Atelier « Dessine moi un visage ».
Lou Viger
Evelyne Heyer, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités et Carole Reynaud-Paligot, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC
Qu’est-ce que le racisme ? Pourquoi se manifeste-t-il ? Tous les hommes sont-ils racistes ? Ces questions constituent un défi majeur pour les chercheurs. Ces dernières années, la psychologie sociale, la génétique, les sciences humaines et sociales ont largement investi les questions relatives à l’altérité et au racisme mais ces analyses ont été peu diffusées dans l’espace public. De plus, elles sont restées pour la plupart fragmentées, spécialisées dans des domaines très pointus. Dans la continuité de la Galerie de l’Homme, l’une d’entre nous (Evelyne Heyer) a proposé ce thème pour la première grande exposition temporaire du Musée de l’homme : Nous et les autres : des préjugés au racisme.
L’exposition entend, à partir de ces enquêtes, proposer une analyse cohérente et globale des phénomènes de « racialisation » et de racisme. En mettant l’accent non seulement sur les faits, déjà bien connus, mais sur la construction de ces phénomènes, l’exposition propose une analyse originale.
À l’issue de la réflexion menée dans le cadre de cette exposition, nous proposons la définition suivante :
« Le racisme consiste à considérer les différences entre individus qu’elles soient physiques ou culturelles comme héréditaires, immuables et “naturelles” ; il établit une hiérarchie entre des catégories d’êtres humains. Il peut se traduire par des sentiments, par des actes allant de la discrimination jusqu’à l’extermination de l’autre. »
Notre définition s’appuie ainsi sur trois notions-clés : la catégorisation, la hiérarchisation et l’essentialisation.
Catégorisation
La catégorisation désigne un processus naturel, une activité cognitive normale du cerveau humain. On sait classer une chaise dans la catégorie « chaise » que celle-ci soit en bois, en verre, à haut dossier ; on met en avant les caractères communs aux éléments de la catégorie « chaise » et on en occulte la variabilité dans la catégorie créée.
La psychologie sociale enseigne que l’on procède de même pour ordonner la diversité des humains : on élabore des catégories. Mais s’il est naturel de catégoriser la diversité du monde qui nous entoure, les catégories que l’on choisit pour « classer » les êtres humains ne sont pas naturelles, elles sont fortement influencées par la société qui nous entoure. On peut donc dire qu’elle dépende de l’époque, du contexte dans lequel on vit.
Dans l’exposition, des dispositifs inédits ont été conçus pour amener le visiteur à prendre conscience de cette activité cognitive fondamentale. La catégorisation peut ainsi entrer en contradiction avec un autre mécanisme fondamental, celui de la construction de l’identité d’un individu. En effet, l’identité d’un individu n’est pas monolithique, elle se construit à partir d’une pluralité d’éléments identitaires. L’individu doit pouvoir choisit lui-même les éléments de son identité qu’il souhaite mettre en avant. Ainsi, tout individu ne peut être réduit à son origine, à sa religion ou encore à sa nationalité, ces éléments sont des composants de l’identité que l’individu est libre ou non de valoriser.
Hiérarchisation
Le deuxième élément propre au racisme est la hiérarchisation. La science biologique a coutume de produire des catégories en fonction de certains critères neutres : la catégorisation n’implique alors pas une hiérarchisation. Or, dans l’histoire, catégorisation et hiérarchisation sont allées souvent de pair. On a créé ou activé des catégories dans un but de domination. Les études de psychologie sociale soulignent une tendance naturelle à favoriser son groupe, son « endogroupe ». La conception même des deux catégories « nous » et « les autres » sous-tend une propension à privilégier son groupe et par conséquent à établir des hiérarchies.
Essentialisation
La troisième composante du racisme réside dans l’essentialisation. L’identité d’un individu est alors conçue comme une « essence » et réduite aux attributs de sa catégorie que l’on pense comme immuables : l’individu est intrinsèquement lié à ses qualificatifs. Ceux-ci se transmettent de génération en génération. La règle de la goutte de sang noir aux États-Unis déterminant l’ascendance noire est exemplaire : tout descendant d’individu catégorisé noir est considéré noir. C’est donc plus l’origine que la couleur qui prime. L’idée selon laquelle les Roms ont été, sont et seront toujours des nomades, alors qu’ils sont majoritairement sédentarisés depuis plusieurs générations, relève tout autant d’une essentialisation, cette fois-ci de la culture. L’essentialisation fige les catégories.
