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Sept idées fausses sur la physique quantique

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Héloïse Chochois, « Infiltrée chez les physiciens », coll. « La physique autrement », Author provided

Julien Bobroff, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

Depuis de nombreuses années, je vulgarise la physique quantique, mon domaine de recherche. La « quantique » fascine le grand public. Elle intimide aussi. Les vulgarisateurs en jouent d’ailleurs parfois. Les couvertures de revues et de livres exploitent souvent son côté mystérieux : « L’ultime secret de la physique quantique enfin dévoilé », « La vie serait quantique ! », « On pense tous quantique »… Tout cela n’est pas sans conséquence. De nombreuses fausses idées se propagent sur ce domaine de la physique. Je vous en propose sept parmi celles que j’entends le plus souvent, sept idées qui entretiennent des mythes mais ne résistent pas à l’épreuve des faits.

Rassurez-vous, pas besoin de s’y connaître en physique quantique pour lire ce qui suit, puisque je vous dirai plutôt ce que la quantique… n’est pas !

1. « La quantique, c’est le monde de l’incertitude »

C’est faux ! La physique quantique est actuellement probablement la discipline scientifique la plus précise que l’humanité ait jamais conçue. Elle est capable de prévoir certaines propriétés avec une précision de 10 chiffres après la virgule, ensuite vérifiée par l’expérience précisément ! C’est le cas par exemple des mesures de constante de structure fine, ou d’effet Hall quantique. À titre de comparaison, cela reviendrait à être capable, lors d’une épreuve de saut en longueur, de prévoir en observant juste la course et l’élan d’un athlète où il va atterrir au milliardième de mètre près !

Le principe d’incertitude.
Margaux Khalil, Janet Rafner, coll., _La physique autrement_, Author provided

Cette fausse idée vient entre autres du « principe d’incertitude » d’Heisenberg, une notion souvent mal vulgarisée qui laisse penser à tort que la quantique n’est pas précise. Ce principe, qu’Heisenberg lui-même préférait appeler « principe d’indétermination », montre qu’il existe une limite à la précision de la mesure de deux quantités en même temps, par exemple la vitesse et la position d’une particule. Sans rentrer dans les détails, cette indétermination vient un peu de la même raison qui fait qu’il est difficile de dire précisément où se trouve une vague dans la mer, vu qu’elle est forcément un peu étalée. Mais si on utilise la physique quantique pour calculer d’autres quantités, comme l’énergie des atomes, ou leur magnétisme, elle est alors d’une redoutable précision. Il faut juste bien choisir ce que l’on veut prédire.

2. « Pas possible de représenter la quantique en images »

La physique quantique décrit des objets souvent « bizarres » et difficiles à illustrer : fonctions d’onde, superpositions d’état, probabilités de présence, nombres complexes… Souvent, on entend dire qu’ils ne sont compréhensibles qu’avec des équations et des symboles mathématiques. Pourtant, dés qu’on l’enseigne ou qu’on la vulgarise, nous, physiciens, n’avons de cesse de la représenter, à l’aide de courbes, de tracés, de métaphores, de projections… C’est bien simple : je ne connais pas de cours de quantique sans images. Certains livres sont même entièrement consacrés à la mise en image de la quantique. Et heureusement, car les images sont nécessaires à l’étudiant et même au physicien aguerri pour se faire une représentation mentale des objets qu’il manipule. Si l’on interroge les chercheurs du domaine, ils reconnaissent eux-mêmes « imaginer » la matière quantique.

Les pliages permettent d’imaginer ce que pourraient être les électrons dans les atomes.
Pliages quantiques, Cyril Conton, coll., _La physique autrement_, Author provided

Le point qui fait débat, c’est la rigueur de ces images : il est en effet difficile de représenter rigoureusement un objet quantique. Mais n’est-ce pas le cas dans bien des champs de la science ? Une image d’atomes par un microscope à effet tunnel n’est qu’une représentation du courant tunnel impliquant de nombreux choix arbitraires, les couleurs, les ombres, etc..

Dans notre équipe de recherche « La physique autrement », nous travaillons justement à cette question de la représentation. Nous travaillons avec des designers, des illustrateurs, des vidéastes, pour « dessiner » la quantique sous toutes ses formes : pliages, bande-dessinées, sculptures, animations 3D… À titre d’exemple, nous avons conçu une série de petites animations qui peuplent maintenant les articles de Wikipédia, les conférences et les cours, alors qu’elles ne sont pas totalement rigoureuses. Mais elles donnent à voir au grand public quelques effets clé : dualité, superposition, quantification… et produisent donc bien des images de quantique.

