoute de la télévision a augmenté pendant la période du confinement en France. Dès la fin du mois de mars, l’institut officiel de mesure de l’audience Médiamétrie annonçait des résultats en forte hausse en comparaison de ceux des années précédentes à la même période. L’allocution du président Macron du 13 avril 2020, retransmise en direct sur pas moins de onze chaînes, a été suivie par 36 millions de téléspectateurs. Ce qui en fait le nouveau record d’audience en France.

Ces résultats rappellent combien la télévision est toujours une pratique culturelle et sociale majeure alors que d’aucuns prédisaient sa disparition au profit d’Internet. Ainsi la période exceptionnelle du confinement invite-t-elle à (ré-)interroger la place du média télévisuel dans notre société : l’augmentation de la durée d’écoute est-elle le produit d’un désœuvrement massif que l’explosion de tutoriels sportifs et culinaires en ligne n’a pas suffi à combler, ou est-elle le signe de la permanence du média comme gage d’un lien social ? Le succès actuel des contenus télévisuels est-il une anomalie dans un processus contemporain de dissolution du média dans l’ensemble complexe d’écrans, d’offres et de pratiques audiovisuels ? Certes, la consommation moyenne du média a tendance à diminuer de quelques minutes chaque année depuis une écoute record enregistrée en 2012 (voir la figure 1) ; mais, elle ne connaît pas de chute spectaculaire.

Évolution de la durée d’écoute individuelle quotidienne de la télévision sur le poste de tv en minutes (2005-2019) (Graphique réalisé par l’auteure à partir des données de l’Institut Médiamétrie).
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Durant le mois d’avril 2020, la durée d’écoute moyenne quotidienne des Français âgés de 4 ans et plus a été de 4h38, alors qu’elle était de 3h30 au mois d’avril 2019 (Source : Institut Médiamétrie). Soit une hausse de 32 %. En moyenne en 2019, la durée d’écoute individuelle était de 3h30. Les chiffres d’audience calculés par Médiamétrie incluent l’écoute sur tous les écrans (télévision, tablette, ordinateur, smartphone) ainsi que tous les modes contemporains de visionnage (live, différé et catch-up).

L’évolution observée en avril 2020 concerne toutes les tranches d’âge et catégories socioprofessionnelles, mais à des degrés différents qu’il est intéressant de relever : l’augmentation de la durée d’écoute est plus importante pour ceux qui consomment habituellement peu la télévision. C’est-à-dire les « jeunes âgés de 15 à 34 ans » et les « individus de catégorie socio-profes
sionnelle supérieure (CSP+) ». En revanche, elle est inférieure à la moyenne pour les gros consommateurs traditionnels, les « individus de plus de 50 ans ». Pour ces derniers, on enregistre une hausse de la consommation de 27,6 % (6h42 d’écoute moyenne quotidienne en avril 2020 contre 5h15 en avril 2019). Alors que les « individus de CSP+ » ont regardé la télévision pour une durée supérieure de moitié à celle qu’il consacrait au média l’année dernière : + 55,3 %, soit 4h07 en avril 2020 contre 2h39 en avril 2019.

Les 15-34 ans, dont on sait qu’ils ont tendance à délaisser le petit écran traditionnel au profit d’internet, ont eux passé plus de temps devant des images télévisuelles à hauteur de + 44,1 % (2h27 en avril 2020 contre 1h42 en avril 2019) (voir le tableau 1).

Évolution de la durée d’écoute individuelle mensuelle, avril 2019-avril 2020 (tableau réalisé par l’auteure à partir des données de l’institut Médiamétrie).
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Ces résultats ne sont guère surprenants si l’on se souvient des résultats d’enquête présentés à la fin des années 1980 par Michel Souchon, ancien sociologue et responsable d’études dans les services de recherche de la télévision : la télévision tend à occuper le temps disponible des individus, le média est davantage consommé par ceux qui ont beaucoup de temps à lui accorder. Ceci pour diverses raisons : inactivité professionnelle, immobilisation temporaire, accès limité aux équipements culturels, pour les uns ; tandis que les autres, les individus qui passent beaucoup de temps à l’extérieur de leur domicile, pour travailler, se divertir, faire du sport, s’instruire, participer à la vie d’une association sont ceux qui pratiquent le moins la télévision. Ainsi la situation de confinement a-t-elle naturellement augmenté le temps de disponibilité pour la pratique télévisuelle, en particulier pour ceux dont le temps passé à la maison s’est le plus accru.

On sait aussi que les « petits consommateurs de télévision » ont tendance à regarder les programmes qui sont aussi les plus plébiscités par ceux qui la regardent beaucoup (fiction, information, divertissement). Ce qui permet de mieux comprendre les scores d’audience élevés enregistrés par les chaînes les plus populaires ainsi que les stratégies spécifiques de programmation mises en œuvre (e. g. la programmation de « demi-épisodes » du divertissement Koh Lanta). Par ailleurs, la multiplication des « grands rendez-vous télévisuels » qu’ont constitués les allocutions du président de la République et des membres du gouvernement sont pour beaucoup dans l’augmentation de la durée d’écoute.

Ainsi, si l’on observe un mouvement de diversification et de désynchronisation des modes de consommation de contenus télévisuels depuis une dizaine d’années, l’on constate en même temps une permanence dans la capacité de la télévision de flux à rassembler un large public. Ceci se manifeste aussi au niveau de la télévision de rattrapage : elle est utilisée par les téléspectateurs pour perpétuer une logique de rendez-vous télévisuel à des moments fixes qui s’accordent davantage avec leurs contraintes temporelles. En 1990, Dominique Wolton soulignait le rôle démocratique de la télévision dans l’ouvrage Éloge du grand public. Il définissait ainsi la pratique télévisuelle : « Chacun accède individuellement de chez lui à cette situation collective, partagée simultanément par le plus grand nombre » (p. 3). Une assertion encore pertinente pour décrire le phénomène télévisuel observé durant le confinement. Les résultats d’audience de ces dernières semaines semblent confirmer la permanence d’une télévision comme vecteur de lien social. Ils sont à conjuguer avec l’évolution des pratiques des publics en lien avec les nouvelles technologies numériques, observée depuis une décennie. La multiplication des expériences de sociabilité associées à la pratique télévisuelle, par exemple le volume des échanges sur les réseaux socionumériques en lien avec des programmes de télévision, manifeste elle aussi un besoin de participation synchrone à un public.The Conversation

Céline Ségur, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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