Point-de-vue. Mais enfin que veulent-ils ces Français vêtus de gilets jaunes ? Jusqu’à quand vont-ils paralyser une partie du pays ? Et pourquoi font-ils des émules à l’étranger ? Décryptage.
L’acte 9 des Gilets jaunes, samedi 12 janvier 2019 a montré de façon flagrante que le mouvement initié il y a deux mois était loin de s’essouffler. Même si le soutien de l’opinion a tendance à s’effriter, sans doute en raison des actes de violence inadmissibles, les Gilets jaunes restent plus déterminés que jamais à poursuivre la lutte. Il y aura donc un acte 10, le 19 janvier prochain. Ni la Lettre aux Français du président Macron, ni le Grand débat national qui va s’ouvrir ne sauraient désamorcer cette énorme poudrière. Les manifestants attendent autre chose que les mots et de belles phrases.
« Macron, démission »
Quelles sont les principales revendications des Gilets jaunes ? La colère d’une partie de la population s’est exprimée en octobre 2018 avec la hausse du prix des carburants. Elle s’ajoutait à des milliers de PV distribués depuis l’été à ceux qui dépassaient les 80 km/h sur les routes nationales. Insupportable pour ceux qui vivent de peu mais qui sont obligés d’utiliser leur voiture pour aller travailler ou se rendre à la ville. Une pétition sur internet a recueilli plus d’un million de signatures. Puis, tout est allé très vite.
Les frondeurs se sont distingués en enfilant un gilet jaune. Ils se sont regroupés aux ronds-points, à l’entrée des villes. Mouvement spontané, sans leader, il a vite conquis la France d’en bas, comme on appelle parfois ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts, les laissés pour compte de la société, les travailleurs pauvres, les chômeurs, les oubliés, les jeunes…. Il y a en France 8,8 millions de pauvres selon l’Insee, c’est-à-dire qui vivent avec moins de 1026 €/mois. Un Français sur 5 est en situation de précarité alimentaire. C’est beaucoup dans ce pays qui se dit sixième puissance économique du monde ! C’est beaucoup dans un pays où 1% de la population détient 22% des richesses, selon l’ONG Oxfam. Autrement dit, le fossé entre les riches et les pauvres atteint des sommets.
Le samedi 17 novembre 2018 une première manifestation a paralysé le pays. Aux revendications initiales sur la baisse du prix des carburants, les frondeurs ont vite ajouté des exigences plus politiques : le rétablissement de l’ISF, la justice sociale et fiscale, le pouvoir d’achat, le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Pourtant, un slogan domine tous les autres : « Macron, dégage ».
La révolte des gueux
Il est vrai que les Gilets jaunes, c’est-à-dire les Français des classes populaires nourrissent une véritable détestation pour ce jeune banquier d’affaires devenu président de la République à la faveur d’une OPA inamicale sur l’entreprise France. Un président jupitérien, des ministres faire-valoir, des députés godillots, tous aussi inexpérimentés et maladroits les uns que les autres.
Ils n’ont pas oubliés ces petits phrases blessantes : « les illettrées, les Gaulois réfractaires au changement, le pognon de dingue dans les minima sociaux, les fainéants et les cyniques, les gens qui ne sont rien… ».
Et ceux « qui fument des clopes et roulent au diesel » n’ont pas apprécié non plus les insanités du porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. Ils sont allés défoncer le portail de son ministère à l’aide d’un engin de chantier.
La révolte des Gilets jaunes est une révolte contre cette société qui, depuis tant d’années, les a oubliés. D’où leur rejet des élites, rejet du président, rejet du discours politique qui ne s’est jamais intéressé à eux. Et même rejet des journalistes qui, selon eux, favorisent les puissants et participent à l’évolution d’une société à deux vitesses. Ont-ils vraiment tort quand on sait que moins de 10 milliardaires possèdent et contrôlent 95% de la production et de la diffusion journalistique en France ? Pour autant, et disons-le sans détour, agresser des journalistes comme on l’a vu récemment est lâche et odieux. Tout comme il est inadmissible de frapper policiers et gendarmes qui sont en service commandé.
Des valeurs universelles
Le mouvement va donc continuer. Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que le président de la République reconnaisse enfin le bien-fondé de ce soulèvement populaire et qu’il en tire les conséquences par une vraie mesure sur le pouvoir d’achat, par exemple et/ou sur le rétablissement de l’ISF.
A défaut, ce sera le chaos. La France deviendra ingouvernable.
Car non seulement le mouvement des Gilets jaunes ne s’estompe pas mais, surtout, il s’internationalise. De la Belgique à la Pologne, d’Israël au Royaume-Uni en passant par l’Espagne, l’Egypte, la Bulgarie, la contestation gagne de nombreux pays.
Sans doute par ce que ce mouvement spontané qui a du mal à se structurer, porte en germe des valeurs universelles : celle de la justice sociale et fiscale, celle du rejet des élites, celle du suffrage universel dévoyé par les lobbies et les réseaux de l’argent. C’est au royaliste Alexis de Tocqueville que l’on prête ce mot : « Le suffrage universel ne me fait pas peur, les gens voteront comme on leur dira. »
Ce fut longtemps vrai. Aujourd’hui, « les gens » c’est-à-dire les citoyens, en France comme dans les autres pays, ne veulent pas voter une fois de temps en temps et signer un chèque en blanc à un président, quel qu’il soit. Ils veulent reprendre le pouvoir, le contrôler, via un référendum d’initiative citoyenne, par exemple. Ils veulent vivre décemment, ils réclament une meilleure répartition des richesses.
Utopique ? Sans doute. Car le véritable pouvoir n’est plus à l’Elysée. Mais à Bruxelles, à Washington ou à Péking. Il se cache au cœur des grandes banques et au siège des multinationales. Les hommes et les femmes politiques que l’on élit, de temps en temps, ne sont que leurs faire-valoir
Emmanuel Macron en est l’illustration parfaite.
Marcel GAY