Claudio Galderisi, Université de Poitiers
La loi « Orientation et réussite des étudiants » (ORE), promulguée le 8 mars dernier, semble susciter davantage de réactions hostiles maintenant qu’elle est devenue une loi de la République que pendant les sept ou huit mois qui ont précédé son adoption par le Parlement.
Des résistances malgré la concertation et la promulgation
Des universités et des facultés sont bloquées ici ou là par un nombre croissant d’étudiants qui ne sont pourtant pas concernés par cette loi. Des motions de plus en plus nombreuses sont votées par des départements et des conseils académiques qui semblent considérer que leur légitimité est supérieure à celle des lois de la République.
Des universitaires invitent explicitement à boycotter la mise en œuvre des « dispositifs d’accompagnement pédagogique et des parcours de formation personnalisés » (article L. 612-3 du code de l’éducation), ou ils exigent de ne pas être associés aux « délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de préinscription » (article L. 612-3 du code de l’éducation). Ils oublient ainsi, ou font mine de le faire, que l’article 3 du décret statutaire les concernant (n° 84-431 du 6 juin 1984), dispose que les « enseignants-chercheurs […] assurent la direction, le conseil, le tutorat et l’orientation des étudiants ».
Pourtant, ni les syndicats, ni les associations des étudiants, ni l’immense majorité de la communauté universitaire n’ignorent les raisons qui ont poussé la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à essayer d’apporter une réponse législative au scandale de l’échec en première année d’université, à la procédure honteuse du tirage au sort et à la dévalorisation progressive de la licence.
Pendant les mois de septembre et octobre, une concertation nationale à laquelle ont été associées toutes les organisations représentatives a permis aux communautés concernées par la réforme de s’exprimer. Cette concertation a influencé de manière considérable l’élaboration du texte législatif, bien plus timide dans sa formulation et dans ses objectifs que le projet de loi initial.
Trente ans d’échecs
Mieux orienter les bacheliers, qui échouent à plus de 60 % actuellement, surtout en raison d’un choix pour lequel ils ne bénéficient d’aucun éclairage, serait devenu une erreur et même une faute selon tous ceux pour qui le statu quo possède systématiquement, et paresseusement, toutes les vertus.
Or la loi ORE est loin d’être révolutionnaire. Elle ne va pas assez loin sur un certain nombre de points : l’introduction d’une véritable période propédeutique, le nombre, insuffisant, de places créées dans les filières supérieures courtes à l’intention des bacheliers professionnels et technologiques, la faiblesse des moyens alloués aux universités pour mettre en place des « parcours de formation personnalisés », les modalités de validation de ces mêmes parcours.
Quant à la plate-forme ParcourSup, dont la plupart de ceux qui la critiquent ne connaissent sans doute pas bien les fonctionnalités de l’algorithme, elle ne pourra pas résoudre en quelques mois les problèmes dus à la complexité institutionnelle de l’enseignement supérieur français, qui propose un nombre incalculable de choix sélectifs et non, à l’inadéquation didactique du lycée actuel ainsi qu’à la contrainte du diplôme de baccalauréat délivré à 80 % d’une classe d’âge.
Une loi prudente
Cette loi prudente arrive après trente d’ans de retards coupables, qui n’ont fait qu’aggraver la condition de notre système universitaire. Confrontée à une concurrence déloyale, qui pousse vers le système sélectif les meilleurs bacheliers (plus de 90 % des bacheliers avec une mention très bien ne choisissent pas l’université), l’université française a été transformée progressivement en un deuxième choix, et pour un certain nombre de disciplines en filière de remédiation du secondaire.
Qui peut s’accommoder d’un tel gâchis ? Qui peut être nostalgique de la plate-forme Admission post-bac et du tirage au sort ? Qui peut se plaindre du fait que l’on veut aider dans leur orientation les bacheliers les plus fragiles, qui n’ont souvent ni les connaissances requises pour accéder aux études supérieures, ni même, du moins pour ce 40 % d’entre eux qui abandonne au bout de quelques mois, la volonté de poursuivre leur formation ?
Le Conseil d’État et la Cour Constitutionnelle ont balayé les exceptions juridiques de tous ceux qui voulaient lire dans cette loi une remise en cause du droit au libre accès à l’enseignement supérieur. Par-delà les questions juridiques, au nom de quel principe pédagogique ou démocratique peut-on affirmer que des bacheliers mal formés, qui n’ont pas la moindre idée de ce que les attend à l’université et de ce que l’université attend d’eux, et qui sont pour leur grande majorité condamnés à l’échec, seraient-ils lésés dans leurs droits parce que des équipes pédagogiques leur conseilleraient soit de s’orienter vers d’autres filières, soit d’acquérir les connaissances leur permettant de poursuivre leurs études ?
La législation en vigueur avant la loi ORE ne préservait que la lettre de leur droit : l’inscription libre à l’université, qui n’était autre qu’une concession démagogique et une condamnation à l’échec. Ce droit était un leurre, que seuls une ou deux associations d’étudiants qui en ont fait leur raison sociale et quelques syndicats pour lesquels le service public semble se résumer à une virtualité défendaient et défendent encore.