Un bel objet pour imaginer une fonction d’onde quantique.
Paul Morin, coll., ENSCI-Les Ateliers et _La physique autrement_, Author provided

3. « Les scientifiques eux-mêmes ne comprennent pas bien la quantique »

Richard Feynman, un des plus grands noms du domaine, n’a-t-il pas dit lui-même : « Je pense pouvoir dire sans trop me tromper que personne ne comprend la mécanique quantique » ? Mais il ajoute juste après : « Je vais vous dire comment la nature se comporte ». Tout est dans le « comment » : Feynman comprend très bien « comment » la quantique fonctionne, il a même eu un prix Nobel pour cela, mais pas le « pourquoi ». Et pour la quantique, ce « comment » est particulièrement surprenant pour tout physicien habitué à la mécanique classique. Niels Bohr, un des pères fondateurs du domaine, résume bien la situation : « Quiconque n’est pas choqué par la théorie quantique ne la comprend pas. »

Les physiciens comprennent donc ce qu’ils font quand ils manipulent le formalisme quantique. Ils doivent juste « adapter » leurs intuitions à ce nouveau champ et à ses paradoxes. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à la quantique. L’électromagnétisme au XIXe siècle a dû chambouler bien des scientifiques, quand il leur a fallu admettre qu’ils baignaient dans des ondes invisibles se propageant comme la lumière, faites d’électricité et de magnétisme. Même histoire avec la courbure de l’espace-temps de la relativité générale.

4. « La quantique a été conçue de toutes pièces par quelques théoriciens géniaux »

Toute l’histoire de la physique démontre l’inverse : au tout départ, il n’y a pas une théorie brillante jaillie du cerveau d’un physicien, mais plutôt des expériences menées en laboratoire qui présentent des résultats inattendus. Puis, et seulement ensuite, des théoriciens se penchent sur ces résultats, cherchent à les comprendre, et vont mettre en place de nouveaux concepts, utiliser de nouveaux outils…

La physique quantique n’échappe pas à la règle : au tout départ, il y a quelques expériences qu’on ne comprend pas, l’effet photoélectrique, le rayonnement du corps noir, le spectre lumineux des atomes. Puis viennent les théoriciens géniaux, Albert Einstein, Max Planck, Niels Bohr, qui comprennent que ces expériences révèlent en fait la nature quantique de la lumière et de l’atome. Puis encore quelques expériences fondamentales, des électrons qui rebondissent bizarrement sur du nickel, des atomes d’argent étrangement déviés par un champ magnétique, un métal qui conduit parfaitement à basse température… Et ensuite à nouveau des théories et des concepts, la dualité, le spin, la supraconductivité.

La physique se construit dans ces aller-retour fertiles entre expérimentateurs et théoriciens, et les expériences viennent souvent en premier, sauf rares exceptions (par exemple la prédiction de l’antimatière ou du boson de Higgs). Dans un petit livre que je viens d’écrire, « Mon grand mécano quantique », je raconte ainsi onze de ces expériences clés de l’histoire de la quantique, et comment elles ont suscité des avancées théoriques majeures comme la supraconductivité, découverte en 1911 mais comprise seulement en 1957 !

L’invention de la supraconductivité.
Crédits : Petites histoires quantiques, Marine Joumard, coll., _La physique autrement_, Author provided

5. « Einstein a été le pire ennemi de la quantique »

Pauvre Einstein ! On l’affuble souvent du rôle d’opposant acharné de la quantique. Sa célèbre phrase Gott würfelt nicht (« Dieu ne joue pas aux dés ») y est pour beaucoup. Pourtant, non seulement Einstein n’est pas opposé à la quantique, mais mieux : il en est à l’origine ! C’est en 1905, suite aux travaux de Max Planck, qu’il écrit un article fondateur. Il y propose que la lumière est composée de petits corps individuels et quantifiés, les photons. Il recevra même le prix Nobel pour ce travail et non pour sa théorie de la relativité. Ce n’est pas tout. Einstein a écrit plusieurs autres articles majeurs en quantique, par exemple la prédiction de la condensation de Bose-Einstein, ou l’idée de l’émission stimulée qui permettra l’invention des lasers.

Alors pourquoi cette réputation ? Tout vient des débats qu’il a eu avec Niels Bohr, notamment sur la notion d’interprétation et de réalité quantique. La quantique décrit-elle vraiment le monde réel, qui serait alors intrinsèquement probabiliste ? N’y aurait-il pas des variables cachées qui permettraient de mieux comprendre certains des plus grands paradoxes de la quantique ? Ces passionnants débats vont culminer avec un article qu’il écrit en 1935 avec Podolsky et Rosen où il réfute l’idée de non-localité. Plus tard, des expériences d’intrication et de violation des égalités de Bell lui donneront tord et montreront l’absence de variables cachées : Dieu semble finalement bien jouer aux dés… Gardons juste en tête qu’Einstein reconnaissait pleinement la pertinence de la physique quantique pour décrire le monde à petite échelle, qu’il admirait la justesse de ses prédictions, mais qu’il avait juste des soucis avec certaines de ses implications, notamment liées à la notion de localité.

