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Trois jours dans la peau d’un chasseur-cueilleur vont-ils améliorer mon microbiote ?

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Les Hadza, qui vivent en Tanzanie, ont l’une des flores intestinales les plus riches à travers la planète.
Jeff Leach, Author provided

Tim Spector, King’s College London

De plus en plus d’indices suggèrent que, plus votre flore intestinale est riche et diverse, moins vous avez de chance de tomber malade. Le régime alimentaire est la clé pour maintenir cette diversité. Cela fut démontré de manière frappante lorsqu’un étudiant suivit un régime purement McDonald’s pour son documentaire Super Size Me sorti en 2004. Au bout de seulement quatre jours, le nombre de ses microbes bénéfiques avait significativement baissé.

Des résultats similaires ont été obtenus dans des études plus larges, à la fois chez l’homme et chez l’animal.

Votre microbiote intestinal est constitué d’une vaste communauté de milliards de milliards de bactéries ayant une influence majeure sur votre métabolisme ainsi que sur votre système immunitaire et votre humeur. Ces bactéries et champignons colonisent chaque recoin de votre tube digestif. Leur diversité, reflétant le nombre et la richesse en espèces différentes, est le meilleur indicateur de votre santé intestinale globale. La majeure partie des 1 à 2 kilos de cet « organe microbien » est situé dans votre colon (la partie la plus importante de votre gros intestin).

Nous observons les plus gros changements microbiens chez les personnes suivant un régime alimentaire peu sain, avec un microbiote instable et d’une faible diversité. Ce que nous ne savions pas, c’était si un microbiote sain et stable peut être amélioré en seulement quelques jours. L’opportunité de tester cette hypothèse d’une manière peu habituelle s’est présentée quand mon collègue Jeff Leach m’invita à une expédition de terrain en Tanzanie, où il vivait et travaillait chez les Hadza, un des derniers groupes de chasseurs-cueilleurs du continent africain.

Chasseurs de la tribu Hadza.
Jeff Leach, Author provided

Mon microbiote est plutôt sain actuellement et, parmi les premières centaines d’échantillons que nous avions testés dans le cadre d’un précédent projet, MapMyGut, j’avais la plus grande diversité au niveau intestinal. Une grande diversité est associée à un faible risque d’obésité et d’autres nombreuses maladies. Les Hadza ont une des diversités les plus riches de la planète.

La méthodologie de recherche fut conçue par Jeff qui me suggéra de me nourrir exclusivement comme un chasseur-cueilleur pendant trois jours, lors de mon séjour dans son camp. Je devais évaluer mes microbes intestinaux avant, pendant et après mon séjour en Tanzanie. Je n’avais pas le droit de me laver ou d’utiliser des lingettes désinfectantes. De plus, on attendait de moi que je chasse et cueille le plus possible avec les Hadza. Cela impliquait de se trouver au contact du caca des bébés Hazda et des babouins traînant aux alentours.

Pour nous aider à faire des enregistrements lors du séjour, j’étais accompagné de Dan Saladino, l’intrépide présentateur et producteur de l’émission de cuisine de la radio britannique BBC 4, qui préparait une émission spéciale sur les « microbes Hadza ».

Après un vol long et épuisant jusqu’à l’aéroport Mont Kilimandjaro en Tanzanie, nous restâmes une nuit à Arusha, une ville au nord du pays. Avant de partir, le matin suivant, je produisis mon échantillon de caca de référence.

Suite à un voyage de huit heures dans un Land Rover sur des chemins cahoteux, nous arrivâmes. Depuis le sommet d’un grand rocher, Jeff nous fit signe de nous rapprocher pour observer, sur le lac Eyasi, le plus beau lever de soleil au monde. Là, au milieu des roches du célèbre site de fossiles des gorges d’Olduvai, avec en ligne de mire les plaines du Serengeti, Jeff nous expliqua que nous ne serions jamais plus proches du berceau du genre Homo.

Un régime vieux de millions d’années !

Les Hadza recherchent les mêmes animaux et les mêmes plantes que les humains ont chassés et ramassés pendant des millions d’années. Il est à noter que le tango dansé entre l’humain et les microbes depuis une éternité a probablement dessiné notre système immunitaire actuel et nous a construit tel que nous sommes aujourd’hui. Être sur la terre des Hadza avait donc un sens primordial pour moi.

À la différence des Hadza qui dorment auprès du feu ou dans des huttes en herbe, on m’avait donné une tente et dit de bien la fermer à cause des scorpions et des serpents. Je devais être attentif à l’endroit où je marchais si j’avais une envie nocturne pressante. Après une nuit riche en émotions mais peu reposante, une grosse pile de cosses de baobabs cueillies pour mon petit déjeuner m’attendait.

Le fruit du baobab est la pierre angulaire du régime Hadza, rempli de vitamines, de graisse dans ses graines, et bien sûr, d’une dose significative de fibres. Nous étions entourés de baobabs, s’étendant à perte de vue. Leur fruit a une coque similaire à la noix de coco mais la leur se brise facilement pour révéler une chair blanchâtre autour d’un gros noyau riche en graisse. La haute teneur en vitamine C donnait un goût de citron plutôt inattendu.

