Joel Belmin, Sorbonne Université
Les publications scientifiques concernant la maladie d’Alzheimer se succèdent : plus de 17 000 depuis le début de l’année. Mais celles qui font parler sont plus rares. C’est le cas d’une étude très convaincante publiée le 21 juin dernier dans la revue Neuron : elle met en évidence la présence de virus dans le cerveau des patients.
La maladie d’Alzheimer touche plus d’un million de personnes en France et environ 40 millions d’individus dans le monde. Du fait du vieillissement de la population, le nombre de cas est croissant et une forte progression est attendue dans les deux prochaines décennies. Cette maladie d’évolution lente et progressive entraîne des perturbations du fonctionnement de la mémoire et des autres fonctions cognitives et une perte des capacités du malade à réaliser les gestes courants de la vie quotidienne ; aussi, elle aboutit à une dépendance vis-à-vis de l’entourage. Elle a d’autres conséquences comme des troubles du comportement, des troubles nutritionnels, des chutes ou encore des états dépressifs, ainsi qu’une diminution de l’espérance de vie par rapport aux personnes de même âge n’ayant pas cette maladie.
Une pathologie qui reste mystérieuse
Malgré d’intenses recherches, la, ou les causes de la maladie d’Alzheimer ne sont pas élucidées et cela limite considérablement la mise au point de stratégies thérapeutiques efficaces. Depuis les observations d’Alois Alzheimer au début du XXème siècle, la recherche sur l’origine de la maladie s’est focalisée sur la formation des lésions cérébrales observables au microscope : les plaques amyloides et les amas neurofibrillaires.
Les plaques amyloïdes sont formées du dépôt d’une petite molécule que l’on appelle le peptide A-Bêta ou encore le peptide bêta-amyloïde. Ces peptides s’agrègent les uns aux autres pour former des dépôts inter-cellulaires. Ils proviennent d’une plus grosse protéine qui est normale et présente dans la membrane des neurones, et appelée « APP » pour « Précurseur de la Protéine Amyloïde ». Dans des conditions normales, cette protéine « APP » est coupée pour former des protéines plus petites, non toxiques, dont certaines pourraient jouer un rôle utile pour les neurones. Dans la maladie d’Alzheimer, la protéine « APP » est coupée au mauvais endroit. Influencé par un certain nombre d’enzymes, le processus conduit à la formation d’un peptide bêta-amyloïde trop important. En s’agrégeant, il forme les plaques amyloïdes dont on pense qu’elles jouent un rôle crucial dans la constitution des symptômes et le développement de la maladie d’Alzheimer.
Toutefois, cette conception appelée l’hypothèse amyloïde est actuellement fortement remise en question : en effet elle a conduit pour le moment à une impasse concernant la recherche de médicaments pouvant enrayer la maladie. En effet, les molécules conçues pour éviter la formation des plaques ou même de supprimer celles déjà formées n’ont pas entraîné de bénéfices cliniques pour les malades. Quant aux amas neurofobrillaires, le développement de stratégie pharmacologique pour les moduler ne fait que commencer et il est trop tôt pour dire si elle sera payante.
Une nouvelle hypothèse originale
Dans ce contexte, le travail paru dans Neuron a été très remarqué car il relance d’une façon très crédible l’hypothèse de la piste infectieuse comme une origine possible de la maladie. Les chercheurs de l’université Mount Sinai de New-York ont mené une étude qui a consisté à faire des analyses génomiques d’ADN et d’ARN dans des échantillons de cerveaux de malades Alzheimer obtenus post-mortem et à comparer les résultats à ceux obtenus dans des échantillons de cerveaux de personnes non malades. La recherche et la quantification de génome viral ont été réalisées d’une façon systématique au moyen de plateformes spécialisées (en particulier génomique et transcriptomique), suivies d’une analyse bioinformatique complexe des résultats obtenus.
De façon inattendue, les résultats ont montré que les échantillons provenant de malades Alzheimer contenaient plus fréquemment des séquences de matériel génétique viral, notamment de virus de la famille des Herpes virus humain de type 6A et type 7. Les chercheurs ont été très prudents puisqu’ils ont entrepris de vérifier si on retrouvait des résultats analogues dans les échantillons de deux autres banques de cerveaux issues de cohortes indépendantes. La présence des mêmes génomes viraux a été retrouvée plus fréquemment dans les cerveaux des malades Alzheimer des deux autres cohortes.
Cette association n’est pas la preuve d’une relation causale entre la présence de ce matériel viral et le développement de la maladie. On pourrait par exemple imaginer que la maladie d’Alzheimer rende les patients plus vulnérables vis-à-vis de ces virus et que ce soit donc une conséquence plutôt qu’une cause. Aussi pour explorer l’hypothèse de causalité, les auteurs de cette étude ont exploré de possibles relations entre ces virus et les protéines amyloïde qui se déposent dans le cerveau des malades Alzheimer. Chez des souris génétiquement modifiées pour développer ces plaques, ils ont confirmé que ces virus pouvaient entraîner une augmentation de la densité des plaques amyloïdes.
Par ailleurs, les plaques amyloïdes semblent freiner le développement des virus Herpes. On voit donc se dessiner une nouvelle hypothèse concernant l’origine de la maladie d’Alzheimer, dans laquelle les plaques amyloïdes seraient un élément réactionnel voire même protecteur vis-à-vis de l’agression neuronale par des virus. Cela expliquerait bien l’échec au plan clinique des thérapeutiques qui ont visé à réduire la production des plaques ou même à les supprimer du cerveau des malades.
La maladie serait-elle transmissible ?
Une possible origine virale de la maladie d’Alzheimer soulève bien évidemment la question de sa transmission inter-humaine. Ces résultats ne doivent cependant pas inquiéter les personnes aidantes ou les professionnels qui soignent les patients Alzheimer. L’épidémiologie de la maladie ne ressemble en aucun cas à celle des maladies transmissibles, et si ces virus jouent un rôle, il s’agit probablement d’une contamination dans l’enfance qui est très fréquente : on estime que 80 ou 90 % de la population a été en contact avec ces herpes virus dans l’enfance.
Ce qui est particulier dans ces résultats, ce n’est pas tellement le virus lui-même que sa présence au niveau du cerveau et sa persistance aussi longue. Cela pourrait présenter des analogies avec la physiopathologie du zona, une autre maladie liée à un herpes virus d’un autre type (responsable de la varicelle). L’infection se produit dans l’enfance et le virus reste plusieurs décennies dans des ganglions du système nerveux, jusqu’à un moment propice à la réactivation responsable du zona aigu.
Indiscutablement cette étude entrouvre une nouvelle voie de recherche et on peut espérer voir dans les années qui viennent le développement de nouvelles approches thérapeutiques pour la maladie d’Alzheimer, par exemple de nouveaux types de vaccins ou des essais cliniques avec médicaments anti-viraux actifs sur les herpes virus.
Joel Belmin, Professeur de gériatrie, Sorbonne Université
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.