Rencontre avec Dominique Rocher, réalisateur de « La nuit a dévoré le monde », film sélectionné au Festival du Film Fantastique de Gérardmer.
Un jeune homme, endormi dans un appartement parisien un soir de fête, se réveille le lendemain dans une ville dévastée et peuplée de zombies. C’est « La nuit a dévoré le monde », premier long-métrage de Dominique Rocher (sortie le 7 mars). Un film « tendu, calme, silencieux », anti-gore, adapté d’un roman de Martin Page (publié sous le pseudo de Pit Agarmen), dans lequel on partage le quotidien monotone d’un héros solitaire, dans le décor presque unique d’un immeuble haussmannien où le survivant se calfeutre. Rencontre avec Dominique Rocher au Festival du Film Fantastique de Gérardmer, où son film était sélectionné.
Votre idée de départ était ce presque huis-clos, avec un personnage enfermé et renfermé ?
Dominique Rocher : C’était peut-être la seule envie que j’avais au tout départ, en me demandant ce que je voulais faire comme premier film, et je suis parti sur un film avec un personnage seul et un décor unique, à la fois une contrainte et une matière qu’on peut maîtriser. Après, il y a eu ce livre qui a fait écho sur l’isolement, qui me parlait beaucoup, je vis à Paris, une ville très dense, et ce sentiment un peu de mal-être par rapport à l’autre est très présent, j’ai essayé de le retranscrire dans le film, avec cette analogie avec les zombies, le sujet était parfait pour moi, du coup.
Vous aviez lu le livre avec l’idée de l’adapter ou s’est en le lisant que vous imaginé en faire un film ?
En fait, je l’avais remarqué lorsqu’il a été nommé au Prix de Flore, qui est un prix littéraire plutôt réservé à la littérature classique, ces zombies au milieu des autres livres ça m’avait intrigué. C’est un peu aussi la manière dont j’envisage le film, je n’ai pas envie qu’il soit catalogué forcément dans le cinéma de genre, j’ai envie qu’il soit catalogué parmi les autres films, et qu’on l’intègre au cinéma d’auteur comme son livre a été intégré à la littérature générale.
« Pour le personnage, les hommes ont toujours été des monstres »
Votre film se présente effectivement comme un film d’horreur d’auteur…
Il y a eu des films de genre français dans les années 2000 qui étaient vraiment faits en réaction au cinéma français, leurs réalisateurs étaient tellement énervés par le cinéma d’auteur qu’ils voulaient absolument faire des films à l’exact opposé. Je pense que les choses se tempèrent, et on arrive à trouver une sorte d’équilibre entre le cinéma d’auteur et ce cinéma que d’horreur ou fantastique, c’est ce que j’ai envie de faire.
Et ce qui vous permet de faire un film de zombies en plein Paris ?
Oui, c’est vrai que je n’avais pas prévu de faire ça à la base, c’était un genre déjà à saturation, il y a eu beaucoup de films de zombies, mais je savais qu’on avait un angle particulier, qui méritait de raconter une histoire malgré la saturation.
Ce film vous permet de parler de la solitude, de l’isolement, de l’enfermement sur soi ?
Exactement, on a un personnage misanthrope au début, ça ne le choque pas que les hommes se transforment en zombies puisque pour lui ils ont toujours été des monstres, il a un rapport étrange aux autres. Finalement, il y a une première partie où il se contente de cette situation, d’être vivant, dans cette solitude, il ne cherche pas à contacter absolument l’extérieur, il vit une sorte de routine, seul, toute la question est combien de temps ça peut durer ? C’est un mal-être grandissant, plein de gens se sentent de plus en plus seuls alors qu’on est de plus en plus connectés les uns les autres, mais néanmoins très seuls.