Orienter les étudiants, un devoir pour les universités
Un étudiant universitaire coûte environ 11 000 euros par an à l’État français. C’est très peu, en comparaison de ce que ce même État accorde à un étudiant des classes préparatoires (16 500 euros) et c’est en effet légèrement inférieur à la moyenne de ce que les pays de l’OCDE, qui n’ont cependant ni un système sélectif parallèle ni les organismes de recherche, dépensent pour leurs étudiants. Là est le scandale. Il faut tout faire pour améliorer cette situation et convaincre la Nation d’augmenter et mieux redistribuer les moyens alloués à l’enseignement supérieur. Ces 11 000 euros sont insuffisants, mais pourquoi l’État ne devrait-il pas avoir le droit de tout faire pour qu’ils soient dépensés au mieux.
Orienter les étudiants, qu’ils aient ou non les « attendus » prévus par la loi, est à bien regarder non pas un droit mais un devoir pour l’université. C’est aussi un droit désormais pour les bacheliers, qui peuvent réclamer des universités qu’elles mettent réellement en œuvre les différents dispositifs prévus par la loi ORE. Le débat sur la prétendue sélection a fait oublier celui sur la véritable réussite, qui ne peut être le résultat d’une simple inscription. Autrement, il faudrait inscrire parmi les droits fondamentaux le droit à la licence.
Par ailleurs, un certain nombre d’universitaires qui ne considèrent pas que le baccalauréat est accordé avec une largesse coupable, qui ne s’émeuvent pas des difficultés que peut comporter l’épreuve de philosophie, qui estiment, à juste titre, que les lycéens ont la maturité pour défiler contre une loi ou occuper un lycée, pensent que la rédaction d’une lettre de motivation de quelques lignes constitue une épreuve discriminante, qui pénaliserait les étudiants issus des classés défavorisées.
Une telle position paraît entachée d’une contradiction : comment concilier en effet la conviction que les bacheliers réussissent uniquement grâce à leur mérite les épreuves du baccalauréat avec la certitude qu’ils seraient incapables de rédiger quelques lignes pour expliquer les raisons qui motivent leur choix de s’inscrire dans telle ou telle filière universitaire ? S’agit-il d’un mépris de classe ou d’une mauvaise foi idéologique ?
Sortir de la sélection par l’échec
Les universitaires sont dans leur très grande majorité des pédagogues capables de distinguer la motivation de la rhétorique, une intention sincère de la maîtrise de formules rédigées par d’autres. La lettre de motivation n’aura aucun impact négatif sur l’avis émis par les équipes pédagogiques ; elle pourra peut-être se révéler inutile, mais elle ne constitue pas une humiliation ou pire un handicap dont devraient souffrir des bacheliers qui ne bénéficient pas d’un environnement familial favorisé.
En revanche, beaucoup de bacheliers issus des classes défavorisées sont pénalisés par un système qui repousse sans fin l’évaluation de leurs connaissances et qui leur offre finalement un seul véritable droit : le droit au chômage ou, au mieux, à des métiers qui les condamnent à une sorte de ségrégation sociologique et professionnelle.
Enfin, d’autres universitaires, tout aussi hostiles à la loi ORE, pensent qu’une grande sévérité en première année d’université devrait suffire à « écrémer » et à garantir la qualité du diplôme de licence. La sélection par le manque d’orientation et d’information et la sélection par l’échec seraient donc la solution à offrir à des bacheliers mal formés. Or il serait facile de démontrer que dans la plupart des universités françaises l’application rigoureuse d’une notation sévère en première année comporterait la fermeture de plusieurs filières, notamment dans les sciences humaines et sociales. Certaines disciplines ne seront sauvées, en effet, que si l’université parvient à attirer à nouveau les meilleurs bacheliers. Et pour cela il faut garantir à ces étudiants un diplôme universitaire digne de ce nom. Sans oublier que l’université n’a pas pour seule mission l’insertion professionnelle mais aussi la spécialisation disciplinaire du master et la formation à la recherche par la recherche du doctorat.
Revaloriser les diplômes et viser la vraie réussite
La loi ORE ne résoudra certainement pas tous les biais et les torts du système français, qui favorise les insiders et n’offre aux outsiders que des droits quasi virtuels, le premier de ces droits étant une inscription dont la quasi-gratuité n’est là que pour dissimuler et retarder le choc avec le monde du travail.
Cette loi a cependant le mérite de remettre au cœur de l’enseignement supérieur la question de la réussite : non pas de la même réussite pour tous, qui ne peut être qu’un slogan creux, mais de la réussite pour chacun, selon des modalités qui dépendent, certes, de la volonté et de l’engagement de l’étudiant, mais aussi des moyens mis en œuvre pour l’aider à mettre en valeur ses qualités, à en faire un atout professionnel. De cette réussite dépend aussi l’avenir de la Nation.
La loi ORE offre aussi la possibilité à la communauté universitaire de remettre la transmission du savoir au cœur de ses missions. La production des connaissances nouvelles pourrait alors redevenir la première vocation de l’université et le levier de la société de demain. Tout cela dépendra moins de ce que dit la loi que de la manière dont la communauté saura saisir les opportunités qu’elle ouvre à nos universités, notamment en matière de formation continue.
C’est le souhait qu’exprime à ce propos Antoine Compagnon dans le dernier numéro de la revue Le Débat (n° 199, mars–avril 2018, p. 48), et que je fais mien :
« Espérons que l’on pourra envisager plus sereinement de glisser d’un enseignement supérieur trop polarisé sur la formation initiale à des formations tout au long de la vie, faites d’allers et retours à l’université au fur et à mesure des besoins et des envies. »
Claudio Galderisi, Professeur de langues et littératures de la France médiévale, Université de Poitiers
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.