L’exposition revisite ensuite les racismes institutionnalisés en se centrant sur les mécanismes qui ont conduit des sociétés à faire une lecture raciale des identités. À un moment où l’idée de race a paru comme la clé d’explication des phénomènes sociaux, des racismes institutionnalisés se sont installés. Quels contextes ont favorisé ces situations ? Quels en ont été les acteurs ? Les mobiles ? Quels ont été les enjeux économiques et politiques ? Y a-t-il une similitude dans les processus qui ont mené à l’établissement de ces régimes institutionnalisés ? L’exposition tente d’y répondre à travers quatre exemples (la colonisation française, la ségrégation aux États-Unis, Le Nazisme, le Rwanda). Ces exemples montrent que deux vecteurs principaux ont favorisé les situations de racisme institutionnalisé : le colonialisme et le nationalisme.
Sentiments, pratiques et violences racistes
Comprendre, tel est donc le parti pris de l’exposition. Car comprendre notre passé doit permettre au citoyen d’aujourd’hui de décrypter plus aisément les enjeux de la société dans laquelle il vit. Aujourd’hui, les citoyens et les chercheurs doivent faire face à un autre défi. Alors que les États et les organismes internationaux manifestent depuis plusieurs décennies la volonté de lutter contre ces phénomènes, les sociétés sont encore confrontées à des pratiques ségrégationnistes, discriminatoires, ainsi qu’à des sentiments et à des violences racistes. Ces phénomènes donnent lieu à des analyses parfois divergentes, parfois complémentaires. Nous avons tenté, dans les contraintes du format d’une exposition, d’en rendre compte.
Différentes enquêtes nous permettent de constater les dynamiques de l’intégration dans la France d’aujourd’hui mais aussi les discriminations. Alors que 93 % des enfants d’immigrés se sentent Français, 24 % d’entre eux ne se sentent pas perçus comme tels. On constate également une fluidité des relations sociales : réseaux amicaux et mariages ont bien souvent lieu à l’extérieur de la communauté d’origine. La fécondité des descendants d’immigrés ressemble à celle de la population majoritaire. Cependant, les enquêtes sur les discriminations à l’embauche montrent par exemple qu’à compétences identiques, le candidat portant un nom à consonance « maghrébine » est désavantagé par rapport au candidat portant un nom à consonance « hexagonale ».
Bien que la tolérance augmente continuellement depuis plusieurs dizaines d’années, la Commission consultative des droits de l’Homme (CNCDH) signale deux faits majeurs ces dernières années : une attitude d’hostilité systématique envers les Roms et les personnes perçues comme telles qui peut aller jusqu’à une forme d’animalisation, de refus de leur reconnaître un caractère humain et digne. Depuis 2013, la CNCDH définit l’islamophobie comme une attitude d’hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou l’islam. Elle constate que les attitudes à l’égard des musulmans ne sont pas la simple traduction des préjugés à l’égard des Maghrébins. La religion ainsi que les personnes qui la pratiquent font l’objet d’une hostilité.
Paradoxes génétiques
L’exposition fait aussi le point sur la génétique, en expliquant certains paradoxes : les données sur la diversité génétique de notre espèce démontrent formellement que celle-ci ne peut pas être décrite en termes de race : il existe trop peu de différence génétique entre les populations humaines. Comment alors expliquer les différentes couleurs de peau ? Pourquoi alors que les différences génétiques entre les populations humaines sont faibles, il est néanmoins possible de construire des groupes de proximité génétique ? Que la génétique peut-elle dire ou ne pas dire sur ce qu’est un individu ?
Donner à éprouver et comprendre les mécanismes propres au racisme devrait contribuer, selon nous, à l’éradiquer ou tout au moins à le diminuer sans pour autant nier les différences individuelles. Ainsi, il serait possible de vivre dans une société qui aurait pour slogan : l’égalité dans la diversité !
Evelyne Heyer, Professeur en anthropologie génétique, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités et Carole Reynaud-Paligot, Historienne, Paris 1, Maison des Sciences de l’Homme-Paris-Nord , Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.