Pour lui, clairement, l’enfer c’est les autres…
Je nuance, j’aime bien cette phrase de Sartre, mais elle correspond plus à une série comme « Walking Dead » qui traite vraiment du groupe qui s’auto-détruit, c’est le cas dans beaucoup de films de zombies où les humains s’auto-détruisent. Là, le personnage s’exclut, il n’a pas besoin de faire partie du même groupe que les autres, il se sent différent des autres, c’est comme ça qu’il s’est senti toute sa vie, la situation n’a pas réellement changé pour lui.
« Un truc mélancolique, la froideur nordique »
Vous vouliez faire un film « mental » avec des morts-vivants ?
Oui, des morts-vivants qui ne font pas de bruit, qui laissent le personnage dans le silence, et le laissent mariner dans ses pensées. C’est la pression constante, le fait qu’ils soient tout le temps présents, la manière de filmer été pensée pour construire le mental du personnage, et comment le spectateur perçoit ce qui se passe dans son évolution psychologique. L’environnement a énormément d’influence sur lui, d’où l’importance du son, tous les éléments sonores créent une espèce de danger permanent.
Pourquoi avoir choisi l’acteur norvégien Anders Danielsen Lie pour le rôle principal ?
C’est la productrice Carole Scotta qui m’en a parlé, je n’avais pas vu ses films, elle m’a montré « Oslo 31 août », « Nouvelle donne », « Ce sentiment de l‘été ». Je savais qu’au moment de choisir un acteur, il assemblerait tout le film puisqu’il serait de quasiment chaque plan, quel que soit le choix ; Anders dégageait ce truc mélancolique, légèrement misanthrope, un peu solitaire, la froideur nordique aussi. Le fait qu’il soit batteur est une chose que j’ai mise dans le scénario après l’avoir rencontré, pour créer un lien entre lui et le personnage. Et puis même s’il parle très bien français, il y a quand même une hésitation, une fragilité dans son français que je trouve touchante.
Vous travaillez maintenant sur une mini-série pour Arte, « La Corde » ?
C’est en développement, cela fait quelques années que je travaille dessus. C’est l’adaptation de « La Corde », un roman d’un auteur allemand, Stefan aus dem Siepen. C’est une histoire fantastique proche du conte, que j’ai co-écrite avec Fabien Adda, qui a travaillé sur « Les Revenants », et Alain Damasio, qui est l’auteur de science-fiction de « La horde du contrevent » ; on écrit ensemble une histoire de science-fiction qui va un peu au-delà du livre, un peu plus épique. C’est très agréable de travailler avec Arte, on a beaucoup de liberté, ils sont dans une volonté de faire émerger l’intention de l’auteur, ils poussent les auteurs à développer leurs idées.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« La nuit a dévoré le monde », un film de Dominique Rocher (sortie le 7 mars).
Le précieux « Secret des Marrowbone »
Sorti en salles en France le même jour (7 mars) que « La nuit a dévoré le monde », « Le secret des Marrowbone » était également présenté au dernier Festival du Film Fantastique de Gérardmer, dont il a fait l’ouverture. Il s’agit du premier film réalisé par le cinéaste espagnol Sergio G.Sanchez, qui était le scénariste de « L’Orphelinat », réalisé par Juan Antonio Bayona et Grand Prix du Festival de Gérardmer en 2008.
Avec « L’Orphelinat », « Le secret des Marrowbone » a en commun une certaine esthétique, ainsi que des thèmes tels que l’enfance et le passage à l’âge adulte. Quatre frères et sœurs, qui ont fui leur père, cachent la mort de leur mère, pour ne pas être séparés. Ils sont ainsi livrés à eux-mêmes dans une ferme isolée, quelque part dans le Maine, où bien sûr vont se produire « d’étranges phénomènes », et se faire ressentir « une présence malveillante ». Avec un scénario à tiroirs, le film s’imbrique comme un puzzle, d’abord drame familial, puis mystère fantastique, avant de basculer dans le thriller psychologique. Un précieux « Secret » qui ne fait pas trop peur pour plaire grand public, mais pas assez pour séduire les fans du genre.
P.T.