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Débauche sexuelle à la française : les origines du mythe

Una McIlvenna, University of Kent

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Sculpture (Pixabay.com)

Snog, pash, Zungenkuss… Chaque langue a son mot pour désigner ce que les anglophones appellent « French kiss », ou baiser avec la langue. Mais pourquoi associe-t-on ce contact intime aux Français ? Et pourquoi leur confère-t-on la réputation – du moins dans les cultures anglo-saxonnes – d’être décomplexés et audacieux sur le plan sexuel ?

Quiconque a regardé Versailles, la série de la BBC2, aura appris que la fameuse cour du Roi Soleil était le théâtre quotidien de parties fines, de stratégies de séduction, de sexe… et d’encore plus de sexe. Le succès à la cour française, semble-t-il, supposait d’avoir autant d’ambition que d’appétit pour les pratiques sexuelles scandaleuses – pour l’époque. Mais les courtisans français étaient-ils plus aventureux, sexuellement parlant, que n’importe qui ? Sinon, d’où vient ce stéréotype d’une cour française dépravée et dangereuse ?

Bande-annonce de la saison 1 de « Versailles ».

La personnalité qui incarne le plus les déviances et sournoiseries de la cour est sans doute la – tristement célèbre – reine Marie-Antoinette. Connue pour sa déclaration présumée « qu’ils mangent de la brioche », l’épouse de Louis XVI a été assassinée sans état d’âme par les révolutionnaires sanguinaires, qui l’accusaient dans d’innombrables écrits, gravures et chansons diffamatoires – en plus d’avoir trahi la France auprès de son ennemie l’Autriche, pays où elle est née – d’avoir organisé des orgies à Versailles, des rendez-vous lesbiens avec ses dames d’honneur, et même d’avoir commis l’inceste avec son propre fils.

Marie-Antoinette a subi tant d’accusations que l’Université de Stanford a consacré toute une section de ses Archives digitales de la Révolution française aux atteintes à la vie privée de la reine. Certains historiens soutiennent que ces incriminations calomnieuses ont contribué à une « désacralisation pornographique de la monarchie », cause directe de l’exécution du couple royal.

Kirsten Dunst joue Marie-Antoinette dans le film éponyme de 2006.
Mary Alice/Flickr, CC BY-NC-ND

Ce genre d’insinuations sur les courtisanes françaises sont en fait apparues 200 ans plus tôt. Nous retrouvons les mêmes motifs de perversion sexuelle au XVIe siècle pour attaquer les dames de compagnie de la reine-mère Catherine de Médicis, régente de France pendant les guerres de religion. Alors que le royaume sombrait dans la guerre civile entre les catholiques et les huguenots, Catherine essaya de trouver un terrain d’entente. Mais ses efforts entraînèrent l’effet inverse : chaque tentative d’apaiser une partie du conflit provoquait l’autre, et les deux côtés dénoncèrent son incapacité à restaurer la paix. Elle fut dès lors dépeinte comme une conspiratrice ambitieuse, indigne de confiance et machiavélique – par malheur pour elle en effet, Machiavel avait dédicacé son traité, Le Prince, à son père Laurent II de Médicis.

Catherine de Médicis : pas vraiment l’incarnation d’une cour française débridée.

La prochaine étape, logiquement, consistait à l’accuser de dépravation sexuelle. Mais depuis le décès prématuré de son mari – le roi Henri II, mort en 1559 –, Catherine portait toujours des vêtements de deuil noirs, pas vraiment de quoi renvoyer d’elle l’image d’une « veuve lascive ». Ses détracteurs ont donc visé ses servantes en accusant la régente de tenir un harem de belles jeunes femmes dont elle se servait pour séduire les gentilshommes influents. Ce mythe de « l’escadron volant » – l’équipe de choc des pions sexuels de la reine – n’est rien d’autre qu’un fantasme d’homme hétérosexuel, réduisant les négociations sans relâche de Catherine aux actes d’une femme puissante qui utilisait « le sexe comme une arme ».

Cette idée est aussi ancienne que la littérature elle-même : la Renaissance, qui connut le « renouveau » des idéaux et doctrines de l’Antiquité, raviva aussi les travaux misogynes d’écrivains comme Juvénal, dont la Satire VI prétendait que les femmes étaient si folles de désir que tous les hommes mariés se faisaient inévitablement cocufier.

Une importation de l’étranger ?

L’ironie dans cette histoire, c’est que les Français du début de l’époque moderne ne se seraient jamais considérés eux-mêmes comme des assoiffés de sexe. Ils auraient plutôt désigné les Italiens, que l’on croyait être les importateurs – via la famille de Catherine de Médicis – de tous types de pratiques et d’appétit sexuels déviants.

Les Français étaient ainsi persuadés que la sodomie venait d’Italie, et alors que la syphilis était surnommée « French pox » dans beaucoup de pays, eux pensaient qu’elle avait été contractée par des soldats lors des guerres d’Italie. Ronsard, le plus célèbre poète français de la Renaissance, a écrit des poèmes obscènes sur le fils de Catherine – le roi Henri III –, le décrivant comme un sodomite pédéraste qui entretenait des relations homosexuelles avec des garçons. L’artiste affirmait que ce penchant était dû aux origines florentines de sa mère. Donc, si Florence a été le berceau de la Renaissance, elle a aussi donné son nom au terme français désignant le baiser avec la langue, qu’évoquait Apollinaire en 1913 :

Amour vos baisers florentins
Avaient une saveur amère
Qui a rebuté nos destins

Si les Français pensaient que les Italiens étaient les vrais romantiques enflammés, que pouvons-nous déduire des récits comme ceux de Versailles ? La vérité, c’est qu’aucune nation ou culture ne peut prétendre à une plus grande tendance vers des pratiques sexuelles scandaleuses que toute autre culture – bien que les Français semblent avoir fait les frais de cette fausse idée reçue.

Chaque pays perpétue des mythes sur ses plus proches ennemis, des légendes qui n’ont souvent aucune base dans la réalité et qui proviennent d’ailleurs (je me rappelle avoir ri quand des amis anglais m’ont informé du « fait » que les Allemands avaient tendance à monopoliser les bains de soleil en vacances en Méditerranée – aucune autre culture ne partage cette croyance, au passage). La façon dont nous menons notre vie sexuelle est un choix privé et individuel, et ni l’apparence, l’accent ou l’origine d’une personne ne saurait être un moyen fiable de savoir ce qu’elle se plaît à faire dans l’intimité.

Traduit de l’anglais par Diane Frances.

The Conversation

Una McIlvenna, Lecturer in Early Modern Literature, University of Kent

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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