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Procès Tapie : les copains et les coquins

Bernard Tapie et cinq prévenus sont jugés durant quatre semaines pour « escroquerie » et « détournement de fonds publics » dans l’arbitrage qui a accordé 403 M€ à l’homme d’affaires. Retour sur un imbroglio politico-judiciaire.

Bernard Tapie en 2017 (capture Euro News)
Bernard Tapie en 2017 (capture Euro News)

Bernard Tapie, 76 ans, ancien patron de l’OM, aujourd’hui patron de presse, affaibli par la maladie, doit répondre à partir d’aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Paris « d’escroquerie » et de « détournements de fonds publics » dans cette vieille histoire d’arbitrage qui, en 2008, lui avait accordé 403 M€ dont 45 M€ pour le seul préjudice moral. Cet arbitrage devait solder le litige de l’affaire Adidas/Crédit Lyonnais.
Bernard Tapie sera accompagné de cinq autres prévenus.
D’abord, et c’est plutôt cocasse, son ancien avocat, Maurice Lantourne, 62 ans, à qui il est reproché d’avoir joué les intermédiaires avec l’un des trois juges-arbitres, Pierre Estoup, 92 ans, lui-même prévenu dans ce dossier. Cet ancien magistrat est poursuivi des mêmes chefs que les autres prévenus mais en outre il doit répondre de fausse déclaration pour n’avoir pas déclaré ses relations avec Bernard Tapie et son avocat.
Dans le box des prévenus, Stéphane Richard, 57 ans actuel patron d’Orange mais alors directeur de cabinet de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde [qui fut condamnée par la Cour de Justice de la République (CJR) mais dispensée de peine]. La justice lui reproche d’avoir caché à la ministre des informations sur ce dossier mais surtout d’avoir rédigé une fausse note ministérielle portant la signature de Christine Lagarde. Cette note a été rédigée avec Jean-François Rocchi, 63 ans, haut fonctionnaire nommé peu de temps avant président du Consortium de Réalisation (CDR), cette structure chargée de solder le passif du Crédit Lyonnais. Rocchi était un proche de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée sous Sarkozy. Il est soupçonné d’avoir imposé la solution de l’arbitre privé.
Enfin, Bernard Scemama, 76 ans, haut fonctionnaire, président de l’Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR) aurait favorisé Bernard Tapie dans ce dossier.

L’arbitre suspect de l’affaire Tapie

Avec Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin, Pierre Estoup fut l’un des trois juges du tribunal arbitral qui, le 7 juillet 2008, a condamné le CDR (consortium de réalisation) c’est-à-dire l’Etat, à verser 403 M€ à Bernard Tapie, dont 45 M€ de préjudice moral, pour solder le litige opposant l’homme d’affaires marseillais au Crédit Lyonnais dans la vente d’Adidas. Une vieille histoire remontant aux années 80 et 90.
Quelques semaines plus tard, Christine Lagarde, alors ministre des Finances, qui a elle-même lancé la procédure d’arbitrage contre l’avis des juristes de son ministère, ne s’oppose pas, curieusement, à la décision prise par les arbitres. Pire, elle refuse de faire appel de la décision comme le lui demandent instamment ses proches conseillers.
Une violente polémique agite alors la classe politique et la presse mettant en cause, notamment, l’impartialité de l’un des arbitres, en l’occurrence Pierre Estoup et le rôle que l’Elysée aurait pu jouer dans cette affaire.
Différents recours sont déposés. Une information judiciaire est finalement ouverte par le parquet de Paris en septembre 2012 pour « usage abusif de pouvoirs sociaux et recel ». Elle est confiée aux juges Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut du pôle financier. Les juges frappent vite et fort. Ils soupçonnent des ententes entre différentes personnalités. Plusieurs perquisitions sont effectués, en particulier au domicile des juges-arbitres, de Christine Lagarde mais aussi de Stéphane Richard, alors directeur de cabinet à Bercy, mais aussi de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée et, enfin, au bureau de Me Maurice Lantourne, avocat de Bernard Tapie.
Les enquêteurs découvrent alors que Pierre Estoup et Bernard Tapie se connaissent un peu plus qu’ils ne l’ont dit. Ils mettent la main sur un livre dédicacé en 1998 par l’homme d’affaires qui adresse au magistrat son « infinie reconnaissance… [et] toute son affection ».

« Escroquerie en bande organisée »

Les enquêteurs soupçonnent aussi des liens privilégiés et anciens entre Pierre Estoup et Maurice Lantourne. En effet, ils constatent que les deux hommes ont participé à neuf arbitrages communs et qu’ils ont évoqué, ensemble, l’arbitrage Tapie-Adidas dès 2006.
Pierre Estoup a derrière lui une longue carrière de magistrat. Originaire de Haute-Garonne, où il est né en 1926, il commence comme avocat au barreau de Toulouse. Il choisit la carrière judiciaire en 1952. Après un détour par l’Algérie, il est juge en 1959 au tribunal d’Hayange (Moselle) puis vice-président à Sarreguemines et Thionville, conseiller à la cour d’appel de Metz en 1973, président du TGI de Nancy en 1976, où il reviendra comme président en 1981 avant de terminer à la cour d’appel de Versailles entre 1984 et 1991. Depuis, il est magistrat honoraire.

Déclaration d’indépendance

L’ennui pour lui, c’est qu’il a signé une déclaration d’indépendance avant d’accepter d’être l’un des arbitres de l’affaire Tapie. Or, selon une information du Monde, l’ancien magistrat a été « consultant » entre 1997 et 2006 et 42% de ses honoraires provenaient de dossiers dans lesquels apparaissaient les avocats de Bernard Tapie.
En mai 2013 Pierre Estoup a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », comme Maurice Lantourne, Stéphane Richard et Bernard Tapie. L’ancien président du CDR, Jean-François Rocchi a été mis en examen pour « usage abusif de pouvoirs sociaux ».
Bernard Tapie et ses cinq co prévenus auront quatre semaines pour s’expliquer devant le tribunal correctionnel de Paris.

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