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Les impasses du Front national (3) : l’improbable retour de la figure de l’Étranger

Antoine Ullestad, Université de Strasbourg; Frédérique Berrod, Sciences Po Strasbourg, and Louis Navé, Université de Strasbourg

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De plus en plus de migrants fuient les horreurs de la guerre (DR)

L’Étranger est de retour dans le discours politique. Un peu partout en Europe, les vieilles idées ont été réactivées : pour se protéger, il faut revenir aux mécanismes de contrôle des entrées et des sorties du territoire et réinstaurer une division nette et tranchée entre ceux qui appartiennent à la communauté nationale et ceux qui n’en sont pas. Ce discours permet de projeter sur l’étranger les maux de la société en crise : insécurité, chômage, inefficacité des politiques publiques.

Paradoxalement, alors même que l’Étranger perd tout son sens dans la mondialisation, il devient un objet politique de premier plan quand soudain tout semble s’effondrer. Une formule magique lorsque, d’un coup, tout va mal. La figure de l’étranger redevient alors dangereusement proche de celle du barbare. Le danger ? Que l’Union européenne se résume désormais, pour reprendre l’expression d’Étienne Balibar, à « une coalisation d’égoïsmes nationaux rivalisant pour le trophée de la xénophobie. »

La schizophrénie est saisissante entre, d’un côté, la réussite de l’UE à faire de l’étranger un concept juridiquement inutile et, de l’autre, la tendance à raviver cette figure dans les États membres, comme on soufflerait frénétiquement sur une flamme qui menace de s’éteindre. Le discours des partis nationalistes y contribue largement. Il instille une idée pernicieuse : exclure l’étranger est un moyen de protéger le national.

La France n’échappe pas à ce constat. En 2012, Marine Le Pen prévoyait de supprimer les aides sociales accordées aux étrangers du fait « que les Français ont le droit d’avoir des droits supplémentaires aux étrangers dans leur pays. » Une priorité que le FN entend reconduire pour 2017. Or l’UE atténue, à défaut de faire disparaître, ce lien exclusif entre le national et son État, et déconstruit, ce faisant, la figure politique de l’étranger. Sans revenir sur la difficulté éthique de la distinction, il faut aussi comprendre que ce retour au national est de facto impossible, et politiquement dangereux.

Pour un espace de libre circulation des étrangers

L’intégration de l’UE le montre clairement. La libre circulation induit une solidarité entre les États qui fait douter de la pertinence d’une distinction entre étranger et national.

Dans le nouveau monde qu’a créé l’UE, l’étranger n’existe plus en tant que tel, ou du moins lorsqu’il est ressortissant de l’un des États membres. Titulaire du droit fondamental à ne pas être discriminé, il s’intègre dans la société qui l’accueille, sans avoir à rien démontrer de plus. Le national peut ainsi bénéficier d’aides sociales ou de la garantie d’un revenu minimum lorsqu’il est sans emploi, pour vivre dans un État qui n’est pas le sien.

L’étranger est avant tout un citoyen de l’Europe, placé au cœur de la société dans laquelle il se fond. L’État d’accueil peut encore vérifier que l’étranger ne représente pas une charge déraisonnable pour les finances publiques, afin de parer toute forme de tourisme social.

L’Union a dévalué la figure politique de l’Étranger. Il n’est plus celui qui nous est différent mais celui qui nous est commun, dans cet espace de libre circulation qu’est l’Europe. L’étranger, c’est tout le monde, c’est-à-dire personne. Les migrations intra-européennes ne peuvent donc définitivement plus être régulées en fonction de la nationalité. La référence à l’étranger est tout bonnement une erreur éthique, autant qu’une faute juridique.

Pourquoi faut-il abandonner ce fétiche du passé ?

Le 8 août 2016, Florian Philippot reprochait sur I-télé à François Hollande de laisser « notre pays grand ouvert, au mépris de notre sécurité collective, de notre identité nationale, à tous les flux d’immigration du monde ». Le discours frontiste semble assimiler l’étranger au danger.

Or, la tendance est à l’internationalisation des échanges et des mouvements migratoires. Ce que l’UE a banalisé en son sein en approfondissant les libertés de circulation. Peut-être serait-il temps de le reconnaître et de l’accepter. Ce qui permettrait de comprendre, à tout le moins, pourquoi cette représentation de l’étranger comme figure qu’il vaut mieux garder éloignée ne correspond plus à aucune réalité actuelle ou fantasmée.

François Hollande, à Calais le 26 septembre 2016, a annoncé le démantèlement « définitif » de la « jungle » et un plan d’hébergement des clandestins.
Thaibaut Vandermersch/POOL/AFP

La libre circulation a en effet abouti à de nouveaux modes d’administration fondés sur la coopération des services plutôt que sur leur défiance. Les modèles économiques des entreprises et les attentes des consommateurs sont bâtis sur l’ouverture des frontières et non sur leur capacité à demeurer hermétiques. Bref, notre époque est celle d’un saut vers quelque chose de nouveau qui rend le retour en arrière impensable. C’est bien pour cela que la position du FN est réactionnaire.

Plus préoccupant encore, elle ne peut pas apporter la sécurité. La sécurité passe aujourd’hui par l’ouverture des frontières. Le danger terroriste ne vient pas de l’étranger, puisque c’est bien un ennemi de l’intérieur qui déstabilise les d’États. Pour sécuriser, il faut une libre circulation des informations et une politique reposant sur la définition des critères de dangerosité. Il faut dépasser la figure de l’étranger, non pas pour l’assimiler uniquement au national, mais pour que cette différence ne fonde plus les politiques nationales.

Les sociétés européennes sont bien devant un choix face auquel le FN apporte une réponse erronée. Il peut se résumer à la question de savoir ce qu’ils veulent bien faire aujourd’hui des étrangers. La sortie de la crise sécuritaire dépend-elle vraiment de la différenciation de ce qui est national et de ce qui ne l’est pas ?

The Conversation

Antoine Ullestad, Doctorant en droit de l’Union européenne, Université de Strasbourg; Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg, and Louis Navé, Doctorant en droit de l’Union européenne, Université de Strasbourg

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