Yves Petit, Université de Lorraine
Le référendum sur le Brexit du 23 juin 2016 a plongé l’Union européenne (UE) en terre inconnue, avec la première application de l’article 50 du TUE. La notification du retrait du Royaume-Uni au Conseil européen prévue par cet article a tardé, et n’est intervenue que le 29 mars 2017. Cette date est cependant capitale, car l’UE avait pris soin de préciser qu’il n’y aurait pas de négociation de retrait de l’UE et d’Euratom avant cette notification. La négociation a donc fini par débuter… le 19 juin 2017. Soit presque un an après le référendum !
Le Royaume-Uni a oscillé en effet entre atermoiements et procrastination, sans avoir réellement pris (ou voulu prendre) la mesure de la complexité de la négociation de sortie de l’UE. Après le pari électoral raté du 8 juin 2017 de la première ministre Theresa May, le gouvernement britannique se trouve en position de faiblesse. Ce désavantage est accentué par sa précarité, car il apparaît comme étant en sursis.
De surcroît, cette faiblesse risque d’être préjudiciable aux discussions portant sur l’accord de retrait. Afin de mettre en œuvre sans perdre de temps le retrait britannique, et d’éviter que les discussions s’enlisent, l’article 50 a prévu l’adoption d’orientations du Conseil européen, afin de donner un cadre juridique à la négociation. Elle sera régie par une série de principes fondamentaux, interviendra par étapes et, selon toute vraisemblance, dans un calendrier serré.
Un cadre de négociation sui generis
Le cadre de négociation du Brexit a fait l’objet de plusieurs documents capitaux. Lors de leur réunion informelle du 15 décembre 2016, les dirigeants des 27 ont arrêté des « modalités de procédure » applicables aux négociations de retrait.
Puis, conformément à l’article 50, le Conseil européen a adopté, le 29 avril 2017, des « Orientations », et le Conseil de l’Union du 15 mai 2017 une décision autorisant l’ouverture des négociations avec le Royaume-Uni. Elle comporte en annexe des « Directives de négociation », qui établissent les modalités détaillées de l’accord de retrait et régissent les relations entre le Conseil et les instances préparatoires, d’une part, et le négociateur de l’Union, d’autre part. Enfin, présidé par le Secrétaire général du Conseil, un groupe de travail ad hoc sur l’article 50 a été mis en place le 15 mai également.
Les orientations du Conseil européen ont été adoptées à l’unanimité et en moins de quatre minutes. Ce court laps de temps symbolise l’unité des 27 États membres, et équivaut à la réaffirmation de l’indivisibilité du marché unique et du rôle de la Cour de justice. Les négociations sont menées à la lumière des orientations du Conseil européen et conformément aux directives de négociation. Les unes et les autres confèrent à la Commission européenne la qualité de négociateur de l’UE, avec à sa tête Michel Barnier, qui dispose ainsi du mandat juridique et politique pour négocier avec le Royaume-Uni au nom de l’Union. Le Conseil, assisté du groupe de travail, veillera au respect des orientations et des directives de négociation. Ils fourniront des indications au négociateur de l’UE.
Trois principes, très caractéristiques du système institutionnel de l’UE, ont vocation à s’appliquer à la négociation. Les deux premiers – le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4-3 TUE et le principe de l’équilibre institutionnel – sont complémentaires. Ils se justifient par le fait que, jusqu’à sa sortie, le Royaume-Uni demeure un État membre à part entière de l’UE. Il doit ainsi se montrer loyal aux intérêts de l’UE durant la période où il en est membre. Les activités en cours de l’Union doivent se poursuivre de manière aussi harmonieuse que possible. De même, les négociations de retrait doivent être menées dans le cadre d’un dialogue permanent entre Albion, le Conseil et le groupe de travail.
Le troisième est le principe de transparence, le Conseil ayant adopté le 22 mai 2017 des « Principes directeurs » en la matière. En effet, selon l’article 15-3 TFUE, chaque institution, organe ou organisme de l’UE doit assurer la transparence de ses travaux, Michel Barnier n’ayant pas hésité à déclarer que les négociations relatives au Brexit étaient sans précédent, et appelaient à cet égard une transparence exemplaire. Les ordres du jour de cycles de négociation, les prises de position de l’UE, les documents informels, ainsi que les propositions de textes de l’UE (liste non exhaustive) seront mis à la disposition du public et publiés. Le Royaume-Uni a accepté cette méthode de travail et les prochains « negociating rounds » sont prévus les 17 juillet, 28 août, 18 septembre et 9 octobre 2017.
Une négociation régie par des principes fondamentaux
Les orientations du Conseil européen du 29 avril 2017 ont fixé une série de principes qualifiés de « fondamentaux » pour assurer le bon déroulement de la négociation de l’accord de retrait, ainsi que des discussions relatives au cadre des relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni. L’UE abordera les négociations en se fondant sur ces orientations et sur des positions unifiées, sachant que des négociations séparées entre un État membre et le Royaume-Uni sont impossibles.
