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Conversation avec Jézabel Couppey-Soubeyran : Régulation financière, le temps de la pause ?

Isabelle Bensidoun, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale et Jézabel Couppey-Soubeyran, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale

Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII–La Tribune–The Conversation–Xerfi–Canal. Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie et conseillère éditoriale au CEPII. Elle a publié plusieurs livres et travaux sur le système bancaire. Elle répond aux questions d’Isabelle Bensidoun.


Dans cette campagne présidentielle, il n’est plus trop question du « monde de la finance »… A-t-on abandonné l’idée de mieux encadrer le secteur bancaire et financier ?

A-t-on abandonné l'idée de mieux réguler la finance?
A-t-on abandonné l’idée de mieux réguler la finance? (mirroring buildingn Pixabay)

Pour le moment, pas de déclaration fracassante sur le sujet en effet ! Les banques et la finance ne sont clairement pas au cœur de cette campagne mais pas totalement absentes non plus. Pour les candidats qui ont fait des propositions, il s’agit notamment de mettre la finance au service de la transition écologique, de mettre en place un pôle public bancaire, de séparer les activités de banque de détail et de banque d’investissement, de contrôler la taille des banques, de pénaliser les paradis fiscaux, de renforcer les ratios prudentiels.

Si certains candidats n’ont pas intégré ces aspects dans leur programme, est-ce parce qu’il s’agit en réalité d’un sujet plus politique qu’économique ?

Ce serait une erreur à mon avis de l’interpréter ainsi. C’est un sujet éminemment économique, sur lequel les études abondent depuis la crise. Mais il est aussi vrai que, jusqu’à la crise, la monnaie, les banques, l’instabilité financière n’ont guère été au cœur de la macroéconomie dominante. Et les quelques travaux, pourtant lumineux, sur les ressorts de l’instabilité financière, comme ceux d’Irving Fisher ou d’Hyman Minsky, étaient largement tombés en désuétude avant que la crise n’en fasse ressurgir l’actualité.

On redécouvre aujourd’hui que les banques et la finance sont intrinsèquement instables, qu’une crise financière ne se résorbe pas d’elle-même, que faute d’investir suffisamment dans sa prévention, les dégâts qu’elle cause dans l’économie réelle sont extrêmement coûteux à réparer. Les travaux ne manquent plus sur les mesures à mettre en place pour rendre les banques plus solides ou pour réguler l’amplitude du cycle financier. La Banque des règlements internationaux (BRI), qui fut l’une des rares institutions internationales à l’avant garde de ces problématiques, produit, depuis plusieurs années, des travaux à même de guider la décision publique sur ces questions.

Ces travaux ont-ils inspiré les réformes menées depuis la crise financière ?

En partie oui. La qualité et la quantité des fonds propres, qui sont pour les banques comme une éponge permettant d’absorber les pertes éventuelles, ont été améliorées ; des exigences de liquidités ont été introduites pour mieux faire face, par exemple, à une rupture de liquidité ; les mastodontes bancaires sont aujourd’hui mieux contrôlés. En Europe, une Union bancaire a vu le jour, pour organiser à l’échelle européenne la surveillance des grands établissements, la résolution des difficultés bancaires et la garantie des dépôts. Cependant, rien n’est totalement achevé et le tout ne suffira probablement pas à prévenir une nouvelle crise financière.

Ces réformes ne risquent-elles pas d’avoir des effets contre-productifs ?

Là encore, les travaux récents incitent à penser le contraire. Ceux de la BRI démontrent clairement que les banques les plus capitalisées sont celles qui consacrent la plus grande part de leurs ressources au crédit et qui l’ont le moins restreint pendant la crise. Ceux du FMI contribuent à montrer que la relation entre finance et croissance est bien plus complexe qu’on ne le supposait jusqu’à la crise. Pour autant l’explication est simple : les arbres ne montent pas jusqu’au ciel.

Dit autrement, plus de finance ne produit pas plus de croissance à l’infini. Passé un certain seuil, s’il grossit trop, le secteur bancaire et financier porte préjudice à la croissance car il devient plus instable, les bulles qu’il engendre compromettant une fois qu’elles éclatent la croissance future. Son excès de développement, allant de pair avec des « sur-profits » et des « sur-salaires » (comparés à ceux des autres secteurs), peut aussi agir comme un aspirateur de talents, et ainsi déformer l’allocation des ressources au détriment des autres secteurs de l’économie.

Mais l’essor du shadow banking, n’est-il pas lié au renforcement de la réglementation bancaire ?

Le shadow banking, qui regroupe des opérations et des institutions financières proches des banques sans être encadrées comme les banques, s’est développé bien avant la crise. C’est même l’un des facteurs parmi d’autres de la crise financière de 2007. Et effectivement, les banques déversent une partie de leurs risques dans le shadow banking mais ce n’est pas une moindre réglementation bancaire qui résoudra le problème. Ce sont les liens entre banques et shadow banques que le régulateur doit chercher à défaire, pour que le shadow banking cesse d’être le déversoir des risques bancaires.

Bref, renforcer la régulation financière profiterait à la stabilité financière sans compromettre la croissance. C’est cependant une nouvelle phase de dérégulation financière qui semble s’amorcer, en Europe où la Commission européenne entend freiner les réformes bancaires comme aux États-Unis où Donald Trump est bien décidé à défaire les lois Dodd Frank. Même le candidat le plus résolu à resserrer la bride autour du secteur financier devra faire face, s’il est élu, aux vents contraires.

Entretien avec Jézabel Couppey-Soubeyran.

Pour aller plus loin :
J. Couppey-Soubeyran « Les réformes bancaires ont-elles été poussées trop loin ? », dans CEPII L’économie mondiale 2017, La Découverte, « Repères », Paris.
Espagne É. [2016], « Après la COP21, comment climatiser la finance », dans CEPII L’économie mondiale 2017, La Découverte, « Repères », Paris.
Finance Watch, « Comprendre la finance #4 : Capital bancaire, la résurrection d’un mythe ».
T. Grjebine et F. Tripier [2016], « Finance et croissance : le court terme aux dépens du long terme », La lettre du CEPII, n°364, avril.

The Conversation

Isabelle Bensidoun, Économiste, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale et Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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