L’actuelle « Semaine de la langue française et de la francophonie » peut être l’occasion de connaître quelques mots utilisés dans le domaine des affaires au Québec.
Par Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone)
Le Québec est une terre de prospérité économique qui s’affirme de plus en plus comme la référence mondiale en matière de langue française.
La Belle Province est déjà connue depuis longtemps comme étant le principal foyer d’enrichissement de la langue française dans le monde. Et ce, notamment grâce à son prestigieux « Office québécois de la langue française » (OQLF), dont le travail est soutenu par l’exemplarité de la population québécoise, toutes catégories confondues.
Puissance économique
Mais avant de citer ces quelques mots, à l’occasion de la nouvelle « Semaine de la langue française et de la francophonie » qui s’étend cette année du 17 au 25 mars, il convient d’abord de rappeler certains éléments mettant en évidence la puissance économique du Québec. Débordant de dynamisme et de créativité, celui-ci compte de nombreuses grandes entreprises mondialement connues, comme Bombardier (numéro un mondial de la construction ferroviaire et numéro quatre de la construction aéronautique), Hydro-Québec (quatrième producteur mondial d’hydroélectricité), la SNC-Lavalin(un des leaders de l’ingénierie et de la construction, avec plus de 51 000 employés à travers le monde) ou encore le Cirque du Soleil, numéro un mondial dans son domaine avec ses près de 4 000 salariés !
3ème pôle mondial pour l’’aéronautique
Capitale économique de la province et haut lieu de la haute technologique, Montréal est également le troisième pôle mondial pour l’aéronautique (derrière Seattle et Toulouse) et l’industrie du jeu vidéo, et le quatrième centre mondial pour le secteur des effets spéciaux cinématographiques. Mais le Québec, c’est aussi une croissance économique annuelle globalement deux fois supérieure à celle de la France depuis 2012 (3,0% en 2017), un taux de chômage au plus bas depuis 1976 (5,6 % en février 2018) et une capitale nationale (la ville de Québec) affichant le taux de chômage le plus faible parmi les 10 principales villes de l’ensemble du Canada (3,2 % en février 2018) et qui commence à concurrencer Montréal en matière d’innovation technologique.
Sauf qu’au Québec, dynamisme et modernité se vivent en français, comme le démontrent les quelques termes suivants, sélectionnés parmi tant d’autres :
Réseautage
– Sociofinancement : équivalent québécois du terme « crowdfunding », massivement utilisé en France et parfois traduit par « financement participatif » (appellation assez longue, reconnaissons-le). Ce mot a pour particularité de ne pas avoir inventé par l’OQLF, mais par une plateforme de sociofinancement elle-même (la plateforme « Haricot »). Et pourtant, ce terme fut à son tour rapidement repris par l’ensemble de la presse et de la population québécoises, avec le sens de la logique et la discipline qu’on leur connait et qui font leur force.
– Réseautage : mot correspondant au « networking » (action visant à se constituer un réseau de contacts sociaux et/ou professionnels).
– Plan d’affaires : au Québec, inutile de chercher un banquier qui vous demandera le « business plan » de votre projet, car ceci n’existe pas.
– Infolettre : équivalent en français québécois du mot « newsletter », lui aussi assez lourd à prononcer, comme les termes crowdfunding, networking et bien d’autres encore utilisés par les Français…
– Magasiner : au Québec, on ne va pas « faire du shopping », mais on va « magasiner ». Là encore, logique et simplicité.
– Courriel : bien que déjà connu en France, cet équivalent québécois du terme « e-mail » (ou email, ou mail, ou encore « mél »… ) tarde encore à s’imposer, bien qu’il soit utilisé depuis déjà de nombreuses années au Québec (et plus globalement dans toutes les localités francophones du Canada, comme pour l’ensemble des mots de cette liste).
– AECG : sigle utilisé par le Canada francophone pour la dénomination « Accord économique et commercial global », relative au traité de libre-échange récemment signé entre L’Union européenne et le Canada, et désigné par les francophones du continent européen par l’acronyme anglais CETA (Comprehensive and economic trade agreement). Il est ainsi plus que surprenant de constater que francophones de part et d’autre de l’Atlantique n’utilisent guère le même sigle afin de désigner un même traité dont ils sont, de surcroît, partie prenante !