Les Hadza ont mixé les parties charnues avec de l’eau puis ont mélangé vigoureusement pendant deux à trois minutes avec un bâton jusqu’à obtenir une mélasse épaisse et laiteuse. Celle-ci fut ensuite filtrée tant bien que mal pour couler dans une tasse pour mon petit déjeuner. Ce fut, à ma grande surprise, plaisant et rafraîchissant. Comme je n’étais pas sûr de ce que j’allais manger d’autre en ce premier jour, j’en pris deux tasses et me sentis tout à coup totalement repu.

Mon encas suivant fut composé de baies sauvages provenant des nombreux arbres entourant le camp – les plus communes étant les baies de Kongorobi. Celles-ci, rafraîchissantes et légèrement sucrées, contiennent vingt fois plus de fibres et de polyphénols que les baies cultivées. Elles me garantissaient un puissant carburant pour mon microbiote intestinal. On me proposa ensuite un déjeuner à base de tubercules à haute concentration en fibres, déterrées et jetées dans le feu par les femmes de la tribu. Ce fut plus difficile à manger – un peu comme si j’avais mastiqué du céleri dur et terreux. Je n’ai pas demandé une seconde portion mais n’ai pas non plus eu faim, sans doute grâce à mon petit déjeuner riche en fibres. Personne ne sembla s’intéresser à un éventuel dîner.

Des femmes Hadza font légèrement griller des tubercules riches en amidon et en fibres.
Jeff Leach, Author provided

Quelques heures plus tard on nous demanda de nous joindre à une partie de chasse pour débusquer des porcs-épics – une gourmandise rare. Même Jeff, durant ses quatre ans passés à travailler sur le terrain, n’en avait jamais goûté.

Deux porcs-épics de 20kg chacun furent traqués de nuit jusqu’au fond des galeries qu’ils avaient creusées pour s’approcher d’une termitière. Après plusieurs heures passées nous-mêmes à creuser – en évitant soigneusement leurs épines, aussi coupantes que des lames de rasoir – les deux animaux furent ramenés à la surface. Un feu fut allumé. Les épines, la peau et les organes importants furent disséqués d’une manière experte, puis le cœur, le foie et les poumons cuisinés et mangés aussitôt.

Un chasseur Hadza retourne au camp avec un porc-épic dépecé jeté sur son épaule.
Jeff Leach, Author provided

Le reste des grasses carcasses fut ramené au camp pour un repas commun. Cela avait un goût de cochon de lait. Nous avons eu un menu similaire les deux jours suivants, avec un plat principal composé de damans – un étrange animal à fourrure et à sabots, ressemblant à un cochon d’Inde, pesant environ 4kg – un cousin de l’éléphant, aussi étonnant que cela paraisse.

Notre dessert, récolté en haut d’un baobab, fut le meilleur miel que j’aurais pu imaginer – avec, en bonus, un rayon de miel plein de protéines et de graisses provenant des larves d’abeilles. La combinaison du gras et du sucre rendit notre dessert le plus dense en énergie que l’on puisse trouver dans la nature. Il a sans doute pu rivaliser avec la découverte du feu quant à son importance au titre de l’évolution.

Sur les terres Hadza, rien n’est gâché ou tué sans raison. Cela dit, les membres de la tribu mangent une incroyable variété de plantes et d’animaux (environ 600, la plupart étant des oiseaux) par rapport à nous, en Occident. Ce qui m’étonna le plus, était le peu de temps qu’ils passaient à chercher de la nourriture. Quelques heures par jour leur suffisaient – aussi simple que d’aller au supermarché. Quelle que soit la direction où vous alliez, il y avait de la nourriture au-dessus, sur, et en dessous du sol.

Une énorme augmentation de la diversité microbienne

Vingt-quatre heures plus tard, Dan et moi étions de retour à Londres, lui avec ses précieuses cassettes audio et moi avec mes échantillons de caca chéris. Après en avoir produit quelques un de plus, je les envoyai au laboratoire pour analyse.

Les résultats montrèrent des différences claires entre l’échantillon de départ et celui produit après trois jours de mon régime de glaneur. La bonne nouvelle était que ma diversité microbienne intestinale avait augmenté d’un incroyable 20 %, avec des microbes africains totalement nouveaux, par exemple ceux de l’espèce phylum Synergistetes.

La mauvaise nouvelle fut, qu’au bout de quelques jours, mon microbiote revint vers ce qu’il était avant mon voyage. Mais nous avions appris quelque chose d’important. Votre régime et votre santé intestinale peuvent être bons, mais ils ne le seront jamais autant que ceux de nos ancêtres. Chacun devrait faire l’effort d’améliorer sa santé intestinale grâce à un régime et un style de vie plus sauvage. Être plus aventurier dans notre cuisine quotidienne, se reconnecter à la nature et la vie microbienne qui lui est associée, pourrait bien être la seule chose dont nous ayons besoin !


The ConversationL’auteur de cet article, Tim Spector, interviendra à Paris, le 19 octobre 2017, lors du colloque organisé par l’Académie de médecine sur le thème « Microbiote et maladies chroniques ». Il présentera notamment les projets financés de manière participative British Gut et American Gut, encourageant les Britanniques et les Américains à faire tester leur microbiote.

Tim Spector, Professor of Genetic Epidemiology, King’s College London

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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