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Aller mieux dans sa tête : voir les « psys »… et les autres ?

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Le grand public continue de recourir aux soins des coupeurs de feu et autres guérisseurs traditionnels français.
ColiN00B/Pixabay

Deborah Kessler Bilthauer, Université de Lorraine et Renaud Evrard, Université de Lorraine

C’est une charge lourde contre les médecines alternatives, qualifiées de « fake » médecines. 124 professionnels de santé viennent de signer, le 19 mars, une tribune publiée dans Le Figaro sous le titre « Comment faire face à la montée des “fake médecines” ? » Les sept auteurs, tous médecins, écrivent notamment :

« Face à des pratiques de plus en plus nombreuses et ésotériques, et à la défiance grandissante du public vis-à-vis de la médecine scientifique, nous nous devions de réagir avec force et vigueur […]. Les thérapies dites “alternatives” sont inefficaces au-delà de l’effet placebo et n’en sont pas moins dangereuses. »

Cette prise de position montre la volonté, dans notre pays, de tracer une frontière nette entre acteurs légitimes et illégitimes dans la santé, y compris dans la santé mentale…

Pourtant, la très récente reconnaissance du tout dernier « miracle de Lourdes » par l’Église catholique le prouve : il y a toujours de la place dans nos contrées pour le « surnaturel » ou du moins, pour des formes de thérapies non conventionnelles.

Cependant, l’abondante littérature sociologique et anthropologique consacrée à la santé et la maladie traite beaucoup de la santé physique au détriment de la santé mentale qui est alors, lorsqu’elle est évoquée, abordée de façon périphérique ou aérienne. Dans notre ouvrage Sur le divan des guérisseurs… et des autres. À quels soins se vouer ? (Éditions des archives contemporaines, 2018) nous tentons de combler cette lacune, mais ce n’est pas la seule zone d’ombre qui nous a intéressée.

Longtemps établie comme relevant de la psychiatrie, la santé mentale s’est progressivement transformée depuis les années 1970 pour se constituer en valeur, en capital à préserver, conserver et soigner. Le stress, le burn-out, la dépression, l’hyperactivité, les troubles alimentaires et tous les autres syndromes et manies qui sont dits caractéristiques de nos sociétés révèlent que le concept de santé mentale est souvent vu sous son versant négatif, pathologique.

En Suisse, les guérisseurs font un tabac, 2013.

Mais il y a depuis toujours tout un marché pour « aller mieux » qui vient contourner les diagnostics stigmatisants et les traitements allopathiques réputés pour leurs effets secondaires. Ainsi, Françoise, pourtant accompagnée en pédopsychiatrie pour les troubles du comportement de son fils Marius, s’est rendu chez un passeur d’âmes auquel elle attribue la levée des symptômes grâce à son rituel, à distance, pour écarter les trois âmes qui le tourmentaient. Les patients se pressent pour faire leurs choix, sans suivre toujours les recommandations des autorités, la curiosité et le désir de guérir faisant souvent force de loi !

Guerre des psys

La littérature sur la santé mentale dans nos sociétés contemporaines fait la part belle à la « guerre des psys », c’est-à-dire aux conflits et controverses entre psychiatres, psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes.

Quelle place est laissée à ceux qui soignent sans revendiquer l’un ou l’autre de ces titres ? La santé mentale n’est, en vérité, aucunement la juridiction du « psy » : y cohabitent aussi beaucoup de praticiens qui ne jouent pas de ce préfixe.

Pour les connaître, il faut souvent porter le regard au lointain, sous les contrées exotiques, ou dans des situations extrêmement marginales. On a l’impression de mieux saisir les rituels des différents sorciers africains que le maillage territorial de nos guérisseurs locaux. Les observatoires de santé auraient-ils une tache aveugle ? Comment se fait-il que l’on n’en sache pas davantage sur la façon dont les gens soignent leur santé mentale « hors des clous » ?

