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Le Brexit au secours de l’Union européenne ?

Antoine Ullestad, Université de Strasbourg et Frédérique Berrod, Sciences Po Strasbourg

Capture.JPG BrxitFace à une Union en crise, la Grande Bretagne a l’occasion, par référendum, de décider si elle va rester, ou non, à bord du projet européen. Le Brexit aurait un coût tel que l’UE et ses membres sont prêts à bien des aménagements pour voir le Royaume-Uni rester. Mais faut-il nécessairement préférer, à un Brexit, une Union bradée ?

Depuis quelques semaines, on sent bien que le Brexit a un parfum de rupture. « Peut-être avez-vous besoin que quelqu’un d’extérieur, de quelqu’un qui n’est pas européen, pour vous rappeler la grandeur de ce que vous avez accompli ? », s’est interrogé Barack Obama à Hanovre.

Au sommet du G7 au Japon, c’est la même ritournelle, en un peu plus insistant : on y martèle qu’une Europe désunie est un risque grave pour la croissance mondiale. Tout le monde pourrait perdre à un Brexit, mais finalement seuls les Britanniques ont le choix.

Libre à eux!

Comme l’a constaté le gouvernement dans un premier document sur les conséquences du Brexit, adressé au Parlement britannique en mars 2016, tous les scénarios alternatifs à l’appartenance à l’Union européenne impliquent que le Royaume-Uni perde son influence sur l’écriture des normes européennes. La seule chose qu’il peut gagner avec le Brexit est de continuer à devoir les appliquer sans plus les décider pour ne pas trop payer son retrait en points de croissance. Mais après tout, libre à eux!

La législation britannique est d’ores et déjà imprégnée à tous les niveaux de normes européennes qui ont, silencieusement parfois, mais résolument toujours, rendu européenne l’identité génétique de la Grande-Bretagne. L’UE instille aussi dans les États membres des habitudes et des pratiques de coopération, voire même des manières de dire le droit qui sont autant de contraintes que les Britanniques ne vont pas éliminer par un référendum positif. Le coût d’une « renationalisation juridique » est estimé à plusieurs dizaines d’années de «re-législation» et à plusieurs millions d’euros. Mais après tout, libre à eux!

Le retrait de l’Union obligerait la Grande-Bretagne à établir de nouvelles relations avec ses anciens partenaires européens. Ces derniers n’auraient, cependant, aucun intérêt à lui assurer le partenariat privilégié qu’ils entretiennent avec la Norvège ou la Suisse – ce qui devrait aboutir à des négociations politiquement périlleuses sur des sujets vitaux : frontières, droits de douane, importations, sécurité, partage d’information, poids diplomatique, etc. Mais après tout, libre à eux!

Pourvu qu’on ait l’Union…

La décision n’appartenant qu’aux Britanniques, l’Union fait face à son impuissance. Et, désespérée, elle est allée jusqu’à accepter de bien pernicieuses concessions pour tenter de donner des gages aux Britanniques et réenchanter la solution de l’Union. Le Conseil européen du 19 février dernier a ainsi permis un accord entre les chefs de gouvernements.

Premier symbole, la Grande Bretagne fait entériner qu’elle « n’est pas concernée par la future intégration politique de l’Union européenne ». Drôle d’embrouille dans le cas d’un référendum négatif. Au diable le symbole pourvu qu’on ait l’Union ?

Un statut de plus en plus spécial: David Cameron a obtenu de nouvelles concessions de la part de Bruxelles en février 2016.
Number 10/Flickr, CC BY-NC-ND

Mais le Royaume-Uni a obtenu bien plus, sur le plan du droit cette fois. On vise ici la procédure répondant au nom étrange de frein d’urgence. Elle consiste à permettre à la Grande Bretagne, en cas de vague migratoire venant d’autres États membres, de restreindre les prestations sociales qui sont dues à ces citoyens européens en violation d’un principe sacro-saint du droit de l’Union, celui de l’égalité de traitement, qui fait de l’étranger un presque-national. Et la formule intéresse d’autres États… La concession juridique touche ainsi au cœur de l’Union, à l’un de ses principes fondateurs.

L’Union peut-elle se saboter plutôt que laisser le Brexit se faire ?
Une précision s’impose : ces concessions vont nécessiter une révision des traités, qui n’est envisagée qu’à partir de 2017. Les Britanniques n’ont pas tant obtenu, mais le contenu de ces concessions en dit long sur la crise idéologique de l’Union. D’autant que le Royaume-Uni connait, surtout et avant tout, un problème de politique intérieure : le débat divise la classe politique et la structure même de leur union politique, l’Ecosse n’ayant aucune envie de quitter l’Europe. Au risque de rompre deux Unions à la fois ?

In et Out

Les Britanniques ont finalement réussi à négocier un statut privilégié, qui leur permet des dérogations aux principes de l’Union et consacre un statut d’État out par principe et in quand il le veut. Pourtant, hors de la zone Euro, la Grande Bretagne a obtenu, par exemple, le droit de discuter les réglementations financières européennes qui auraient un peu trop de conséquences sur la City.

Cette situation n’est pas nouvelle, et les citoyens de sa Majesté ont déjà obtenu bien des aménagements quant à leur politique migratoire, à leur contrôle des frontières externes de l’Union ou encore concernant l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Londres a chiffré le coût de la sortie de l’UE pour l’économie britannique.
D Smith/Flickr, CC BY-NC

À force d’être dans une situation de dérogation spéciale, le Royaume-Uni n’est en fait déjà plus complètement membre de l’Union. Et c’est cette question terrible que l’on finit par se poser : le Brexit serait-il la solution politique pour sauver l’Union ?

S’il a lieu, il sera bien une première dans l’UE, qui ne tardera pas à avoir des conséquences sur le reste des États membres. Mais, après tout, c’est peut-être la moins mauvaise des solutions. Si un État ne se reconnaît plus dans l’Union, ne vaut-il pas mieux qu’il en divorce plutôt que de chercher à sauver, par des expédients, un échec marital ?

Le Brexit pour endiguer l’euroscepticisme

Le discours euro-optimiste ne séduit plus grand monde. Il est politiquement plus rentable de diffuser un discours anti-migrants, anti-frontières, anti-Europe. Il reste donc à espérer que le Brexit ne soit pas l’exemple nécessaire pour prouver les méfaits de la désunion.

Il reste à espérer que les eurosceptiques finissent par abandonner la dangereuse tentation du retrait pour privilégier le changement depuis l’intérieur d’une Union que beaucoup veulent, mais autrement. Même Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste depuis 2015, et longtemps opposé à l’adhésion de la Grande-Bretagne, s’est engagé en faveur du maintien dans l’UE, après avoir loué les progrès accomplis en matières sociale et environnementale, justement pour se donner les moyens de peser sur ces sujets centraux.

Le Brexit, après le spectre du Grexit, matérialise finalement bien plus le refus de tirer les conséquences politiques d’un défaut d’appartenance à l’Union plutôt que le moyen pour un État de recouvrir sa souveraineté sur des affaires qui n’ont d’intérieures que le nom, dans la réalité de la mondialisation contemporaine.

Clément Louis Kolopp a contribué à la rédaction de cet article.

The Conversation

Antoine Ullestad, Doctorant en droit de l’Union européenne, Université de Strasbourg et Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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