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L’Écosse et l’Angleterre, des tourments de l’Histoire ravivés par le Brexit

Delphine Minchella, École de Management de Normandie

Le Brexit et ses suites immédiates ont donné l’occasion de voir que l’Écosse – qui a largement voté pour le « Remain » (62 %) en juin 2016 – n’était pas tant attachée à son union avec l’Angleterre qu’à sa présence au sein de l’Union européenne, comme le soulignait à chaud Alex Salmond, l’ancien Premier ministre écossais, en appelant son pays à transcender son actuelle dévolution et à se prononcer prochainement sur son indépendance vis-à-vis de l’Angleterre. Afin de comprendre le caractère visiblement fragile de cette union Écosse-Angleterre, opérons un retour sur sa construction qui, certes, date du début du dix-huitième siècle, mais qui a fréquemment été contestée côté écossais.

La France, l’alliée historique

Longtemps, l’histoire commune de l’Écosse et de l’Angleterre a été marquée par de nombreux conflits sanglants et des rancunes héréditaires. Historiquement, le véritable allié de l’Écosse est la France, comme en témoigne le traité de The Auld Alliance qui, dès le XIIIe siècle, garantissait que si l’un de ces deux pays était attaqué par leur ennemi commun, l’autre se devait d’intervenir.

Par ailleurs, et en dépit de leur proximité géographique, les Écossais n’étaient pas proches culturellement de leurs voisins anglais : ils ne parlaient pas la même langue, ne suivaient pas les mêmes modes d’organisation sociale, et n’avaient pas non plus subi aussi profondément l’influence de l’Empire romain qui marquera plus durablement l’Angleterre.

Une Union à contrecœur

The Auld Alliance.

Il faudra attendre que la dynastie régnante d’Angleterre, les Tudor, ne s’éteigne avec le décès de la Reine Élisabeth en 1603 pour qu’émerge l’idée d’un rapprochement entre les deux nations. Ne pouvant rester sans monarque (et pour éviter davantage d’instabilité politique), les Anglais reconnurent comme Roi d’Écosse, Jacques VI d’Écosse, un Stuart, comme leur propre monarque sous le nom de Jacques I d’Angleterre. Celui-ci épousa Marguerite Tudor, fille d’Henri VII, pour asseoir la légitimité de sa future descendance dans ces deux pays. Pour autant, l’Écosse et l’Angleterre restaient indépendantes l’une de l’autre.

Ce n’est en fait qu’un siècle plus tard – avec l’Acte d’Union de 1707 – qu’ils s’unirent politiquement en fusionnant leurs parlements : l’Angleterre rejetait son monarque, Jacques II, pour sa religion catholique, et rappelait sur le trône la branche d’Orange de confession protestante, tout en proposant aux Écossais d’en faire de même, et de lier leurs destins par ce traité d’union, supposé fournir à l’Écosse un accès privilégié aux nombreuses colonies anglaises.

Les parlementaires d’Édimbourg ne restèrent pas insensibles à la perspective de profiter de cette incroyable manne financière, quitte à sacrifier pour cela leur indépendance. Toutefois, ces bénéfices se faisant attendre, le peuple écossais se mis à douter du bien-fondé de l’Union – ils regrettaient leur indépendance et leur roi – à plus forte raison que les Stuart régnaient sur leur pays depuis 1371, et que cette remarquable longévité l’emportait sur d’éventuelles querelles de religion. Beaucoup étaient convaincus d’avoir été dupés par les Anglais et trahis par les puissants d’Édimbourg.

La colère des Écossais et les tentatives jacobites

Huit ans à peine après la ratification de l’Union, l’amertume des Écossais, notamment des Highlanders, s’était muée en colère. Ils n’oubliaient pas leur « King over the water », dont la descendance incarnait leur seul espoir de recouvrer, un jour, leur indépendance.

Sachant la cause des Stuart ainsi soutenue par un nombre considérable de chefs de clans (connus sous le nom de « Jacobite », du latin Jacobus signifiant Jacques), le fils du roi exilé débarqua en 1715 sur les côtes écossaises pour y mener une première tentative de reconquête des royaumes de ses ancêtres. Il entendait y lever une armée, mais jouant de malchance et manquant de charisme, son expédition tourna rapidement court.

Trente ans plupart, le mécontentement des Écossais – qui restait très vivace – permit à son propre fils, Charles Édouard Stuart, de réussir là où lui-même avait échoué, et en quelques semaines, Charles Édouard se retrouva à la tête d’une vaillante armée de milliers de volontaires.

Le prince Charles-Édouard, par John Pettie.

Ces soldats de fortune, qui n’aspiraient qu’à libérer leur pays de la domination anglaise, quitte à y laisser leur vie, étaient aussi braves qu’inexpérimentés, pourtant ils avançaient victorieux vers le sud, rassérénés par les gestes de soutien spontanés qu’ils trouvaient dans les villes qu’ils traversaient. Ils avancèrent ainsi jusqu’à Derby, jusqu’à ce que le roi d’Angleterre, prenant la pleine mesure de leur menace, ne décide de leur opposer une armée partiellement composée de mercenaires, avec à sa tête le Duc de Cumberland, dont les exactions lui valurent plus tard le surnom de « Butcher ».

Après des mois de marche vers le Sud, ces soldats jacobites – éreintés et conscients d’être traqués – remontèrent en toute hâte vers l’Écosse, et l’ultime bataille eut lieu en avril 1746, à Culloden Moor, qui demeure aujourd’hui encore un douloureux lieu de mémoire cher aux Écossais.

Le champ de bataille de Culloden.

A Culloden, le « Butcher » ne se contenta pas de massacrer les Jacobites, il prit également en chasse les survivants, remontant plus haut encore dans les Highlands, en pillant les villages qu’il trouvait sur son chemin.

Destruction et renaissance de l’identité écossaise

Mais pour le roi anglais, ce lourd tribut ne suffit pas. Il s’attacha à détruire l’identité même de l’Écosse. Ainsi, tout ce qui la constituait : le Gaélique, le système clanique, le port du tartan, et la cornemuse furent interdits sous peine de lourdes sanctions. Les terres des Highlands furent vidées de leur population, déportée de force outre-Atlantique. Le nom même d’Écosse fut prohibé : il fallait désormais parler de « North of Britain ».

Ces années de souffrance ont durablement marqué les esprits écossais, tant par leur aspect tragique que par les exemples de bravoure admirable du peuple écossais se battant pour sa liberté. Cela se retrouve particulièrement bien dans l’œuvre de Sir Walter Scott (1771-1832).

Aujourd’hui, il suffit de se promener dans quelque rue écossaise pour constater que l’Écosse reste profondément attachée à son histoire et à ses particularités. Et quoi de plus éloquent que son hymne national, « The Flower of Scotland », qui continue d’évoquer avec persistance cette chère indépendance passée qui pourrait bientôt être de nouveau d’actualité, entraînée par le récent Brexit.

Comme le déclarait la chef du Scottish National Party en janvier dernier, ne pas reconnaître la volonté écossaise de rester dans l’UE, c’est finalement comme « nier que l’Écosse est un partenaire à part entière, et que les fondations mêmes de la dévolution supposée protéger les intérêts écossais s’avèrent parfaitement inutiles ».

The Conversation

Delphine Minchella, Enseignant-chercheur en Management stratégique – Laboratoire Métis EM Normandie, École de Management de Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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