Dans la société actuelle, se soigner consiste à faire des choix dans un marché concurrentiel et contrasté en pleine expansion. Les nombreux dispositifs de soins rivalisent d’ingéniosité pour promouvoir des soins plus efficaces, plus authentiques, plus holistiques, plus confortables, plus naturels, plus scientifiquement prouvés, etc. D’où des itinéraires de soins sinueux ou en pointillés qui passent d’une offre à une autre, en cumulent plusieurs plus ou moins compatibles, et privilégient l’adhésion à la contrainte.

Un des comportements les plus massifs et les plus intrigants sur le plan scientifique est le « pluralisme médical », autrement appelé « pluralisme thérapeutique », qui consiste pour des personnes cherchant à se faire soigner à s’appuyer à la fois sur les dispositifs conventionnels et sur les dispositifs alternatifs.

Les guérisseurs, mais également les voyants, désensorceleurs, passeurs d’âmes et autres chamanes viennent enrichir l’offre de soin actuelle.

8ᵉ congrès du chamanisme, santé naturelle.

Aux États-Unis, plus d’un tiers des adultes utilisent ces médecines non-conventionnelles, mais les chiffres manquent pour la France et, plus précisément, pour le recours pour des troubles mentaux légers ou graves. Loin de s’effacer dans le même temps où s’accroissent les connaissances médicales communes, ce comportement persiste et semble aujourd’hui constituer une norme.

Les psys et les autres

Pourquoi « voir un psy » n’est-il qu’une option parmi d’autres en santé mentale ? Dans sa brillante analyse de l’actualité de l’offre thérapeutique en matière de santé mentale en France, l’anthropologue Samuel Lézé considère quatre principaux acteurs : les psychanalystes, les psychothérapeutes, les psychologues et les psychiatres.

Quid des offres alternatives ? Une telle façon de dresser le décor actuel illustre l’opération en amont d’un travail de « frontiérisation » entre les acteurs légitimes et illégitimes de la santé mentale. Car le leitmotiv des législateurs est de démarquer les bonnes pratiques de celles qui sont dites « charlatanesques » et de protéger le public des multiples dangers qui leur sont associés (dérives sectaires, abus de faiblesse, escroquerie, etc.).

Le fond de vérité de cette entreprise de dénonciation et de frontiérisation ne doit pas masquer le fait que aucune description du marché de la santé mentale ne peut prétendre à la neutralité. Ainsi, ce marché montre une importante mobilité avec des pratiques autrefois considérées comme charlatanesques, à l’image de l’hypnose, qui pénètrent, sous certaines formes, dans les soins recommandés ; et d’autres, comme la psychanalyse, de moins en moins tolérées dans l’establishment médical, scientifique et politique, comme c’est le cas dans la prise en charge de l’autisme.

Un marché en pleine mutation

Le marché de la santé mentale apparaît en pleine mutation, avec une volonté de frontiérisation accrue poussée par des logiques médicales et sécuritaires, mais sans véritable compréhension des choix opérés par les patients. Lorsque des individus tout-venant ont recours à des guérisseurs-désenvoûteurs au beau milieu d’une métropole, à quoi cela nous avance-t-il de les qualifier de charlatans ? Il semble plus intéressant de comprendre les stratégies de santé qui peuvent conduire à les consulter en première ou dernière intention, à partir de problèmes de peau, de troubles de la fertilité, d’effets secondaires d’autres traitements, de burnout ou encore d’infortune… Le pluralisme thérapeutique en santé mentale interroge justement cette réalité des parcours de soin actuels qui transgressent les discours sur les bonnes pratiques et les choix rationnels dictés par les autorités scientifiques et politiques.


The ConversationCe travail s’inscrit dans le projet Altermental, « Parcours de soins des patients-usagers de santé mentale entre dispositifs conventionnels et alternatifs en Lorraine », soutenu par le CPER-Ariane. Rendez-vous le 7 juin 2018 au Campus lettres et sciences humaines de Nancy, pour une journée d’étude intitulée « À quels soins se vouer ? Santé mentale et dispositifs alternatifs ». Nous y réunirons dans un dialogue pluridisciplinaire, anthropologues, cliniciens et membres de la société civile (entrée libre et gratuite).

Deborah Kessler Bilthauer, Ethnologue, Université de Lorraine et Renaud Evrard, Maître de conférences en psychologie, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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