« Je ne pensais pas devenir acteur », assure l’incroyable Marcello Fonte, qui a reçu le Prix d’interprétation à Cannes, pour le film de Matteo Garrone.
Gueule ouverte, tous crocs dehors, un molosse aboie et tente de mordre le prudent toiletteur chargé de lui faire une beauté. C’est avec une scène apparemment banale que débute « Dogman », film de Matteo Garrone (sortie le 11 juillet), le cinéaste de « Gomorra » (d’après le livre sur la mafia de Roberto Saviano). Sauf que l’énorme chien va finalement s’abandonner aux bons soins du petit bonhomme, qui sait comment apprivoiser hommes et animaux.
Marcello Fonte était un inconnu jusqu’à ce mois de mai, où il a reçu le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes, pour son rôle dans cette bien curieuse farce italienne. « Dogman », c’est aussi l’enseigne de l’échoppe, casée dans des barres d’immeubles d’une cité sinistrée ; on sent la mer toute proche, mais tout est ensablé, désolé, délabré. Un triste décor, tourné au sud de Naples, pourtant magnifié par la lumière et l’image de Matteo Garrone, qui tient lui-même la caméra.
« La perte de l’innocence, l’animalité, l’instinct »
Marcello veut être bien vu dans son quartier, rester copain avec ses voisins. « Si, si, si, c’est l’histoire d’un homme qui est aimé de tout le monde », confirme le cinéaste au Café Français, Place de la Bastille à Paris. Le seul qu’il ne parvient pas à apprivoiser, c’est Simoncino (joué par Edoardo Pesce), un grand et gros mec, très bête et très méchant, une brute camée qui terrorise le quartier. De ce boxeur sans cervelle, il endure brimades et humiliations, jusqu’à faire de la prison à sa place. A son retour, rejeté par ses anciens amis, Marcello n’est plus le même, le petit va vouloir faire la leçon au gros ; victime de la violence, le brave gars va se faire violent à son tour.
« J’ai rencontré Marcello par hasard, il travaillait dans un théâtre, on a fait des bouts d’essais, j’ai vu que non seulement il avait le physique qui correspondait à ce que je voulais faire mais aussi les talents d’acteur pour jouer ce rôle », raconte Matteo Garrone, conquis par « sa douceur et son visage antique », et son humanité : « C’est un des thèmes centraux du film, avec la perte de l’innocence, l’animalité, l’instinct », dit le cinéaste. « Heureux », évidemment du Prix décerné à Cannes. « Heureux, parce que Marcello a fait un très beau travail, il a été généreux, il a amené son monde dans le personnage, Marcello appartient à une Italie ancienne qui est en train de disparaître. C’est un personnage qui a du mal à vivre dans la société contemporaine, on ne parle pas seulement de l’Italie, mais de l’Occident en général », estime Garrone.
« Je m’intéresse à l’homme et à ses contradictions »
Cette Italie qui disparait est remplacée par une autre, où les populistes sont au pouvoir. « C’est difficile d’être optimiste en ce moment, en Italie ; le pays est extrêmement complexe avec des réalités complètement différentes entre le nord et le sud. Je n’ai pas de réponse, je ne peux pas raconter avec une seule histoire ce qu’est un pays, mon idée c’est plutôt de suggérer des émotions, des réflexions, aux spectateurs », précise le réalisateur, « Je m’intéresse beaucoup à l’homme et à ses contradictions, c’est une approche humaniste ».
« Dogman » fut d’abord inspiré par un fait-divers : « C’était un point de départ, mais depuis le début j’ai essayé de m’en libérer, je suis content qu’en France le film soit vu par des gens qui ne connaissent pas ce fait-divers », assure Matteo Garrone, qui joue avec la bestialité. « Cela m’intéressait de montrer les chiens comme spectateurs de la violence des humains », dit-il. Les humains mériteraient plus d’être en cages que les chiens ? « Certains, oui », répond le cinéaste italien.
Le cinéaste italien s’amuse et s’agace à la fois, qu’en France, on lui parle sans arrêt de « Gomorra » (Grand Prix à Cannes) et de la mafia, alors qu’il a fait deux films depuis, « Reality » (également Grand Prix à Cannes) et « Tale of Tales ». « Pour moi, l’engagement d’un artiste se voit dans le langage expressif », estime le cinéaste, qui vient de la peinture : « J’ai une fascination pour les corps, les visages, les transformations, Marcello change continuellement de visage dans le film, c’est une sorte de Buster Keaton moderne ».
