« Je n’ai pas une fibre très westernienne, mais j’avais le désir de tourner avec des acteurs américains », confiait le cinéaste Jacques Audiard, au Festival de Deauville.
OK, les cow-boys tirent et tuent quand ils doivent tirer et tuer, mais les cow-boys se brossent les dents dans le western réalisé par Jacques Audiard, « Les frères Sisters » (sortie le 19/09). Les meurtres et la découverte du dentifrice jalonnent le voyage entre l’Oregon et San Francisco, en 1851, de deux frangins, Charlie et Eli Sisters, qui ont pour profession : tueurs.
« Je n’ai pas une fibre très westernienne, ni l’envie forcenée de tourner aux Etats-Unis, mais j’avais le désir de tourner avec des acteurs américains », confiait le cinéaste français, lors de la conférence de presse à Deauville, où il a reçu le Prix du 44ème Festival du Cinéma Américain. « Je n’ai aucun désir de conquête de territoire, mais ce que je voulais constater c’est que les acteurs américains ont une culture du jeu de cinéma ; ils travaillent beaucoup, ils ont constitué un savoir du jeu cinématographique, ils ont une grande conscience d’eux-mêmes quand ils jouent », ajoutait Audiard, casquette sur la tête.
En Normandie, le réalisateur était venu avec ses deux frères Sisters, Joaquin Phoenix le mutique, et John C.Reilly, à l’origine de ce projet. « Ce n’était pas mon idée, c’était celle de ma femme, qui travaillait avec Patrick deWitt, l’auteur du roman », dit l’acteur, époux de la coproductrice Alison Dickey. « Je connais bien les films de Jacques, nous voulions avoir un réalisateur objectif et pas ces clichés du cinéma américain », ajoutait John C.Reilly.
« Si j’avais trouvé ce livre chez mon libraire, je l’aurais adoré mais je n’aurais jamais eu l’idée de l’adapter », assure Jacques Audiard, « John C.Reilly est venu me voir avec le roman et le désir de jouer Eli, très vite on s’est entendus sur le fait que ce soit Joaquin qui joue l’autre personnage ». OK donc pour un western réalisé par un Français, avec des acteurs américains, une production américaine, mais finalement tourné en Espagne et en Roumanie.
Le cinéaste jusqu’alors citadin, « Un Prophète », « De rouille et d’os », « De battre mon coeur s’est arrêté », « Dheepan » (Palme d’Or au Festival de Cannes 2015), « Sur mes lèvres », « Regarde les hommes tomber »… avait besoin d’un bol d’air : « Exactement le plaisir qu’on prend à tourner dans les grands espaces, j’avais envie de tourner à la campagne, j’avais envie de nature », précise Audiard.
En pleine ruée vers l’or, les Sisters brothers sont missionnés par un autoritaire Commodore pour traquer un homme ( Riz Ahmed) escorté par un détective (Jake Gyllenhaal). Eli se verrait bien ouvrir un magasin avec une jolie institutrice, Charlie ne sait pas faire autre chose que tueur à gages, et ils ont tous les deux dans les veines le sang de leur cinglé de père. Lorsque les uns rattrapent les autres, le duo se fait quatuor, et la partie de poker peut commencer.
« Il y a le thème de l’héritage, de la fraternité »
«Il y a une vraie symbiose entre ces deux personnages, qui ont passé toute leur vie ensemble ; avec Joaquin, nous avons passé beaucoup de temps ensemble pendant le tournage, à faire du cheval, à tirer, et à la fin du film on sentait un vrai lien », disait John C.Reilly, à Deauville. Qui dit western, dit grands espaces, les plaines du far-west, des poursuites à chevaux, des coups de feu, des bagarres, des scènes dans un saloon… Tout y est dans « Les Frères Sisters », avec ce petit plus qui en fait un film de Jacques Audiard, avec ses sombres héros. C’est un western « apaisé », certes les frangins sont d’impitoyables tueurs, mais aussi de vieux gamins bavards qui se chamaillent à cheval ou au coin du feu.
« Ma connaissance est vraiment lacunaire sur le western », assure Audiard, contrairement à celle de Thomas Bidegain, son co-scénariste habituel : « Ce qui est formidable, c’est d’écrire avec Jacques, c’est toujours un plaisir. C’est formidable d’écrire ce genre de phrases : il sort du saloon et monte sur son cheval », s’amuse celui-ci. Ensemble, ils revendiquent l’influence des westerns des années 70, tournés par Arthur Penn (« Little big man »), Sydney Pollack (« Jeremiah Johnson »), Robert Altman (« John McCabe »)… « La Nuit du Chasseur a été une vraie référence », ajoute Thomas Bidegain.
« Il y a le thème de l’héritage, de la fraternité, même si ça m’a pris du temps pour voir que c’était dedans », dit Jacques Audiard, qui a dédié ce film à son frère aîné, disparu accidentellement à l’âge de 25 ans.
Au Festival de Venise, où il reçu un Lion d’Argent, le cinéaste constatait la masculinité des festivals. « Dans les festivals, on a l’impression d’être dans un vieux monde », ajoutait-il à Deauville, précisant que dans ses films, il y a plutôt « des femmes fortes et des mecs en dégoulinade ». Peu de femmes dans « Les Frères Sisters », mais des mecs en dégoulinade, il y en a encore.
Patrick TARDIT
« Les frères Sisters », un film de Jacques Audiard, avec John C.Reilly, Joaquin Phoenix, et Jake Gyllenhaal (sortie le 19/09).