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Priver les banques du pouvoir de création monétaire, un remède suisse et islandais contre les excès bancaires

Virginie Monvoisin, Grenoble École de Management (GEM)

La Banque Centrale Européenne à Francfort.

Tel le retour du refoulé, la crise des subprimes et ses nombreux soubresauts ont rappelé aux gouvernements la nécessité de réguler le monde de la finance et plus particulièrement le système bancaire. Oscillant entre le simple appel à la déontologie et une réelle volonté de réforme des banques, les propositions sont nombreuses (Bâle III, union bancaire en Europe, etc.).

La perte de confiance dans les banques

Pourtant, la « modeste » Islande et la « très financière » Suisse ont surpris par la radicalité de leur proposition : ces pays ont entamé une réflexion nationale depuis quelques mois sur le retrait du pouvoir de création monétaire des banques commerciales. Le virage à 180° est total. Il ne s’agit plus de s’appuyer sur la discipline de marché et l’autorégulation des banques, pilier de l’approche réglementaire des banques depuis Bâle I en 1988. Cela signifie au contraire combien les banques inspirent une totale absence de confiance. Elles ne sont plus les leviers des solutions à mettre en œuvre, elles sont identifiées comme les causes des problèmes à résoudre.

Le 31 mars 2015, le premier ministre islandais Frosti Sigurdjonsson (démissionnaire depuis l’affaire des « Panama papers » !)_se saisit d’un rapport parlementaire intitulé « A Better Monetary System for Iceland ». En Suisse, le 1e décembre 2015 est déposée l’initiative populaire « Pour une monnaie à l’abri des crises : émission monétaire uniquement par la Banque nationale ! » (Initiative Monnaie pleine). De quoi s’agit-il ? Pour l’essentiel, l’idée consiste à donner le monopole de tous les moyens de paiement à la Banque centrale (la Sedlabanki pour l’Islande, la Banque Nationale Suisse pour la Confédération).

Le déséquilibre monnaie fiduciaire – monnaie scripturale

Or, les systèmes bancaires contemporains fonctionnement de la façon suivante. D’une part, la Banque Centrale a le monopole de la monnaie dite légale (billets, pièces soit la monnaie fiduciaire) ; elle les crée, les gère, etc. D’autre part, les banques ont à leur charge les dépôts bancaires (soit la monnaie scripturale) dont les supports sont multiples (cartes bleues, chèques, virements, etc.) ; il leur appartient de créer, proposer et gérer ces instruments monétaires. Ce qui surprend souvent c’est l’apparent déséquilibre entre la monnaie fiduciaire et la monnaie scripturale.

Dans la plupart des économies avancées, seules les transactions de faibles montants se font encore en billets ou pièces et l’essentiel de nos paiements quotidiens se fait depuis longtemps sous forme de monnaie scripturale. Qui paie encore son loyer ou sa voiture en espèces ? En France, il circule plus de 900 milliards d’euros de billets… pour plus de 4 000 milliards sous forme de dépôts de court terme ! Si l’on ajoute les dépôts de long terme, le ratio s’effondre et tombe à 10 % de billets pour l’ensemble de la masse monétaire française.

Réformer la création monétaire

Ce que dénoncent alors les Islandais et les Suisses – et d’autres encore dans beaucoup de pays – c’est donc le pouvoir des banques sur la forme de monnaie la plus répandue. Ce pouvoir est un pouvoir de gestion et… de création. Retirer ce droit aux banques permettrait de se prémunir des crises monétaires et financières.

Trois types d’arguments sont avancés. Cela éviterait d’exposer la population à un désordre monétaire en cas de faillites bancaires ; rappelons que l’Islande a connu une période noire en 2008-2009 pendant lesquels ses banques ont été impliquées dans la récession du pays et ont frôlé la faillite totale du système. La création monétaire des banques générerait une taxation supplémentaire ; il est fait référence ici aux plans de sauvetage des banques par les pouvoirs publics. Enfin, si seule la Banque Centrale crée la monnaie, cette dernière redevient un outil d’expression populaire.

Finalement, cela rejoint un mouvement plus global. Les initiatives citoyennes en matière monétaire et financière se multiplient depuis quelques années entre monnaies locales, produits d’épargne éthiques, plateformes de crowdfunding. Le rejet du monde de la finance traditionnelle semble partager aussi bien par le grand public que par des autorités politiques !

Séparer activités monétaires et activités de marché

Malheureusement, cette réforme de la création monétaire comporte des faiblesses de raisonnement. Inutile d’aller jusque-là pour éviter les faillites bancaires et les plans de sauvetage coûteux. Les activités bancaires traditionnelles comme la création monétaire ne génèrent pas de crises en tant que telles. En revanche, c’est justement l’abandon de ces activités pour des activités de marché qui déstabilisent le système financier.

Séparer les activités monétaires des activités spéculatives suffirait à se préserver des risques de faillites, et donc de disparition de la monnaie scripturale, alors que les banques se mettent régulièrement en danger en spéculant sur les marchés financiers. C’est moins ambitieux et déjà difficile à mettre en place. Par ailleurs, la plupart des Banques Centrales sont indépendantes du pouvoir politique ; elles ne sont pas issues d’un processus démocratique, loin s’en faut, et par définition ne peuvent pas incarner une volonté populaire !

Enfin et surtout, la principale faiblesse de ces propositions concerne la réalité du pouvoir des banques et de la supposée dangerosité de la création monétaire. Elles ne créent pas de la monnaie par le simple fait de leur volonté, elles le font quand leurs clients leur demandent un crédit. Une fois l’octroi du prêt accordé, elles peuvent effectivement créditer le compte du client avec de la monnaie scripturale… Pas avant ! Cette création monétaire dépend donc des demandes de crédits et de la situation économique et non l’inverse.

Ceci dit, les propositions islandaise et suisse rappellent l’importance d’avoir un système de paiement stable et surtout, comme pour les autres initiatives financières alternatives, d’avoir une monnaie au service de l’économie. Le problème n’est pas tant la création monétaire. C’est avant tout le fait que les banques sont autorisées à intervenir massivement sur les marchés financiers. Peut-être que c’est ce dernier point qui devrait être interrogé : Remettre la finance à sa place, comme support de l’économie, consisterait déjà à prendre la mesure des activités spéculatives. Les activités de crédit, elles, sont à l’inverse des outils fondamentaux à tout projet économique.

The Conversation

Virginie Monvoisin, Associate professor, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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