Marcello Fonte : « Je ne cherche pas le succès »
Le comédien a fait mille métiers, connu mille misères, avant d’être récompensé à Cannes.
« Tu es vraiment comme ça ? », lui a demandé le cinéaste italien Roberto Benigni, après lui avoir remis son Prix d’interprétation à Cannes. Oui, Marcello Fonte est comme ça, c’est un petit bonhomme avec une bonne tête, qui a le don de se mettre les gens dans la poche. Le jury cannois, fastoche : « Je ne m’y attendais pas, je ne connaissais pas l’importance, la dimension, de Cannes, ce que j’aime c’est être sur le plateau, c’est travailler, respirer l’air du travail », dit le modeste.
Sur la scène du Palais des festivals, Marcello semblait ne pas trop savoir ce qui lui arrivait, osait à peine prendre sa récompense. Sa vie en Italie a changé aussitôt : « J’ai d’abord changé de numéro de téléphone, car mon téléphone a explosé, j’ai perdu tous mes amis en une seule fois, mais c’était une bonne chose finalement, car ça m’a permis de supprimer tout ce qui était futile, maintenant je n’ai plus que les numéros des gens qui comptent pour moi », s’amuse-t-il. « J’ai reçu beaucoup de propositions, alors qu’avant à Rome personne n’en avait rien à faire de moi, maintenant que j’ai reçu le prix je les intéresse plus, mais j’ai aussi une sacrée responsabilité », estime le comédien.
« C’est la vie qui te dessine le visage »
Ce qu’il a apporté au personnage de « Dogman » ? « La douceur », répond-il d’abord, et puis « l’amour des chiens, des gens, du quartier, l’envie d’être père ». Et puis surtout, lui, son visage, son physique : « C’est la vie qui te dessine le visage », estime ce dernier d’une famille de sept enfants. Originaire d’un village de Calabre, où l’été il retourne jouer dans la fanfare, Marcello Fonte a fait mille métiers, et peut-être connu mille misères : barbier, coiffeur, boucher, plombier, vigile, accessoiriste, technicien du cinéma, peintre, dépanneur en tout genre…
« Pour vivre, j’ai dû faire des petits boulots. J’aime faire les choses », dit celui qui se définit comme un laborieux. Marcello a ainsi participé aux travaux du Cine-Palazzo, dont il s’occupe. « C’est un lieu dans Rome qui a été théâtre, cinéma, salle de billard, et qui allait être transformé en casino, mais les gens du quartier se sont rebellés, et ont empêché ça en l’occupant. Grâce à eux, c’est de nouveau devenu un lieu de théâtre et de culture », raconte le bricoleur, qui projette d’aller retaper un théâtre dans une prison.
« Je ne pensais pas devenir acteur », assure Marcello Fonte, qui a joué dans une poignée de films (dont « L’Intrusa » et « Corpo Celeste »), et a fait de la figuration dans « Gangs of New York » de Martin Scorsese ; il devait y rester trois jours, il y a finalement passé trois mois comme doublure. Sa performance dans « Dogman » et son Prix à Cannes l’entraînent dans une autre dimension : « Je ne cherche pas le succès, je veux partager cette belle expérience », dit-il.
« Une grande ambiance de western »
Alors qu’on compare « Dogman » à David et Goliath, il lâche « Je serais qui ? » dans un sourire. Bien sûr qu’il serait le petit David, lui aussi plus jeune de sept enfants, qui terrasse un géant. « Marcello ne se venge pas, plus que la vengeance c’est la loi de la survie, c’est quelqu’un qui veut sauver sa dignité, sa propre humanité. Parfois on fait des choix que la vie nous impose. Pour lui, c’est trop, il défend sa famille, il défend ce qu’il a gagné, et avec la tête haute. Il ne veut pas le tuer, il veut le dresser, comme un chien, ce n’est pas prémédité », estime le Calabrais.
Sur l’universalité de cette histoire, Marcello Fonte est d’accord avec Matteo Garrone, qu’il compare à « un entraîneur de foot » : « Ce n’est pas une photographie de l’Italie mais du monde, quand ça va tout va bien, mais dès que tu as un problème tout le monde te tourne le dos, le film montre comment les gens peuvent changer », dit-il, « Le quartier est vraiment un personnage du film. Il n’y a pas de références à Naples, ça pourrait être n’importe où, il y a une grande ambiance de western, et surtout un cadre qu’on peut interpréter, un non-lieu ».
Patrick TARDIT
« Dogman », un film de Matteo Garrone avec Marcello Fonte (sortie le 11 juillet).