Ces principes « fondamentaux » sont au nombre de six :
- Tout accord de retrait devra reposer sur un équilibre entre droits et obligations, et assurer des conditions équitables ;
- L’accord de retrait devra préserver l’intégrité du marché unique, ce qui exclut une participation du Royaume-Uni secteur par secteur ;
- La participation au marché unique implique l’acceptation des quatre libertés (marchandises, personnes, services et capitaux) qui en sont à la base et sont indissociables – ce que le Royaume-Uni a admis ;
- Retiré de l’UE, le Royaume-Uni sera un État tiers. Devenu un État non membre, qui n’a pas à respecter les mêmes obligations qu’un membre, il ne pourra avoir les mêmes droits et bénéficier des mêmes avantages que celui-ci ;
- L’accord devra respecter l’autonomie de l’UE et son ordre juridique, ce qui comprend le processus décisionnel et le rôle de la Cour de justice (à propos duquel les Britanniques sont très critiques) ;
- Les négociations de retrait seront menées dans la transparence et comme un tout. Comme il n’y aura d’accord sur rien tant qu’il n’y aura pas d’accord sur tout, les questions relatives au retrait ne peuvent pas être réglées séparément.
Une négociation par étapes
Dans ses orientations, le Conseil européen exige « une approche par étapes, la priorité étant donnée à un retrait ordonné ». La négociation s’opérera par conséquent en deux étapes, le Royaume-Uni n’étant pas très favorable à ce séquençage – non négociable cependant –, qui a pour but d’utiliser de manière optimale le délai limité de deux ans qu’impose l’article 50 pour conclure l’accord de retrait.
La première étape va accorder la priorité aux questions qui sont strictement nécessaires à un retrait ordonné du Royaume-Uni : apporter clarté et sécurité juridique aux citoyens, aux entreprises et aux partenaires internationaux de l’UE eu égard aux effets du retrait ; régler l’épineuse question du règlement financier unique, afin de « solder les comptes » entre l’UE et le Royaume-Uni. Parmi les autres sujets cruciaux, le cadre de la négociation évoque la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, les zones de souveraineté du Royaume-Uni à Chypre, l’avenir de Gibraltar, le transfert de l’Autorité bancaire européenne et de l’Agence européenne du médicament, ayant leur siège à Londres.
Au-delà de ces aspects techniques, la seconde étape découle d’une précision capitale stipulée par l’article 50 : l’accord de retrait doit être conclu en tenant compte du cadre des relations futures du Royaume-Uni avec l’Union. Le Royaume-Uni, qui souhaite établir un partenariat étroit (« deep and special partnership ») avec l’UE après son retrait, préfère ainsi une négociation concomitante des deux accords : l’accord de retrait et l’accord sur sa nouvelle relation avec l’Union, une fois devenu un État tiers.
Les discussions préliminaires relatives au cadre des relations futures – qui reposera vraisemblablement sur un accord de libre-échange complété par des accords de coopération dans plusieurs domaines (sécurité, défense, politique étrangère, lutte contre le terrorisme) – ne pourront débuter que si le Conseil européen constate l’existence de progrès suffisants. Une décision sera prise en octobre 2017 pour leur lancement.
Compte à rebours et calendrier serré
L’Union est par conséquent parée pour une négociation qui doit assurer la finalisation d’un accord de retrait d’ici l’automne 2018. Le calendrier à suivre est relativement contraint, en raison notamment du délai de deux ans prévu à l’article 50. Il doit permettre de parvenir à un retrait ordonné, d’éviter toute contagion, et justifie la ligne de conduite stricte retenue par le négociateur en chef Michel Barnier.
L’approbation de l’accord de retrait par le Parlement européen est censée intervenir au plus tard en février 2019. Cette institution devra également régler avant les élections européennes prévues fin mai 2019 la question des 73 sièges laissés vacants par les députés britanniques. Il n’est pas question d’en élire de nouveaux pour la future législature.
En principe, le Royaume-Uni n’appartiendra plus à l’UE à partir du 29 mars 2019. Cette hypothèse n’est cependant pas la seule plausible. En l’absence d’accord, le « cliff » (la « falaise »), comme l’appellent les Britanniques, risque fort de s’apparenter à un saut dans le vide. Toutefois, les partisans d’un « soft » Brexit – avec à leur tête le Chancelier de l’Échiquier Philip Hammond – préservant mieux les intérêts économiques britanniques poussent vers une période de transition d’une durée de quatre ans, durant laquelle le Royaume-Uni resterait membre de l’union douanière.
Enfin, une dernière incertitude pèse sur la date de sortie, car l’accord de retrait négocié conformément à l’article 218-3 TFUE est susceptible de faire l’objet d’une demande d’avis à la Cour de justice en application du paragraphe 11 du même article. Le temps que la Cour le rende retarderait de deux, voire trois ans, le retrait du Royaume-Uni. Le Brexit pourra alors être « soft » ou « hard », mais en aucun cas « quick » !
En définitive, nul ne sait vraiment quand le compte à rebours atteindra le zéro du départ.
Yves Petit, Professeur de droit public, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.