6. « La quantique ne sert à rien »

Comme toute recherche fondamentale, la physique quantique n’a pas à se « justifier » d’être utile. Comprendre comment fonctionne le monde à l’échelle de l’atome a été, à mon avis, une des plus grandes conquêtes de l’esprit humain, même si cela ne devait finalement servir à rien ! Mais rassurez-vous, la quantique est probablement la discipline la plus utile de la physique moderne. Car une fois que les physiciens ont compris le fonctionnement de la lumière, des atomes et des électrons, ils ont été capables les manipuler. Ils sont ainsi passés du stade de la compréhension à celui de l’invention. Le laser est souvent cité comme magnifique exemple d’invention quantique. Mais il n’est pas seul : l’IRM dans les hôpitaux, les diodes électroluminescentes (LED), les mémoires flash, les disques durs, tous ont été inventés par des physiciens de la quantique.

Les lasers, les trains à lévitation, ou l’IRM, des applications de la quantique.
Mon grand mécano quantique, Marine Joumard, Ed. Flammarion, Author provided

Mieux encore, le transistor, ce petit composant qui se niche dans tous les microprocesseurs au cœur de vos smartphones et ordinateurs préférés, ce transistor à l’origine de la révolution numérique a été inventé par trois physiciens de la quantique, William Shockley, John Bardeen et Walter Brattain. Et de nombreux chercheurs et ingénieurs travaillent à concevoir aujourd’hui, en laboratoire, les inventions quantiques du futur, comme les ordinateurs quantiques, mais aussi de nouvelles cellules photovoltaïques, des composants thermoélectriques, de nouvelles sources de lumière ou de nouvelles méthodes pour les télécommunications.

7. « La quantique pourrait expliquer certaines médecines alternatives ou autres phénomènes mystérieux »

De nombreuses croyances en des phénomènes paranormaux ou en certaines « médecines » se réclament ou s’inspirent de la physique quantique. Un des plus célèbres défenseurs de cette approche, l’indo-américain Deepak Chopra, a développé une sorte de mysticisme quantique, où il utilise tout un jargon scientifique pour justifier d’une sorte de spiritualité New Age, à coup de « champs énergétiques », « d’onde de probabilité », de « réharmonisation énergétique », ou de « dualité ». Tout cela l’amène à supposer certains liens quantiques entre pensée, conscience, matière et univers.

De même, des « médecines quantiques » proposent des soins en envisageant le corps comme un « champ vibratoire et énergétique », siège d’« états vibratoires » ou bien de « bio-résonances ». Ces « médecines » proposent à la vente tout un appareillage aux noms savants pour « corriger les déséquilibres énergétiques », voire mesurer les « biofeedbacks ».

Deux procédés malhonnêtes sont ici à l’œuvre. D’abord, « faire scientifique », c’est-à-dire légitimer son discours avec des termes scientifiques. Ces pseudosciences exploitent le fait que la quantique semble mystérieuse afin d’expliquer d’autres « mystères ». Mais, nous venons de le montrer, la quantique n’est pas mystérieuse. Elle est vérifiée par l’expérience non seulement en laboratoire mais aussi dans notre quotidien, à l’œuvre quand on allume une prise électrique ou qu’on utilise son smartphone. Alors qu’aucun des phénomènes décrits par ces médecines ou croyances n’a de base scientifique ou n’a pu être vérifié scientifiquement. Et surtout, les mots ont un sens très précis en physique quantique qui n’ont rien à voir avec leur emploi abusif dans ces pseudosciences.

Une autre tricherie consiste à extrapoler à notre échelle les propriétés quantiques. Après tout, notre corps est bien composé d’atomes, qui, eux, sont quantiques, alors pourquoi pas ? Soyons clairs : les propriétés quantiques comme la superposition d’état ou la quantification cessent à notre échelle. On a été capable ces dernières années de le démontrer en laboratoire, grâce à des expériences menées entre autres par Serge Haroche récompensé par le prix Nobel en 2012. Les physiciens ont montré que dès qu’un objet interagit trop avec son environnement et qu’il est trop gros, il cesse d’être quantique. À notre échelle, les « objets » comme le cerveau humain sont donc tout simplement trop volumineux, nos températures terrestres trop élevées, sans compter l’air qui nous entoure, pour qu’un être humain puisse présenter un comportement quantique.

Je ne veux pas pour autant me poser en une sorte de censeur moralisateur qui déciderait le vrai du faux du haut de sa science. Je ne condamne ni ne juge ceux qui veulent tester ces pratiques. Elles relèvent du champ de la croyance, non de la science, et libre à chacun de s’y adonner. Je demande juste d’arrêter de faire croire qu’elles s’appuient sur des bases scientifiques issues de la physique quantique, car c’est tout simplement faux.

Voilà. J’espère, avec cette petite liste, avoir un peu démystifié la physique quantique, un champ scientifique finalement… comme les autres !The Conversation

Une équation qui questionne.
Physiciens des solides, Chloé Passavant, coll., _La physique autrement_, Author provided

Julien Bobroff, Physicien, Professeur des Universités, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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