Québec/France : un fossé linguistique grandissant
Ces termes sont utilisés par l’ensemble de la population québécoise : médias, classe politique, milieux d’affaires et particuliers (à la seule exception du sigle AECG, qui ne l’est que par… la quasi-intégralité des Québécois, tout comme le CETA l’est par la quasi-totalité des Français). Il n’y a donc aucune raison logique ni rationnelle pour que ces termes ne soient pas également utilisés sur l’intégralité du territoire français, et par l’intégralité du peuple de France.
Le Québec, où le français est globalement en progression constante depuis les années 1850 (période critique de l’histoire de cette grande province, lorsque les francophones étaient devenus minoritaires sur de nombreuses parties du territoire), s’affirme donc de plus en plus comme la référence mondiale en matière de langue française. La primauté du français, seule langue officielle du Québec depuis 1974, est ainsi scrupuleusement respectée dans l’affichage et les sites internet de l’ensemble des événements internationaux (salons et autres manifestations). Même chose pour toutes les universités et Grandes écoles québécoises francophones (très majoritaires), dont les noms et les intitulés de formation diplômante sont, par ailleurs, exclusivement en français (et dont les cours sont toujours essentiellement prodigués dans la langue de Molière). À tout cela, s’ajoutent également les slogans publicitaires, les intitulés de fonction et cartes de visites (quel que soit le domaine d’activité), ou encore les menus des bars et restaurants, les noms des films et des séries télévisées…
Une ville-monde
Et ce, y compris à Montréal, dont l’agglomération de 4,2 millions d’habitants concentre aujourd’hui l’essentiel de la minorité anglophone de la province, mais qui est désormais francophone à 78,1 % selon les données du recensement de 2016 et le selon le critère de la première langue officielle canadienne parlée (en hausse de 0,5 point de pourcentage par rapport au précédent recensement de 2011).
Une ville-monde, où la grande majorité des non francophones maîtrise aujourd’hui au moins assez bien la langue française afin d’être en mesure de mener une vie normale sur ce territoire qui, au passage, a été élu meilleure ville étudiante au monde en 2017 par le classement international QS Best Student Cities (établi par le cabinet britannique Quacquarelli Symonds), ainsi que « Communauté intelligente de l’année 2016 » par l’organisme américain Intelligent Community Forum (en raison, notamment, de son avance en matière de technologie numérique et d’intelligence artificielle).
Ces différents exemples mettent en évidence un contraste saisissant avec une France où la langue française est désormais lingua non grata dans bien des endroits, et qui subit une anglicisation à outrance depuis plusieurs années, menée par des décideurs irresponsables, dépourvus de toute vision à long terme et faisant preuve, en définitive, d’une incompétence les rendant inemployables au Québec.
À tel point que l’Hexagone est désormais meilleur en anglais que dix ex-colonies britanniques ayant toutes l’anglais pour langue co-officielle, de jure ou de facto (comme les Émirats arabes unis, le Qatar, le Sri Lanka ou le Pakistan), selon les deux dernières éditions du célèbre classement international EF EPI (Education First, English Proficiency Index). Une France, qui est également la grande puissance non anglophone la plus anglicisée au monde, se classant largement devant les chefs de file des autres principaux espaces géolinguistiques, à savoir la Russie, la Chine, le Brésil, le Mexique et l’Arabie saoudite (ou l’Égypte). Ou encore devant le Japon, dont la société est technologiquement la plus avancée au monde.
Fossé linguistique
Et comme si cela ne suffisait pas, la nouvelle réglementation européenne SERA – Partie C vise à imposer l’anglais comme unique langue de communication entre les pilotes privés français et les six principaux aéroports métropolitains. Si cette nouvelle réglementation devait entrer en vigueur, tôt ou tard, sous pression européenne et avec les probables complicité des autorités françaises et l’inertie de l’OIF, il ne restera plus à nos pilotes privés que de s’exiler au Québec (ou en Afrique francophone) afin de pouvoir continuer à exercer leur passion en français.
Ce fossé linguistique s’agrandissant d’année en année, entre un Québec de plus en plus francophone et une France en voie de défrancisation, espérons que Québécois et Français pourront toujours se comprendre dans quelques générations.
En attendant, la « Semaine de mode » de Montréal (que l’on pourrait certainement raccourcir en « Semaine mode ») commencera le 20 mars au prochain, soit deux semaines après la fin de la « Fashion Week » de Paris, autrefois première ville francophone du monde (désormais devancée par Kinshasa, et ses 13 millions d’habitants).
Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone)